Centre d’études, de recherche et de prospective, l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) suit de près les impacts de la crise sanitaire et du confinement sur la fabrique de la ville. Son directeur général Christian de Kerangal partage avec Décideurs son analyse.

Décideurs. Quels premiers enseignements tirez-vous de la crise sanitaire et du confinement ?

Christian de Kerangal. Nous sommes dans une situation de crise sanitaire qui a des conséquences économiques. Nous ne sommes donc pas dans un dérèglement des marchés, ce qui rend délicat la comparaison avec les crises économiques précédentes. En décidant le confinement pour stopper la propagation du virus, les gouvernements ont créé les conditions d’une crise économique qui va être massive. Les Français n’en perçoivent pas encore la réalité car les pouvoirs publics ont mis en place des mesures de soutien efficaces.

Dans l’industrie immobilière, le monde de la construction et de la promotion a néanmoins été très impacté avec un arrêt quasi-total des chantiers. Ces derniers reprennent progressivement mais avec un niveau de productivité compris entre 50 et 90 % en raison des mesures sanitaires. En ajoutant le ralentissement dû à la tenue des élections municipales qui ne s’achèveront peut-être qu’en octobre prochain, l’année 2020 aura été très compliquée pour les développeurs. L’offre de logements neufs sera d’ailleurs encore réduite pendant plusieurs mois avec le report de l’instruction de nombreux permis de construire. Le marché retrouvera un rythme normal d’ici mi-2021 au mieux.

La commercialisation résidentielle et en immobilier d’entreprise a également été mise à l’arrêt pendant le confinement car les visites n’étaient plus possibles et nombre de sociétés ont reporté leurs projets de déménagement en attendant d’avoir plus de visibilité sur leur activité. Le volume d’investissement a quant à lui diminué mais il ne s’est pas effondré. Plusieurs deals qui étaient en cours ont été finalisés pendant le confinement et de nouvelles transactions ont été initiées au cours de cette période. Les sociétés de gestion pour le compte de tiers, notamment les SCPI et OPCI qui avaient beaucoup collecté en début d’année, ont été les plus actives. Nous avons même observé de la concurrence sur certaines opérations. Les investisseurs en fonds propres comme les assureurs et les fonds de pension ont eu une attitude plus attentiste, guettant l’évolution des prix. Les foncières cotées sont quant à elles dans un cycle de gestion car elles ont été très pénalisées en bourse.

Autre point marquant, les investisseurs ont dû mettre l’accent sur leurs relations avec les locataires. Les enseignes et hôtels qui ont été fermés font souvent face à des difficultés de trésorerie. Des négociations ont rapidement été engagées avec leurs bailleurs. C’est également vrai pour les PME, les TPE, les indépendants et certains grands groupes dans des secteurs en souffrance comme l’automobile ou l’aéronautique. L’industrie immobilière a donc réagi de manière responsable et solidaire. Je trouve toutefois dommage que certains utilisateurs aient cherché à bénéficier d’un effet d’aubaine en invoquant le cas de force majeure ou l’impossibilité d’accéder aux locaux pour négocier des franchises de loyers. Au final, le taux de recouvrement des loyers des propriétaires avec qui j’ai pu échanger se situe entre 50 et 80 % en avril. C’est un bon indicateur, d’autant plus que des reports ont été consentis sur ce mois.

Quel regard portez-vous sur l’action du gouvernement ?

Sur le plan économique, je lui donne un satisfecit. Les gouvernements et les banques centrales ont réagi rapidement, fortement et de manière bien ciblée en concentrant leurs efforts sur les entreprises plutôt que sur les ménages qui auraient épargné pendant le confinement. Concernant l’industrie immobilière, le gouvernement a accepté une position équilibrée, notamment sur le report des délais d’instruction des autorisations d’urbanisme. Il a également fait au mieux sur la question de la reprise des chantiers. Les pouvoirs publics ont par ailleurs joué leur rôle en incitant les bailleurs à la négociation avec les locataires, même si ces derniers l’auraient fait spontanément, ayant tout intérêt à conserver un locataire en place. Un bémol toutefois : le gouvernement doit sortir de cette vision de la rente immobilière et considérer les bailleurs comme des parties prenantes responsables et solidaires. De plus, dans la négociation en cours, les intérêts des mandants doivent également être pris en compte. Nombre de porteurs de parts de SCPI ont par exemple besoin des dividendes qui leur sont versés pour vivre.

