Par David Desforges, avocat associé. Genesis
La loi «?Alur?» modifie le code de l’environnement. Elle introduit dans la procédure de remise en état la notion de «?tiers intéressé?». Une démarche novatrice qui permet de libérer l’exploitant de son obligation de dépollution par la substitution d’un tiers compétent et solvable, sous contrôle de l’administration. Un petit pas seulement dans la recherche du quitus tant recherché.

La loi «?Allur?»1 apporte en son article?173 son écot à la cause environnementale notamment par l’ajout d’un volet sites et sols pollués qui modifie à la marge le régime existant dans ce domaine. On ne reviendra pas ici sur les modifications relatives à l’élaboration de secteurs d’information sur les sols2 dont le régime, initié par la loi Grenelle II3, vise la prise en compte de l’état de pollution connu des sols dans le cadre de l’élaboration des documents d’urbanisme. On s’attardera en revanche sur le nouvel article L. 512-21 qui tente de satisfaire une demande formulée de longue date par les acteurs économiques en matière de cessation d’activité, de remise en état et de cession des sites industriels. Pour résumer la question dans ce domaine : d’où vient-on et où veut-on aller ?

Vente et obligation dépollution : une articulation difficile
Traditionnellement, le droit des installations classées (ICPE) ne connaît qu’un seul acteur : l’exploitant. C’est vers lui que la réglementation canalise les obligations environnementales en cours d’activité mais aussi au terme de celle-ci. C’est ainsi que, de droit, la remise en état du terrain occupé par une activité classée mise à l’arrêt lui incombe et ce, qu’il en soit ou non propriétaire. (4) Le fait générateur de cette obligation réside dans la cessation de l’activité et non pas dans la vente du terrain. En effet, en ce qui concerne les terrains ayant accueilli certaines catégories d’ICPE, les obligations du vendeur et alternativement du vendeur-exploitant sont régies par d’autres dispositions.(5) Au dernier exploitant l’obligation de remettre en état ; au vendeur l’obligation d’informer l’acquéreur quant aux activités passées et aux dangers ou inconvénients environnementaux que présente l’emprise cédée.
En pratique toutefois, les deux temps de la démarche sont souvent concomitants : l’activité cesse et le terrain est vendu. En d’autres termes encore, le dernier exploitant demeure responsable de la remise en état (laquelle doit être calibrée en fonction de l’usage futur du site) tandis que la propriété du site est transférée à un tiers qui, lui, maîtrise le plus souvent l’usage futur de la chose. Les textes prévoient bien entendu l’accord du propriétaire quant à l’usage futur retenu pour la définition des mesures de remise en état. En revanche, le futur propriétaire demeure pour sa part étranger à la procédure mais néanmoins désireux de connaître ce que seront les mesures de remise en état imposées au dernier exploitant-vendeur pour finaliser sa décision d’acquisition et négocier le prix et les conditions de la vente.
Contractuellement, rien de tout cela n’est insurmontable. Cependant, du point de vue du dernier exploitant-vendeur, un inconvénient demeure. Il ne peut transférer sa responsabilité de dernier exploitant à un tiers. Si bien que, même si l’exécution des travaux, le financement de ceux-ci et la maîtrise foncière peuvent par contrat être transférés, le dernier exploitant demeure, dans les limites de la prescription de l’action administrative «?dernier exploitant un jour, dernier exploitant (presque) toujours?».
On pourra certes objecter qu’en cas de changement d’usage postérieur à la remise en état et s’il est étranger à ce changement d’usage, le dernier exploitant ne pourra plus être recherché.(6) Toutefois, hormis ce cas, le dernier exploitant demeure toujours, en cette qualité, le débiteur ultime de l’obligation de remise en état.

Le tiers intéressé : une nouvelle donne ?

Le nouvel article L. 512-21 change la donne. Il prévoit la possibilité pour un «?tiers intéressé?» de se substituer au dernier exploitant ICPE, avec l’accord de ce dernier, pour réaliser les travaux de remise en état. Cette substitution peut avoir lieu lors de la cessation d’activité ou postérieurement. Lorsque ce tiers envisage un usage autre que celui préalablement arrêté par le dernier exploitant, il recueille les avis du dernier exploitant, de l’autorité compétente en matière d’urbanisme et du propriétaire du site. Il adresse ensuite au préfet un mémoire de réhabilitation définissant les mesures permettant d’assurer la compatibilité entre l’état des sols et l’usage futur envisagé par lui. Le préfet prescrit, s’il y a lieu, des mesures complémentaires dont le tiers intéressé assumera la responsabilité. Pour sécuriser l’ensemble, l’administration exige enfin dudit tiers intéressé qu’il dispose des capacités techniques et des garanties financières couvrant la réalisation des travaux de remise en état qu’il envisage de mettre en œuvre.
La démarche est louable. Alors que le droit de l’urbanisme s’arme pour prévenir l’artificialisation des sols, il faut se féliciter d’un dispositif visant à fluidifier le marché des sites (potentiellement) pollués qui, désindustrialisation aidant, est appelé à connaître une offre croissante. Il faut aussi accueillir favorablement toute mesure permettant de libérer le dernier exploitant de responsabilités rattachables parfois à des faits générateurs auxquels il peut être personnellement étranger mais dont il aura «?hérité?» par le biais du mécanisme de succession d’exploitant.

Le dernier exploitant libéré sous condition
On remarquera néanmoins que la libération du dernier exploitant demeure ici conditionnelle. En effet, comme le prévoit l’article L. 512-21 VII, la défaillance du tiers intéressé et l’impossibilité de mettre en œuvre les garanties financières sonneraient le retour du dernier exploitant appelé alors à mettre en œuvre les mesures de remise en état initialement prévues. Enfin et au-delà d’un régime administratif qui promet d’être lourd pour le tiers intéressé comme il l’est déjà pour l’exploitant, on pourra regretter que n’ait pas été envisagée une solution combinant, pour le tiers intéressé, dépollution et autorisation d’urbanisme ; une sorte de «?guichet unique?» de la dépollution et du réaménagement. Patience.

1 L. n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
2 v. C. env., articles L. 125-6 révisé et L. 125-7 nouveau.
3 v. L. n° 2010-788 du 12 juillet 2010, art. 188.
4 v. C. env., art. L. 512-6-1.
5 v. C. env. art. L. 514-20 modifié en dernier lieu par la Loi Alur.
6 v. C. env., art. R. 512-39-4.





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