Ingénieure agronome, Isabelle Delannoy est l’initiatrice du concept d’économie symbiotique, un modèle écologique de rupture qui sort de la confidentialité. Publié en 2017, son ouvrage présentant sa recherche vient d’être classé par les éditeurs meilleure vente de la catégorie économie. Rencontre.

Décideurs. Comment en êtes-vous arrivée à théoriser un nouveau modèle économique ? En quoi, celui-ci est-il différent des autres ? 

Cela a été une découverte et une recherche scientifique autonome. Des solutions émergent dans le monde entier et offrent des réponses aux crises écologiques, économiques et sociales qui nous secouent. Je me suis rendu compte que sous la diversité des termes, elles procèdent d’une même logique. Elles émanent de citoyens, d’entreprises, de collectivités. Mais nulle part, je ne les ai vues toutes assemblées entre elles. L’économie symbiotique a ce projet. Elle intègre l’économie collaborative, l’économie des biens communs, l’économie circulaire et les productions écologiques. Elle s’attache à valoriser les synergies qui se développent et qui, reliées, deviennent alors super efficientes par leur complémentarité. 

"Comment envisager la technologie au service non plus d’un dogme qui prône le plus haut, plus fort, plus vite mais au service du lien entre l’humain et le reste du vivant ?"

Avez-vous des exemples ? 

En pleine déprise économique, la ville de Portland a mis en place une politique environnementale extrêmement pertinente en 1970 puis en 1990. Le territoire a été entièrement renaturé et le risque d’inondation a été pris en charge avec la création des jardins de pluie. Les infrastructures ont été repensées, en supprimant l’autoroute et en permettant aux habitants d’avoir accès en quinze minutes aux transports, aux commerces et aux services. Tout cela, avec une démocratie participative active. Aujourd’hui, la ville a augmenté sa population de 60 %, diminué ses émissions de gaz à effet de serre de 23 % et économiquement, il existe un dynamisme entrepreneurial évident. Une marque « made in Portland » s’est développée. 7 000 entreprises ont été créées rien que l’an dernier. C’est vraiment l’exigence de penser et d’organiser l’alliance entre les infrastructures, les écosystèmes vivants et l’économie qui a permis de régénérer la ville. Plus proche de nous, la bioraffinerie de Bazancourt-Pomacle, située à quelques kilomètres de la ville de Reims, parvient à valoriser 100 % de sa biomasse. Toutefois, l’étape ultime pour cette raffinerie sera de faire passer les agriculteurs qui la fournissent à l’agroécologie et à l’agroforesterie.  

Quels freins ou confusions empêchent le développement de cette approche ? 

Que signifie vraiment faire partie d’un écosystème et créer des terreaux de confiance entre les différents acteurs qui y vivent pour qu’ils travaillent ensemble ? Comment voir dans un écosystème végétal à la fois une source de bien-être, de contemplation régénératrice et une usine à filtrer les eaux, absorber du carbone, dépolluer l’air, produire des molécules, des matériaux de la nourriture et du bien-être social ? Comment envisager la technologie au service non plus d’un dogme qui prône le « plus haut, plus fort, plus vite » mais au service du lien entre l’humain et le reste du vivant ? Le basculement de pensée est en cours. La plupart des personnes le voient. Ce sont les structures des organisations qui ne sont plus adaptées et qui freinent : réglementations, marchés, administrations, organisations en silo… Aujourd’hui, il faut massivement accompagner et transmettre cette nouvelle logique dans l’entreprise et les territoires. 

Un groupe de chercheurs de l’Institute for Public Policy Research (IPPR) au Royaume-Uni vient de publier une étude démontrant que la crise climatique actuelle pourrait provoquer un effondrement du système financier. Quelle est votre vision ?
  

La finance est dans un étau qui l’oblige à prendre un virage rapide et inédit. Les banques classiques sont menacées par la puissance des réseaux. Que se passera-t-il quand les réseaux sociaux offriront des services bancaires ? Elle est aussi confrontée plus que jamais à la résilience des actifs. Pensez que la durée d'amortissement d’un bâtiment est de vingt à trente ans. Sa valeur ne dépend pas que de ses murs, mais de la qualité de son environnement social, économique, écologique. Pour une infrastructure, c’est cent ans. Les industries, massivement situées au bord des mers et des fleuves, sont exposées à la montée du niveau de la mer, la baisse du débit des fleuves et à l’intensification des tempêtes. Tout l'intérêt du système financier est aujourd'hui de retrouver une proximité avec les acteurs économiques de terrain et de financer des systèmes régénératifs.

Propos recueillis par Laetitia Sellam

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