Quelques semaines après avoir publiquement fait connaitre son opposition au projet de transformation de la Gare du Nord, la Ville de Paris enfonce le clou en dévoilant les conclusions de deux rapports d’experts qui égratignent le plan porté par la SNCF et Ceetrus. Explications.

« Un projet comme celui de la transformation de la Gare du Nord ne peut pas se faire sans ou contre la Ville de Paris ». Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l’urbanisme, de l’architecture, des projets du Grand Paris, du développement économique et de l’attractivité, a martelé cette phrase à plusieurs reprises lundi 6 janvier lors de la présentation de deux rapports d’experts sur le projet. Ces documents ont été réalisés en moins de deux mois à la demande d’Anne Hidalgo et feront partie des éléments mis par la collectivité locale à l’enquête publique. Alors que cette dernière prendra fin mercredi 8 janvier, les experts lancent de sacrées pierres dans le jardin de Stationord, la joint-venture entre la SNCF et Ceetrus qui pilote le projet de transformation.

Le premier rapport réalisé par Anne Mie Depuydt (architecte, urbaniste et co-fondatrice d’UAPS), Caroline Poulin (architecte et co-fondatrice d’AUC), Jean-Louis Subileau (urbaniste, co-fondateur d’Une fabrique de la Ville et lauréat du Grand Prix de l’urbanisme en 2001) et Pierre Veltz (ingénieur, sociologue, économiste et lauréat du Grand Prix de l’Urbanisme en 2017) estime que le projet « comporte trop d’incertitudes et de dysfonctionnements prévisibles pour continuer comme si de rien n’était, en l’amendant par des aménagements plus ou moins mineurs. » Dans ces conditions, les experts considèrent l’achèvement global du projet pour 2024 comme étant « non indispensable » et « d’ores et déjà fortement compromis ». « Il faudrait regarder la possibilité d’un phasage en deux temps, avance le rapport. Premier temps : on définit ce qui est vraiment nécessaire pour les JO. Parallèlement : on se donne le temps de remettre calmement sur le métier le reste du projet. »

Pour cette refonte, les quatre experts préconisent de mettre en place de manière urgente une réflexion partenariale entre la Ville, la Région, la SNCF et les autres acteurs du transport, aux échelles de la gare et de ses abords immédiats, et de l’insertion urbain plus large. Ils suggèrent également de « donner de l’air au quartier, d’y renforcer la présence végétale et d’y faire vivre en synergie des activités existantes et futures se valorisant mutuellement ». Dans cet esprit, Anne Mie Depuydt, Caroline Poulin, Jean-Louis Subileau et Pierre Veltz proposent la réduction du programme des activités non ferroviaires (suppression de la salle de spectacle, diminution « significative » des surfaces commerciales, reconfiguration du « parc ») « en étant conscient qu’il faudra trouver un nouvel équilibre financier ». Et d’ajouter : « l’allègement des investissements pourrait y contribuer ». Ils recommandent en parallèle d’intégrer à la réflexion sur l’aménagement de la Gare du Nord l’ensemble des propriétés SNCF situées au Sud Est de l’ensemble.

Concernant les flux, « il convient de remettre la priorité sur les principaux, ceux pour lesquels risque de se dégrader le plus vite, et qui ne sont pas touchés par le projet actuel : les flux de la métropole parisienne élargie. » Le projet de Stationord se concentre en effet sur la partie de la Gare du Nord dévolue aux grandes lignes et à l’international. Autre grief, les quatre experts demandent l’abandon du principe des séparations de flux départ/arrivée (ndlr : imposé à toutes les équipes qui ont répondu à l’appel à projets) car leur analyse conclut qu’il est à l’origine de « dysfonctionnements prévisibles et s’adapte particulièrement mal à la Gare du Nord ». Un avis conforté par l’autre rapport d’expert demandé par la Ville de Paris, celui de l’entreprise de conseil dans les systèmes ferroviaires SMA.

« Compte tenu du projet actuel et de nos calculs, nous estimons que l’accès aux quais de la Gare du Nord serait allongé en moyenne de trente secondes, assure Luigi Stähli, directeur conseil Sud-Ouest Europe de SMA. Il prédit également des problèmes de congestion, notamment pour l’accès au Thalys, et une situation inchangée voire aggravée pour celui aux TER et aux Transiliens qui concentrent la grande majorité du flux de voyageurs de la Gare du Nord.  « A-t-on déjà vu un projet de rénovation d’une gare qui conduit à l’allongement du temps de transport ? », s’étrangle en réaction Jean-Louis Missika. Et ce dernier d’ajouter : « Je ne vois pas comment une commission d’enquête composée de gens qui m’ont l’air très sérieux ne pourrait pas tirer toutes les conséquences de ce que mettent en lumière ces deux rapports d’experts. »  Les conclusions de ladite commission devraient être rendues en février. L’impact des travaux d’Anne Mie Depuydt, Caroline Poulin, Jean-Louis Subileau, Pierre Veltz et Luigi Stähli sera alors mesurable.

Par François Perrigault (@fperrigault)

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