En pleine crise sanitaire, les acteurs de la fabrique de la ville sont sur le pied de guerre. Les aménageurs ne font pas exception. Stéphan de Faÿ, directeur général de l’établissement public d’aménagement Bordeaux Euratlantique, explique les mesures qui ont été prises par l’EPA et partage avec Décideurs son analyse de la situation.

Décideurs. La solidarité est le leitmotiv des professionnels de la fabrique de la ville depuis le début du confinement. Comment cela se matérialise-t-il au sein de l'EPA Bordeaux Euratlantique ?

Stéphan de Faÿ. Notre mission première en tant qu’aménageur est de créer des quartiers agréables à vivre, mixtes et qui aient « une âme ». Parmi d’autres éléments, cela passe notamment par le développement d’un tissu de commerces indépendants et d’associations, tous deux générateurs de lien social. Or ces deux types d’acteurs vont être très durement touchés par cette phase de confinement. Nous sommes donc en train de mettre en place un fonds pour appuyer financièrement, sans contrepartie, les commerçants indépendants et les associations qui emploient des collaborateurs permanents, ainsi que les artistes implantés dans nos territoires d’intervention. Il s’agit de leur donner les moyens de rebondir et de jouer leur rôle post crise, en comblant les éventuels angles morts des aides publiques qui ont été mises en place pour les soulager. Dans la même logique, Bordeaux Euratlantique héberge un certain nombre de PMEs et TPEs. Nous avons exonéré ces dernières sur toute la période d’urgence sanitaire, c’est-à-dire jusqu’au 25 mai minimum, pour ne pas les pénaliser.

En parallèle, nous avons échangé avec toutes les entreprises qui travaillent avec l’établissement, en premier lieu nos maitres d’œuvres, pour les assurer qu’ils seraient bien réglés à temps et qu’il n’y aurait pas de remise en cause contractuelle. Nous avons été bien épaulés par les collectivités territoriales dans ce cadre car nos interlocuteurs se sont remarquablement bien organisés et restent disponibles pendant ce confinement. Même chose avec les services de l’Etat, même si cette crise révèle de réelles fragilités au niveau de leurs outils de dématérialisation par trop sous-dimensionnés. Nous avons également décidé d’exonérer de toute pénalité de retard les entreprises de travaux et les promoteurs afin de ne pas leur faire subir une pression supplémentaire quand la phase de redémarrage s’enclenchera. Les contrats seront également prorogés le temps nécessaire, c’est-à-dire pendant l’urgence sanitaire et les mois qui suivront.

Enfin, nous avons fait deux choix fort en interne dans le cadre de notre plan de continuité d’activité. Nous avons garanti à tous nos collaborateurs, quelle que soit leur situation personnelle, l’intégralité de leur rémunération. Par ailleurs, nous les autorisons à ne pas poser de vacances pendant la période de confinement car ils auront besoin de pouvoir reprendre leur souffle quand la reprise sera engagée.

Quel regard portez-vous sur l’action du gouvernement dans cette situation de crise sanitaire ?

Dans le secteur du BTP, pour l’instant, il y a encore beaucoup de confusion et des orientations qui semblent contradictoires. D’une part, le gouvernement affiche sa volonté de ne pas arrêter l’économie mais, dans le même temps, la conséquence directe des ordonnances du 25 mars est un gel des délais de toutes les procédures réglementaires, notamment en ce qui concerne les permis de construire. Nous échangeons avec les pouvoirs publics pour savoir comment interpréter ces décisions qui pourraient créer un trou d’activité immédiatement après la fin de l’urgence sanitaire. Un décret, prévu par ces ordonnances, devrait prochainement préciser dans quels cas il sera possible de « dégeler » les procédures d’instruction. Notre activité et celles des entreprises travaillant sur notre périmètre pourraient, le cas échéant, être concernées par ces exceptions, mais nous restons vigilants.

Concernant la reprise des chantiers, les échanges entre gouvernement et fédérations du week-end dernier ont été très mal perçues sur le terrain, beaucoup de salariés du secteur remontant le sentiment qu’un chantage au chômage partiel était à l’œuvre. Même si le gouvernement a clarifié que tel n’était pas le cas, il est indispensable que des efforts de communication soient rapidement faits. Le secteur faisait déjà face à de graves difficultés de recrutement avant cette crise, il ne faudrait pas qu’elles soient encore amplifiées par celle-ci. Au niveau de l’EPA, nous sommes notamment vigilants à ce que – si reprise de chantiers il y a – ce soit systématiquement à l’initiative des entreprises, dans un cadre sûr pour les compagnons et dans le contexte d’un dialogue social apaisé au niveau de l’entreprise.

Quelles sont vos propositions pour solutionner les problèmes liés à cette situation dans la fabrique de la ville ?

C’est dans les jours et semaines qui viennent que se joue en grande partie la force de la reprise économique qui sera indispensable dès que la bataille sanitaire aura été gagnée. Au travers des établissements publics d’aménagement, l’Etat dispose d’outils capables d’agir au plus près des territoires, en lien étroit avec les collectivités territoriales. Dans ce contexte, nous nous battons d’abord pour obtenir le dégel de toutes les procédures et autorisations d’urbanisme afin d’éviter un effondrement du plan de charge de la filière post confinement. A plus long terme, nous devons tous tirer les leçons de cette crise. La première concerne la nécessité de relocaliser une partie des activités en France. Le BTP n’échappe pas à ce constat car plusieurs chantiers étaient susceptibles de s’arrêter avant le confinement faute de matériaux ou composants en provenance de Chine. Nous devons retrouver une autonomie, à minima européenne voire nationale. L’EPA a commencé à traiter ce sujet depuis plusieurs années avec la construction bois en circuit court, mais il faut aller plus loin. Deuxième point notable, nous sommes convaincus que c’est à partir des différents territoires que va se construire la relance indispensable après la fin de la crise sanitaire. C’est là une excellente opportunité pour aller plus loin dans la décentralisation en renforçant les outils dont disposent les Régions et Métropoles, en lien étroit avec les services déconcentrés de l’Etat.

Cette crise va également réinterroger notre rapport à l’espace et à la mobilité. D’un côté, cette expérience du confinement et du télétravail « massif » va définitivement faire évoluer les perceptions des entreprises comme des salariés sur les modes d’organisation du travail, et donc sa géographie. Je suis persuadé que cela va avoir des impacts sur le phénomène de métropolisation, mais aussi sur l’immobilier. Si le logement devient un lieu de travail, cela induira des inflexions à long terme dans la pensée architecturale et la conception. Nous aurons aussi à aller plus loin dans la direction de la « dé-spécialisation » de l’immobilier ; sortir du « tout logement » et du « tout tertiaire » pour aller davantage vers des formes hybrides et résilientes.

Enfin, je m’interroge sur l’impact de cette crise sanitaire en matière de mobilité. Je ne suis pas sûr que notre expérience de distanciation sociale forcée nous incitera à remonter dans un bus ou un métro bondé le lendemain de la sortie de crise. Or nombre de politiques de métropolisation reposent sur une offre de transports publics très forte. Il sera probablement nécessaire de repenser cette approche de la mobilité, notamment vers des offres publiques de transport à la demande dont le modèle économique est rendu possible par l’automatisation des véhicules.

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

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