Habitué à gérer les crises, Hugues Parant explique à Décideurs comment l’EPA Euroméditerranée dont il est directeur général fait face à cette situation inédite. Il partage également ses convictions sur la relance économique et les évolutions à venir dans la fabrique de la ville.

Décideurs. Quel est l'impact à date de la crise sanitaire et du confinement sur votre activité ? 

Hugues Parant. Mon métier d’origine consistait à préparer les crises. J’ai adopté la même approche plus de quinze jours avant l’annonce officielle du confinement en préparant le plan de continuité d’activité. Nous avons vérifié tous les boulons du sous-marin, notamment en identifiant les logiciels nécessaires au télétravail et en veillant à ce que chacun puisse y avoir accès depuis son domicile. Nous étions ainsi totalement prêts le 17 mars. Les seules difficultés que nous avons rencontrées depuis ont été externes : certains services de l’Etat se sont arrêtés de fonctionner, la ville de Marseille a perdu des données suite à un bug informatique et nous avons manqué de matière à traiter en raison de l’arrêt des chantiers. Le moral de nos collaborateurs est excellent et nous organisons encore plus de réunions qu’en temps normal grâce à la visioconférence. Nous intéressons également le personnel à des réflexions stratégiques grâce à des conférences hebdomadaires d’une heure avec des intervenants extérieurs. Elles sont suivies ensuite de trente minutes de débats internes.

Concernant les chantiers, nous avons, dès le 17 mars, décidé d’ordonner la cessation d’activité. Nous avons ainsi pu rester dans l’économie des contrats et les entreprises qui interviennent sur les projets en cours ont apprécié notre prise de responsabilité. Depuis, nous avons pris les ordres de service de reprise d’activité permettant le redémarrage des chantiers. Les cinq chantiers dont l’EPA est maître d’ouvrage et six des douze qui sont pilotés par des acteurs privés ont redémarré. Ceux encore arrêtés ne le sont pas en raison d’une résistance des sous-traitants mais à cause d’interrogations sur la commercialisation des programmes. A cet égard, l’effet d’entraînement de l’établissement public d’aménagement devrait rassurer les maîtres d’ouvrages privés. Quant aux questions indemnitaires, je pense qu’elles seront simples à gérer car nous avons eu des échanges très satisfaisants pendant la période d’arrêt avec les différentes parties prenantes. 

La solidarité est le leitmotiv des professionnels de l'immobilier depuis le début du confinement. Comment cela se matérialise-t-il au sein de votre activité ? 

Nous avons joué à plein la solidarité avec les entreprises qui travaillent sous notre maîtrise ouvrage en soldant les factures le plus rapidement possible pour continuer à irriguer le tissu local de PME et en accompagnant celles qui en avaient besoin pour résoudre les problèmes matériels liés à l’application du guide de préconisations de l’OPPBTP. Ce dernier a amené une lecture plus claire des consignes de sécurité mais il a été trop loin sur la responsabilisation des maîtres d’ouvrage. Ce sont les entreprises qui interviennent sur les chantiers qui doivent veiller à ce que les règles soient bien appliquées. Pour l’instant, nous n’avons rencontré aucune difficulté sur les chantiers qui ont repris. Concernant les promoteurs privés, nous sommes dans une relation souple avec eux car ils n’ont pas d’obligation sur la date de livraison.

Quel regard portez-vous sur l’action du gouvernement français dans cette situation de crise sanitaire ?

Les ministres qui constituent le gouvernement ont été submergés par la question sanitaire. Dans le champs ministériel qui est le notre, les premiers textes réglementaires ont permis de gérer la crise en protégeant les entreprises, les salariés, les mal-logés, les personnes en situation d’isolement, les sans-abris… Nous n’étions pas au cœur des urgences à traiter. L’Etat a ensuite commencé à préparer la relance économique. Des correctifs ont été apportés, notamment sur la question de l’instruction des autorisations d’urbanisme, et d’autres pourraient venir s’ajouter dans les semaines à venir. Tout ceci fait partie d’un processus normal qui a commencé depuis deux mois à peine. Nous devons donc rester humbles, et ne pas exiger l’impossible. Le virus est encore là. Par ailleurs, la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) a réuni à plusieurs reprises par visioconférence les directeurs d’EPA et parfois d’EPF pour recueillir nos retours.

"Pour continuer à attirer de futurs habitants vers les cœurs de métropole, il faudra développer des quartiers-villages"

Comment préparez-vous le déconfinement ? 