"Nous constatons une hausse de 40 à 60 points de base du taux de capitalisation implicite des SIIC"

Comment vont évoluer les taux de capitalisation et de rendements selon vous ?

Les investisseurs envisagent une baisse de la rentabilité locative de l’ordre de 10 à 15 % annuel selon leur stress test. L’ampleur sera différente suivant les typologies de locataires et d’actifs. Nous anticipons d’ailleurs un retour en force de la prime de risque locative dans les évaluations des actifs. Concernant la valorisation des immeubles, nous nous attendons à une baisse. Mais nous ne savons pas encore de quel ordre. Les expertises du premier semestre 2020 donneront une première indication. Nous pouvons également regarder le cours de bourse des foncières cotées et le rapporter à la valeur de leur patrimoine. Nous constatons ainsi une hausse de 40 à 60 points de base du taux de capitalisation implicite des SIIC. Cette moyenne varie suivant la typologie des actifs. Le résidentiel apparait comme la classe d’actifs la plus résiliente. La logistique a peu baissé, tout comme la santé au sein de laquelle des différences existent entre les typologies de patrimoine. Le commerce et l’hôtellerie ont, sans surprise, beaucoup plus souffert. Quant au bureau, le taux de capitalisation implicite a légèrement augmenté au global. Mais des disparités existeront entre secteurs géographiques. A Paris intra-muros, le décalage était tellement fort entre la demande et l’offre que les loyers devraient rester stables ou diminuer légèrement et le taux de capitalisation devrait augmenter de manière mesurée. A contrario, la première couronne souffrira et la deuxième couronne encore davantage. Au final, les écarts entre les taux de rendement associés aux différents profils de risques vont se desserrer. La réalité des marchés sera ainsi mieux reflétée.

Quel pourrait être le rôle de l'industrie immobilière dans la relance économique ? 

Un plan de relance sera nécessaire pour contrer la crise économique qui s’annonce. Il devra être à minima national, européen dans la mesure du possible. Le secteur de la construction et de la promotion devra être concerné car il est très pourvoyeur en emplois. Cette crise sanitaire doit également être l’occasion d’accélérer l’évolution vers un immobilier plus décarboné. Je suis contre un moratoire sur les exigences environnementales car ce serait une vision à court terme. Le Covid-19 ne sera rien à côté des répercussions du changement climatique si nous ne nous mobilisons pas maintenant. Notre industrie devra également accentuer le virage de la digitalisation pour apporter davantage de fluidité et d’efficacité dans les échanges entre propriétaires et locataires. Ces derniers pourraient être amenés à réduire les surfaces occupées pour faire face à des problèmes financiers immédiats ou alors dans le cadre d’une réflexion globale sur l’organisation du travail. Et les prix devront être ajustés pour répondre à leurs attentes. 

Dans quelle mesure cette crise sanitaire pourrait-elle faire évoluer à moyen terme les grands principes de fonctionnement du secteur de la fabrique de la ville selon vous ?

Nous allons traverser une période de turbulences de 6 mois/un an pendant laquelle coexisteront des préoccupations de très court terme et des réflexions sur les évolutions structurelles. Cette période va accélérer un certain nombre de mutations déjà à l’œuvre. Nous serons en mesure de faire la distinction entre les épiphénomènes et les tendances de fond dans quelques mois. Il semble toutefois acquis que le télétravail va se renforcer dans les entreprises. Dans les grands groupes, il était utilisé un jour par semaine en moyenne avant la crise. Cette fréquence pourrait passer à deux jours dans les prochains mois. Cette nouvelle donne amènera les utilisateurs à s’interroger sur leur stratégie immobilière. A moyen terme, cela pourrait entraîner une diminution de la consommation de mètres carrés, pas forcément massive, et une redéfinition du bureau comme un lieu de socialisation et de partage des valeurs de l’entreprise et non plus comme un espace de production. Cette évolution de l’organisation du travail pourrait également conduire à une vague de déménagements de collaborateurs dans des villes secondaires bien connectés aux métropoles. Mais le mouvement de métropolisation ne s’inversera pas pour autant car les tendances de fond qui le favorisent sont nombreuses et profondes. Au niveau de la conception des bureaux, l’enjeu de la santé prendra une place prépondérante. Enfin, j’espère que les efforts s’accentueront en matière d’investissements socialement responsables et d’ESG. Il est fondamental d’avoir une réflexion sur ce que doit être une ville résiliente. La crise sanitaire actuelle questionne cette dimension.  

Propos recueillis par François Perrigault (@fperrigault)

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