La sénatrice de Paris (UDI) et ancienne ministre de l’Écologie nous livre son point de vue sur la politique énergétique et environnementale française. 
Décideurs. Que pensez-vous des orientations prises par le président de la République et du gouvernement en faveur de l’écologie et de l’énergie ?
Chantal Jouanno.
Sur le discours global, il n’y a rien à dire. Les orientations s’inscrivent dans la continuité du Grenelle de l’Environnement. Le problème, ce sont les actes. Pour l’instant, il n’y a rien, hormis une valse des ministres de l’Ecologie. Nicole Bricq avait pris des positions légitimes sur la refonte du code minier en préalable à de nouveaux forages pétroliers en Guyane et elle a été évincée. Delphine Batho avait, à juste titre, dénoncé la baisse du budget de son ministère, qui a le plus contribué à la réduction des dépenses publiques. Philippe Martin connaissait particulièrement bien les sujets énergétiques et écologiques… Ségolène Royal, la nouvelle ministre de l’Ecologie, a annoncé, dès son entrée en fonction, être opposée à toutes formes de fiscalité écologique, ce qui fait qu’on ne s’attend plus à rien. L’hypothèse a été balayée d’un revers de main ce qui est très regrettable lorsqu’on sait que notre fiscalité est aujourd’hui plus favorable aux hydrocarbures.

Décideurs. Vous faites partie de ceux qui plaident en faveur de l’éco-taxe. Pour quelles raisons y êtes-vous favorable ?
C. J.
Je suis toujours favorable à l’éco-taxe car les conditions n’ont pas changé. Elle va dans le bon sens et reste légitime dans son principe. Sur les 600 000 poids lourds qui circulent, 25 % sont en transit et ne paient rien. L’éco-taxe servirait à développer des transports alternatifs, ce qui est d’autant plus important qu’il n’y a aujourd’hui plus d’argent pour financer les transports publics.

Décideurs. Vous avez participé à la naissance du Grenelle de l’Environnement et au développement des énergies renouvelables en France. Mais cette filière semble avoir pris du retard dans l’Hexagone par rapport à d’autres pays européens. Comment l’expliquez-vous ?
C. J.
La France est en retard par rapport aux bons élèves européens, mais le problème de notre politique est de ne pas être constante. Il y a trop d’allers retours. Les énergies renouvelables, ce sont des filières industrielles avec des acteurs économiques qui ont besoin de stabilité. Pour la biomasse, le fonds chaleur devait connaître une progression mais il est finalement plafonné. Sur le photovoltaïque, il est légitime de remettre à plat les tarifs mais de là à établir un moratoire… Aujourd’hui, nous ne savons pas ce qu’il en est. Il y a une éternelle ambiguïté avec un discours qui avance un coût élevé des énergies renouvelables tandis que, sur l’éolien, nous sommes sur des montants équivalents à la mise à niveau de la sécurité dans le nucléaire. Un autre grand problème subsiste : celui de la grande collusion existant entre EDF et les membres des cabinets. Trop de conflits d’intérêts sont en jeu et EDF n’affiche aucune volonté de développer ces filières. Il faudrait, là aussi, réglementer.

Décideurs. Ségolène Royal a annoncé vouloir créer 100 000 emplois grâce à la transition énergétique. Est-ce réaliste selon vous ?
C. J.
Ce chiffre correspond aux chiffrages déjà réalisés à l’époque. Plusieurs écueils sont en revanche à éviter pour atteindre cet objectif : d’abord la question de la formation, qui n’est toujours pas résolue. Ensuite, la question de la confiance des acteurs dans les travaux réalisés. Enfin, la question du financement. Je plaide, pour ma part, pour le recours à un tiers financeur. Il n’y a que dans ces conditions que la dynamique pourra être créée et qu’elle pourra aboutir à la création nette de 100 000 emplois.

