La crise sanitaire va impacter pendant plusieurs mois les fondamentaux qui servent à fixer les loyers des bureaux, des commerces et de la logistique. Décideurs décrypte les évolutions attendues sur chacun de ces marchés.

Quel est le sujet qui fait consensus en ce moment dans l’industrie immobilière ? Il existe bel et bien une réponse à cette question : l’évolution des loyers au cours des prochains mois. Selon un sondage réalisé par Bureauxlocaux auprès de 300 dirigeants d’entreprises qui étaient en recherche de bureaux à louer ou à acheter avant la crise, 60 % s’attendent à une baisse. Parmi ces derniers, la moitié anticipe un recul des loyers compris entre 10 % et 20 %. Bureauxlocaux a également interrogé 200 agents spécialisés en immobilier d'entreprise sur la question. Ils sont 65 % à prévoir une diminution des loyers dans le secteur des bureaux et 74 % dans celui des commerces. A contrario, 55 % des répondants misent sur une stabilité des valeurs locatives pour les entrepôts. Et qu’en est-il du côté des investisseurs ? Cushman & Wakefield a sondé 176 d’entre eux (foncières, fonds d’investissement, OPCI / SCPI, compagnies d’assurances, investisseurs privés) sur le sujet. Un consensus semble se dessiner pour une stabilité de l’immobilier logistique, un recul compris entre 5 % et 15 % pour les bureaux, et une correction supérieure à 15 % pour le commerce. Quant aux professionnels de l’immobilier interrogés par la RICS, ils estiment que les commerces devraient souffrir au cours des douze prochains mois avec des baisses de loyers estimées à -10 % pour les biens secondaires et -7 % pour ceux prime. Les loyers des biens industriels prime devraient rester stables alors que ceux des ensembles secondaires devraient subir une baisse de -1,5 %. Enfin, la chute devrait atteindre -2 % pour les bureaux prime et -4 % pour ceux de qualité secondaire.

Entre mesures d’accompagnement et correction des valeurs


"Nous anticipons une demande placée de bureaux comprise entre 1,3 million et 1,8 million de mètres carrés en 2020 en Île-de-France suivant la rapidité de la reprise, analyse Magali Marton, directrice du département recherche de Cushman & Wakefield en France. Cela représentera un recul de 40 % par rapport à la moyenne décennale. Dans ces conditions, le taux de vacance pourrait passer de 5 % à 8 % d’ici à la fin de l’année." L’équation variera néanmoins selon les secteurs géographiques. Dans Paris intra-muros, la demande d’espaces de bureaux était largement supérieure à l’offre disponible avant la crise sanitaire. Il faudrait donc plusieurs trimestres consécutifs de faibles niveaux de commercialisation pour rétablir l’équilibre avant d’envisager une baisse des loyers. "Nous anticipons une progression des mesures d’accompagnement comme les franchises ou les participations aux travaux à Paris et à Neuilly-Levallois dans les prochains mois", complète Magali Marton. A contrario, des zones comme la Boucle Nord (Asnières-sur-Seine, Gennevilliers, Villeneuve-La-Garenne), Péri-Défense (Bois-Colombes, Colombes, Courbevoie, La Garenne-Colombes, Nanterre, Puteaux, Rueil-Malmaison, Suresnes) ou La Défense (compte tenu de la volumétrie de chantiers en cours) devraient davantage souffrir. "Certains secteurs verront leur taux de vacance approcher les 15 %, voire 20 %, ce qui rendra la baisse des valeurs locatives quasiment inéluctable", précise Magali Marton. Elle ajoute à propos des marchés régionaux : "Les ajustements seront moindres qu’en Île-de-France car les niveaux de loyers y sont plus bas et moins élastiques." La situation est beaucoup moins lisible dans le secteur du commerce.

Le commerce à la peine, la logistique a la cote


"La limitation des flux, notamment dans les centres commerciaux, aura un impact sur le chiffre d’affaires des commerçants, donc sur les loyers, assure Patrick Colomer, expert près de la cour d’appel de Paris et dirigeant de Colomer Expertises. Tous les acteurs anticipent une baisse des valeurs locatives, mais reste à savoir quelle en sera l’ampleur." Les formats ne seront pas tous logés à la même enseigne. Les commerces en pied d’immeuble devraient ainsi être moins à la peine que les centres commerciaux. "Le chiffre d’affaires de ces derniers devrait atteindre la moitié du niveau habituel jusqu’à la rentrée et les flux de visiteurs vont chuter, souligne Magali Marton. Les centres commerciaux sont donc partis pour un long chemin compliqué. Quant aux retail parks, nous aurions pu penser qu’ils allaient résister car ils offrent un côté sécurisant avec leur dimension à ciel ouvert et disposent d’une offre commerciale adaptée au pouvoir d’achat des consommateurs qui va baisser. Mais les investisseurs s’attendent à un recul de 15 % des valeurs locatives pour ce format également." Ils se montrent beaucoup plus confiants pour la logistique. La majorité des acteurs interrogés par Cushman & Wakefield prévoient un retour à la normale du marché locatif en 2021 en ce qui concerne les actifs de la logistique. "Nous anticipions une croissance des loyers des entrepôts depuis plusieurs années en raison des bons fondamentaux de ce marché, rappelle Magali Marton. La donne n’a pas changé avec la crise sanitaire : le secteur restera tiré par la distribution, l’omnicanalité et le besoin d’entreposage. En face de cette forte demande, l’offre progressera moins vite que prévu car nombre de chantiers ont été arrêtés pendant le confinement. Les ingrédients sont donc réunis pour envisager une progression des valeurs locatives dans la logistique dès 2021." Dans ces conditions, la question de la performance des investissements en immobilier d’entreprise se pose. 

Vers une nouvelle grille de taux de rendement


"Les investisseurs envisagent une baisse de la rentabilité locative de l’ordre de 10 % à 15 % annuel selon leur stress test, révèle Christian de Kerangal, directeur général de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF). L’ampleur sera différente suivant les typologies de locataires et d’actifs." Quant aux taux de rendement prime, 77 % des investisseurs interrogés par Cushman & Wakefield anticipent une décompression dans les mois à venir. Une ampleur qui, encore une fois, variera selon les classes d’actifs considérées : le résidentiel apparaît comme le plus résilient (entre 0 et 25 points de base) et les centres commerciaux comme les plus impactés. "Les écarts entre les taux de rendement associés aux différents profils de risques vont se desserrer, complète Christian de Kerangal. La réalité des marchés sera ainsi mieux reflétée." Un nouveau cycle a bel et bien commencé.

Par François Perrigault (@fperrigault)

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