Maire de la commune d'Evry-Courcouronnes, Stéphane Beaudet est également président de l’Association des maires d’Ile-de-France (Amif). Mobilités, partage des rôles public-privé, rôle de maire, élections de mars 2020… Il nous livre sa vision sur ses préoccupations majeures.

Décideurs. La problématique des mobilités et des difficultés de certains territoires a été mise sur le devant de la scène avec les Gilets jaunes. Quelle en est votre vision  en Île-de-France aujourd’hui ?

Stéphane Beaudet. La question des mobilités a en effet été exacerbée par la crise des Gilets jaunes qui a mis en exergue le fait que la région de Île-de-France n’est pas seulement urbaine. Une grande partie du territoire est rurale et péri-urbaine avec des difficultés d’accès qui font régner la voiture en maître. Ces zones offrent peu de trains, des réseaux de bus pas toujours efficients, des transports à la demande qui peinent parfois à se mettre en place. À côté, nous avons une zone urbaine et péri-urbaine extrêmement denses, le plus souvent obstruées aux heures de pointe. Cette saturation est liée à l’obsolescence des équipements et ne permet ni d’augmenter les cadences ni d’avoir la possibilité d’accueillir davantage de voyageurs. C’est la raison pour laquelle la région alloue   24 milliards d’euros  entre aujourd’hui et 2025 pour la régénération des transports, l’extension et la création de nouvelles lignes.

Le Grand Paris Express et ce réseau régénéré vont-ils véritablement impacter l’usage de la voiture individuelle ?

La voiture n’est plus cette icône que l’on vénérait il y a trente ans. Nous étions dans la culture de la propriété et nous allons basculer dans la culture de l’usage. Aujourd’hui en Île-de-France, les jeunes passent de moins en moins le permis, ou tardivement  parce qu’ils ont accès à une offre de mobilité très large. Très pragmatiques, ils peuvent prendre le bus un jour, le train le lendemain, une moto, un taxi, un blablacar… Nous avons enfin pris conscience que la route constitue un véritable enjeu. Aujourd’hui, elle est saturée et source de pollution. Mais lorsque nous avons 400 kilomètres de bouchons en heures de pointe, les voitures sont quasiment vides avec seulement 1,1 usager par véhicule. En réalité, le réseau routier est rempli de voitures mais vide en nombre d’usagers. Avec 1,8 usager par véhicule, nous n’aurions plus de bouchons ! L’un des dogmes que nous devons tous partager, c’est qu’il va falloir plus de monde sur les routes avec beaucoup moins de véhicules.

La mobilité n’est plus l’apanage de la puissance publique et les acteurs privés prennent une importance croissante, tant dans l’organisation du réseau que dans la production des équipements. Quel est le rôle des élus dans ce contexte ?

Nous devons être capables de fixer un cap, de réguler et peut-être d’arrêter de penser que la sphère publique va s’en occuper. Le privé dispose d’une agilité et d’une inventivité que nous n’avons pas. Prenons l’exemple de Waze. Un Israélien à 5000 kilomètres d’ici a décidé de jouer avec nos villes. Il a rendu la vie plus facile pour les utilisateurs mais il a compliqué  la vie des maires. Certaines zones où le trafic est de 30 kilomètres à l’heure apparaissent dans Waze comme des autoroutes sans demander leur avis aux maires. Tout ceci reste donc à mettre en musique avec la volonté de trouver des solutions.

Comment envisagez-vous la collaboration avec les entreprises au sein de l’Amif qui, par ailleurs, fêtera ses 30 ans en juin prochain ?

La collaboration est nécessaire. Au sein de l’Amif, nous portons, depuis 2014, la volonté de dire à nos adhérents qu’il faut réinventer le modèle communal. Être maire aujourd’hui n’a plus rien à voir avec ce que c’était dans les années 2000. Ce n’est plus la même mission, les attentes des habitants ont changé et nous n’avons plus les mêmes moyens financiers. L’un des principes de l’Amif avec l’aided’Amif  Partenaires, consiste justement à utiliser l’expertise du privé. Nous nous adossons à des entreprises et des partenaires qui ont une agilité que n’ont pas nécessairement  les collectivités. Il y a des partenariats publics privés autour de grands projets urbains parce qu’il faut trouver de nouveaux montages, des nouveaux modèles de financement. Le foncier est très cher en Île-de-France, d’autant qu’il nous est redemandé de construire dans des secteurs de centre-ville où le foncier est particulièrement cher et où il faut souvent déconstruire et même dépolluer. Ici à Evry-Courcouronnes, si je veux faire de la ville une smart-city, j’ai besoin de partenaires qui savent faire, qu’il s’agisse de start-up ou des grandes entreprises. Ces partenariats contractuels – très encadrés parce que les collectivités sont liées par le code des marchés publics – répondent à une expertise, à une capacité d’accompagnement et de formation sur des métiers qui ne sont pas nécessairement les nôtres. Fêter les 30 ans de l’Amif et se retrouver ensemble les 3 et 4 juin 2020 au parc des Expositions de Villepinte pour le 24e Salon de l’Amif sera l’occasion de continuer d’agiter des idées pour réinventer ensemble le modèle communal de demain avec de nouvelles contraintes financières, sociétales et technologiques.

Comment les élus, à l’échelle locale, peuvent-ils se saisir de la crise sociale ?

Les maires n’ont pas découvert la crise sociale avec les Gilets jaunes ! Un maire fait en moyenne trois mandats – c’est le seul qui jouit de cette confiance des habitants –, alors nous n’avons pas à nous saisir de cette crise locale, nous la vivons qu quotidien. Dans nos permanences, on nous parle de demandes de logement, de places en crèche, de difficultés sociales, de difficultés de vie, de handicap…

De fait, la crise des Gilets jaunes a renforcé le pouvoir local et leur message est celui de la  défiance envers le pouvoir central. Lorsque nous avons lancé les cahiers de doléances à l’Amif, c’est exactement ce qui en est ressorti. J’aime rappeler qu’en France, même avec le mille-feuille institutionnel, il n’y a, pour les habitants, que deux élus qui existent : le président de la République et le maire en mode « maire à tout faire ».

Une nouvelle génération d’élus va sortir des urnes en mars 2020… Un scénario pour l'Ile-de-France ?

On va d’abord laisser les habitants choisir eux-mêmes. Ce que je peux dire, c’est qu’en 2014 nous avons constaté une bascule à droite beaucoup plus puissante que ce que l’on avait imaginé. Les Gilets jaunes ont changé la donne. De nombreux maires élus en 2014, un peu par hasard ou grâce à une conjoncture favorable, vont tout comme ceux qui sont bien installés, être très favorisés par un contexte qui a renforcé le pouvoir local. En dehors des maires qui abandonnent parce qu’ils n’en peuvent plus en raison de la défiance de la population, de l’accumulation de responsabilités, de la surexposition sur les réseaux sociaux qui amplifient et déforment, du risque pénal, je pense que les sortants seront d’emblée favoris qu’ils soient de gauche ou de droite.

Propos recueillis par Laetitia Sellam

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