Décideurs. Vous estimez qu’il faut remettre en question la « dieselisation » du parc. Comment y parvenir et comment booster la part des véhicules électriques en France ?
C. J.
Concernant les véhicules électriques, l’élément déclencheur pour dynamiser ce marché reste les bornes de recharge. Cela nécessite un grand plan d’investissement public avec une obligation faite aux collectivités de s’équiper. Quant à la « dieselisation » du parc, c’est une question de santé publique. Il faudrait d’abord arrêter de donner des avantages fiscaux aux entreprises qui utilisent des parcs de véhicules diesel. J’ai pour ma part toujours été favorable au système de péage urbain anti-pollution, sur le modèle italien, en laissant aux collectivités la liberté de le mettre en place ou non. Ce sont des mesures de long terme qui sont plus efficaces que des mesures prises sur le vif, comme celle sur la circulation alternée suite à un pic de pollution.

Décideurs. Vous croyez en une croissance verte. Quels axes faut-il, selon vous, privilégier pour la développer et favoriser les investissements ?
C. J.
Il y a deux éléments : la croissance verte est en fait une croissance qui veille à préserver le capital qu’on laisse aux générations futures. C’est jouable que si on remet en question le PIB, qui est un indicateur de flux. Il faut le revoir, le corriger afin de prendre en considération toute la dimension du capital. Il s’agit de réhabiliter les politiques nationales. Le deuxième élément est la maîtrise de nos ressources énergétiques, pour tous nos secteurs d’avenir. C’est un enjeu public. L’Europe doit récupérer ses ressources, les stocker à travers des filières. En résumé, il n’y a, selon moi, pas de croissance verte sans révision du PIB et sans vision stratégique.

Décideurs. Êtes-vous favorable à un mix énergétique sans nucléaire ?
C. J.
Il est souhaitable d’abaisser la part du nucléaire mais pas dans le calendrier annoncé par le président de la République. Je ne crois pas à une réduction de la part du nucléaire à horizon 2025. Cela tient à de la pure déclaration. Selon moi, cet objectif pourrait être atteint à horizon 2040. L’Allemagne s’est engagée dans cette transition et c’est plutôt une bonne chose. Mais l’honnêteté serait de reconnaître que l’Allemagne a une position hypocrite sur les émissions de gaz à effet de serre. Les émissions ont progressé en Allemagne, du fait de la forte utilisation du charbon. Mais les émissions de gaz à effet de serre ne sont pas seulement dues à la politique énergétique allemande, mais également au fait que le cours du charbon s’est effondré suite au développement des gaz de schiste.

Décideurs. Quelle position défendez-vous sur les gaz de schiste ?
C. J.
Le gaz de schiste est une énergie de transition du passé. Mais je suis favorable à lancer une recherche à l’échelle européenne pour que l’on puisse au moins savoir ce qu’il y a dans nos sous-sols. Cela permettrait d’objectiver le débat : s’il n’y a rien, il n’y a pas de raison de poursuivre les discussions. Le gaz de schiste peut être une énergie de transition pour les pays qui ont aujourd’hui massivement recours au charbon. En France, il n’en est pas question car ce serait en contradiction avec nos objectifs de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Je suis donc contre son exploitation dans notre pays.

Décideurs. Etes-vous favorable à une politique énergétique commune en Europe ? L’Union européenne devrait-elle, selon vous, fédéraliser sa politique énergétique ?
C. J.
L’Europe doit fixer des objectifs en fonction des pays et de leurs capacités de production. L’éolien est plutôt adapté au territoire français, le solaire à l’Espagne… Je suis fédéraliste et je suis pour que chaque territoire puisse décliner ses propres objectifs. En revanche, les réseaux doivent être européens et l’Europe doit favoriser la naissance de champions industriels européens dans les filières de l’éolien ou du solaire… Sur les énergies marines, il n’est pas normal que les pays avancent chacun de leurs côtés. L’Europe doit créer de grands centres de recherche et mutualiser les moyens.

Décideurs. Comment expliquez-vous que les crédits européens dédiés à la recherche soient dans leur grande majorité déployés sur un seul projet ?
C. J.
Parce que l’Europe est présidée par des chefs d’Etat et de gouvernement qui sont pour la plupart eurosceptiques et préfèrent conserver la souveraineté de leurs politiques énergétiques. Les crédits qui ont connu la plus forte baisse sont ceux dédiés à l’innovation. Si on veut développer les filières du futur, il faut augmenter le budget de l’Europe. C’est ce que nous proposons avec des mesures comme la taxe aux frontières.

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