Rien ne changera d’ici le 30 mai. Nous aviserons ensuite. Des mesures de circulation seront déployées et nous ferons en sorte de ne pas compter plus de 30 % du personnel au même moment dans les locaux de l’établissement public. Il n’y aura aucun contact au sein des bureaux et les réunions seront uniquement possibles dans la cafétaria avec une limite de huit personnes et dans la salle du conseil d’administration afin de respecter les distances de sécurité sanitaire nécessaires. Les rendez-vous avec des personnes extérieures à l’EPA ne reprendront pas avant le 30 mai, et resteront extrêmement controlés jusqu’au 30 juin. A moyen terme, je pense que le télétravail marquera durablement les esprits. Ses vertus impacteront durablement notre manière de travailler et influeront sur la façon dont nous penserons désormais nos futurs projets urbains.

Quel pourrait être le rôle de l’immobilier dans la relance économique ?

Dans une ville comme Marseille, la relance ne peut être efficace que si elle est rapide et ciblée sur des secteurs qui irriguent profondément le tissu économique. Le BTP en est un. Mais les efforts doivent porter sur les projets vertueux du point de vue du développement durable. Les EPA peuvent allumer la mèche de la relance au plan local. Nous avons la capacité à mobiliser rapidement du foncier à des coûts attractifs. Le côté expérimental des opérations d’intérêt national jouera également à plein pour inciter les promoteurs à tenter de nouvelles approches tout en minimisant les risques. Le conseil d’administration d’un EPA comme Euroméditerranée rassemble différentes collectivités et favorise le consensus politique. Enfin, nous sommes en mesure de veiller à ce que le volet développement durable des projets soit bel et bien avéré au sein de notre périmètre d’intervention. Ma vision est partagée par de plus en plus de personnes, nous verrons si elle sera retenue dans les prochaines semaines.

Dans quelle mesure cette crise sanitaire pourrait faire évoluer à moyen terme votre stratégie et les grands principes de fonctionnement du secteur de la fabrique de la ville selon vous ?

Elle pourrait redéfinir la relation entre la ville et le citoyen. Depuis dix ans, l’effet métropolitain centrifuge à jouer à plein. Mais il a provoqué une inflation des prix de l’immobilier, repoussant les classes moyennes en périphérie et provoquant une désertification des centres-villes le soir. On peut donc prévoir un mouvement de retour vers les zones semi-rurales, ce qui contribuera à la renaissance d’une myriade de petits bourgs. Pour continuer à attirer de futurs habitants vers les cœurs de métropole, il faudra donc développer des "quartiers-villages". Pour y parvenir, les aménités de base devront être implantées à proximité immédiate de ces nouvelles centralités.

La crise sanitaire va également redéfinir la manière dont concevons la ville. Dans les logements, les espaces partagés et de respiration vont devenir très recherchés. Nous allons revoir la charte d’Euromed 2 pour intégrer cette nouvelle dimension. Concernant les bureaux, Marseille se trouve dans une situation singulière. Nous avons quinze années de retard par rapport à d’autres métropoles comme Lyon dans le développement tertiaire. Le taux de vacance s’élève actuellement à 1 % et nous avons pris la décision de relancer au moins 400 000 m² de bureaux pour éviter de nous retrouver dans une situation de bulle locative. Le rééquilibrage possible entre l’offre de bureaux classiques et celle des tiers lieux ne constitue donc pas un sujet pour nous. Les commerces reprennent quant à eux une valeur considérable dans la relation avec les espaces publics. Ils vont devenir divers et mélangeront commerces traditionnels, makers (ndrl : artisans) et espaces "do it yourself". Ce mix est crucial pour réussir à développer des quartiers-villages et pour attirer une population intergénérationnelle. Enfin, les espaces publics ne devront plus seulement être des endroits de regroupement. Nous avons travaillé pendant deux ans avec des paysagistes et des hydrauliciens sur le sujet. Ils devront être suffisamment large pour permettre une circulation fluide tout comportant des espaces partagés, de la nature… Chacun deviendra un espace spécial. Pour les gérer, nous devrons également innover. L’EPA pourrait passer une convention avec la collectivité pour gérer lui-même certains espaces comme cela se fait déjà à HafenCity à Hambourg ou bien mettre en place un système sous statut privé dans lequel le modèle économique permet d’assurer la gestion des espaces ouverts.

Toutes ces évolutions auront bien sûr un coût. Or les Marseillais ont une sociologie propre. Rien ne prouve que nos futurs habitants auront les moyens d’assumer ces innovations urbaines, qui se révèleront pourtant essentielles à l’issue de la crise. Nous réfléchissons donc à la mise en place de mécanismes pour abaisser la charge mensuelle liée à une acquisition. Nous avons notamment étudié des dispositifs qui ont été déployés aux Pays-Bas, au Danemark et en Allemagne pour rendre acceptable le coût d’acquisition par des ménages aux ressources limitées. Ce n’est pas seulement un enjeu de solvabilisation du marché immobilier. C’est aussi une voie, la seule peut être, pour favoriser le "choc de qualité urbaine" qui va être demandé par nos populations urbaines.

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

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