On sait communément que le géomètre-expert a pour mission de délimiter les biens fonciers. Pour autant, les contours et les problématiques actuelles de cette profession ne sont pas bien connus… même du président de la République. Entretien avec Régis Lambert, président de l’Union nationale des géomètres-experts.

Décideurs. En janvier dernier, vous avez proposé à Emmanuel Macron une antisèche expliquant votre profession…

Régis Lambert. En effet, lors du grand débat public, interrogé par un maire sur le sujet du bornage et la différence entre l’intervention des géomètres-experts et des topographes, le président de la République a reconnu ses lacunes en la matière. « Celle-là, je ne l’ai pas en jambes », a-t-il répondu. Cette anecdote illustre à quel point il existe une confusion entre nos deux professions alors que notre spécificité est claire. Seul le géomètre expert est habilité à établir des relevés et dresser les plans permettant de délimiter les biens fonciers. Il le fait, par le biais de la mesure, comme par celui du droit. Le droit de la propriété constitue l’un des piliers de notre démocratie. Pour qu’il soit garanti, il est indispensable de définir la propriété. Pour cela, la loi du 7 mai 1946 instaure un monopole, une profession et un ordre. Un monopole qui est celui de la délimitation de la propriété foncière. Une profession formée et contrôlée pour exercer ce monopole. Un ordre, c’est-à-dire une instance rassemblant l’ensemble des membres de cette profession, ayant une délégation de service public pour encadrer et contrôler tant l’exercice du monopole que la profession. La définition de la propriété privée, au cœur du vivre-ensemble français, est un enjeu qui va bien au-delà des simples intérêts privés et comporte une dimension d'ordre public.

Qu’en est-il plus précisément de la notion de bornage ?
 
Trop de gens ignorent encore que les limites représentées sur le plan cadastral n’ont pas de valeur juridique. C’est le bornage qui rend la limite juridique, permettant ainsi d’aborder en toute sécurité la construction d’un garage en limite ou d’une clôture par exemple. Le géomètre-expert est le professionnel habilité à mener cette opération de bornage car elle a pour particularité, entre autres, de faire intervenir le riverain de celui qui est à l’origine de la demande.

Pourquoi alors cette discorde avec les topographes ?

La topographie est un domaine vaste, purement technique, que les géomètres-experts pratiquent tous les jours et qu’ils partagent avec les géomètres-topographes. Ces derniers, enfin une poignée d’entre eux, ont malheureusement tendance à s’attaquer régulièrement au monopole que la loi confie aux géomètres-experts, donnant l’impression qu’il y a une vraie guerre entre nos deux professions, ce qui n’est pas du tout le cas. Ils le font à grand renfort de coups médiatiques en surfant sur la mode de la dérégulation des professions réglementées, alors qu’il convient de rappeler que la seule exigence pour intégrer notre profession est la compétence. Les géomètres topographes qui ont cette compétence peuvent intégrer l’ordre des géomètres-experts.

Votre métier évolue-t-il drastiquement avec les mutations incontournables des nouvelles technologies, les drones, notamment ? 

À l’instar de nombreuses professions, l’essor des nouvelles technologies nous oblige à nous interroger sur nos fondamentaux. Le drone est l’un des outils qui a bouleversé l’acquisition de la donnée géométrique et qui fait aujourd’hui partie du quotidien de nos cabinets. Je vois deux apports majeurs, l’exhaustivité des relevés (des millions de mesures sont effectuées en quelques minutes, ce qui permet d’avoir tous les détails de la zone, intérieure ou extérieure, que nous délimitons) et le gain de temps. Ainsi non seulement certaines missions traditionnelles ont vu leur coût diminuer, mais surtout de nouvelles missions sont apparues, ce qui est passionnant. Toutefois, certains écueils émergent également car ces nouveaux outils ont, aux yeux de certains, banalisé la réalisation de mesures. Les clients peuvent ainsi être déboussolés par des offres très alléchantes alors qu’elles ne correspondent pas toujours à ce dont ils ont besoin. Par ailleurs, il est toujours bon de rappeler que si ces nouvelles technologies bouleversent la partie technique de notre métier, le droit se complexifie en parallèle.

En 2018, l’Ordre des géomètres-experts (OGE) a déclaré que « déterminer la surface d’un bien immobilier en France relève d’un véritable casse-tête », autant au niveau du bâti qu’ensuite sur le plan fiscal. Pouvez-vous développer ?

C’est un constat que nous partageons face à la multiplication des types de surface du bâti, autrement dit des normes permettant de fixer précisément la taille d’un bien, en fonction de sa destination. Vous ne mesurerez pas de la même manière selon que le bien est destiné à être acheté, loué par un particulier ou une entreprise, pour y loger ou pour y installer un commerce. Il en est de même pour les taux d’imposition, qui vont se calculer selon un panel de références extrêmement diverses, ou pour la définition des droits à bâtir.

Tout cela aboutit à une opacité du marché immobilier, par une extrême complexité à laquelle nos concitoyens sont étrangers, qui cause beaucoup de travail et de frais, alors que les normes devraient protéger les Français, fluidifier le marché de l’immobilier et garantir une source de revenu pour l’État. À l’heure où le marché immobilier des grandes villes se tend de plus en plus, il nous apparaît nécessaire de simplifier et de rationaliser toutes ces normes. La proposition de l’OGE de s’appuyer sur le code de mesurage européen établi par le Comité de liaison des géomètres européens relève du bon sens. Il nous semble urgent de l’appliquer.

Propos recueillis par Laetitia Sellam



 

 

 

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