Quel est le point commun entre l’immeuble The Link, le centre commercial Aéroville et le MoCo, centre d’art contemporain de Montpellier ? Tous ont été imaginés par Philippe Chiambaretta et ses équipes. Pour Décideurs, le fondateur de l’agence PCA-Stream dévoile sa vision de l’architecture. Rencontre inspirante.

Décideurs. En partant d'une feuille blanche, à quoi ressemblerait le siège social idéal selon votre vision de l’architecture ?

Philippe Chiambaretta. L’hypothèse de la feuille blanche n’existe pas. Nous travaillons toujours dans un contexte où se déclinent l’histoire, la géographie, le climat… Par ailleurs, l’avenir de notre écosystème se joue dans les villes et ce cadre devient la condition générale à partir de laquelle nous raisonnons. Nous devons également prendre en compte les mutations des organisations du travail et des modèles économiques avant de concevoir un programme. Tout projet doit donc être précédé d’une prise de conscience des nouvelles conditions dans lesquelles nous vivons sur notre planète. Ensuite, il n’y a pas de siège social idéal en raison des effets d’échelles et de seuils. La proposition variera si l’immeuble a vocation à accueillir 150, 500 ou 6 000 collaborateurs.

Une fois ces éléments intégrés, l’architecte doit appréhender l’évolution du siège social qui est passé d’un lieu de production à un espace de relations sociales. Ce changement de paradigme répond à trois objectifs : contribuer à l’attraction des talents en leur donnant envie de venir travailler dans l’entreprise ou bien d’y rester, favoriser la sérendipité en facilitant les rencontres dans un cadre agréable, et participer au développement de la culture d’entreprise pour renforcer l’engagement des collaborateurs et marquer les esprits des clients.

Le rez-de-chaussée ou le premier étage d’un siège social ressemblerait donc à un hôtel où il serait possible à chacun, collaborateur ou personne extérieure à l’entreprise, de se promener librement et d’avoir accès à des lounges, des patios, des cafés… Les nécessaires points de contrôle pourraient s’opérer au niveau des ascenseurs. Dans les étages, les plateaux de bureaux devraient être les plus grands possibles pour rassembler un maximum de collaborateurs au même niveau dans un cadre agréable. C’est ce que nous avons imaginé par exemple dans The Link, la future tour de Total à La Défense : nous avons créé des duplex reliés entre eux à chaque étage par des passerelles, permettant ainsi à 500 salariés de travailler ensemble et de bénéficier d’un espace de sociabilité au centre.

Enfin, des grandes tendances architecturales doivent être prises en compte pour concevoir un siège social idéal. Le rapport à la nature est notamment devenu crucial et nous veillons à aménager des jardins ou des terrasses dans chacun de nos projets. Concernant l’aménagement intérieur, nous travaillons sur des sous-espaces avec des volumes humains et des cloisonnements subtiles. Et je n’ai pas d’idéologie arrêtée sur le flex office. Je m’adapte aux spécificités de chaque métier.

Le commerce physique est en plein chamboulement. Comment cela impacte-t-il votre approche architecturale ?

L’expérience client devant offrir tout ce qu’il est impossible d’avoir en ligne, nous mettons l’accent sur les aspects sensoriels comme le toucher, l’odeur, la vue… Différents types de commerces subsisteront à l’avenir selon moi. Le commerce de proximité doit être sauvé car les consommateurs ne sont plus prêts à prendre leurs voitures pour aller faire du shopping plusieurs dizaines de kilomètres plus loin. Les flagship se transformeront quant à eux pour devenir des espaces de sociabilité et des lieux offrant des solutions qui contribueront à l’équilibre de la planète. Dans cette logique, l’architecture permettra de montrer en quoi l’enseigne est responsable, durable, citoyenne… Enfin, les projets qui s’inscrivent dans le mouvement de la surconsommation n’ont plus de raison d’être. Le gouvernement a eu raison d’abandonner Europacity. A contrario, des centres commerciaux qui s’installent dans des zones de flux comme les gares peuvent avoir du sens suivant les cas puisqu’ils réduisent l’utilisation de la voiture. 

"Tout territoire de programmes est intéressant à partir de l’instant où nous pouvons l’adresser de manière non traditionnelle"

Vous avez récemment livré le fruit de votre réflexion sur le devenir des Champs-Elysées. Quelles sont les clés pour rendre un quartier fonctionnel, agréable et parfaitement intégré dans la ville ?

Dans un sondage réalisé par l’Ifop il y a quelques mois, 39 % des Parisiens affirmaient avoir une mauvaise image des Champs-Elysées à cause du surtourisme, de la surconsommation et de la surpratique automobile. Nous avons réfléchi, à la demande du Comité Champs-Elysées, pour trouver des solutions qui rendront l’avenue à nouveau désirable, durable et inclusive. Pour ce faire, elle ne doit plus être lacérée et polluée dans tous les sens du terme par la voiture. Nous devons donc l’apaiser et remettre l’accent sur les promenades piétonnes. Tout le monde aime New York ou le quartier du Marais car ce sont des territoires qui permettent de se balader tranquillement et favorisent ainsi les rencontres. Outre la mobilité, la nature est également primordiale pour rendre un quartier fonctionnel, agréable et parfaitement intégré dans son environnement. Elle permettra notamment de faire face au problème de plus en plus préoccupant des îlots de chaleur. Les architectes et les urbanistes ne doivent plus appréhender la ville comme une addition d’objets et de machines mais passer à une approche holistique en la considérant comme un organisme, avec un corps et un esprit, qui doit être maintenu en bonne santé.

Quelle est votre définition de la mixité dans l’immobilier ?

Le mot mixité a été surutilisé et peut avoir différents sens. Je la considère personnellement comme étant liée à un changement de tendance dans l’immobilier. Suite à la financiarisation de cette industrie, les clients des immeubles étaient devenus les investisseurs. Mais le paradigme a changé ces cinq dernières années et l’utilisateur final de l’immeuble est redevenu le véritable client. Or cet acteur veut vivre dans un quartier vivant et attend un décloisonnement de son espace de travail. Nous développons donc de plus en plus de projets qui combinent commerces, hôtellerie, bureaux et d’autres fonctions pour créer un cocktail d’expérience qui rend la vie plus agréable.

Sur quels types de nouveaux projets et territoires aspirez-vous à travailler ?

Nous avons travaillé sur de nombreux projets tertiaires ces dernières années. J’en suis ravi car différentes révolutions et innovations sont à l’œuvre dans ce secteur. Toutefois, l’agence PCA – STREAM ne veut pas limiter son champ d’actions. Tout territoire de programmes est intéressant à partir de l’instant où nous pouvons l’adresser de manière non traditionnelle. Nous avons une réelle appétence pour les programmes culturels, et pour l’hôtellerie. Nous faisons peu de logements en raison des contraintes normatives, budgétaires et réglementaires mais nous serions intéressés pour travailler sur des sujets de coliving. En interne, nous développons un département dédié à l’aménagement intérieur car nous concevons tous nos projets « de l’intérieur vers l’extérieur ». D’un point de vue géographique, nous aimerions étendre notre activité à l’international pour comprendre les tendances qui y sont à l’œuvre et ainsi continuer à nous nourrir intellectuellement.

Comment imaginez-vous le métier d’architecte demain ? 

Il sera encore plus transdisciplinaire, passant de la fonction d’artiste à celle de stratège. Les fondateurs des agences d’architecture deviendront les animateurs d’une structure d’intelligence collective, comme un neurone branché sur le monde. L’architecte devra également changer de posture pour ne plus être un fabriquant de beaux objets mais un acteur qui participe à un effort collectif pour résoudre les grands défis mondiaux, notamment l’urgence climatique, en prenant en compte les spécificités locales. Ce sera un véritable « problem solver ».

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

Cette interview est extraite du guide construction - promotion - infrastructures 2020 de Décideurs. 

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Philippe Chiambaretta et son équipe ont imaginé The Link à La Défense, futur siège social de Total (©PCA Stream)

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