Le télétravail est devenu très rapidement une des rares options permettant de concilier confinement et vie professionnelle dans le secteur tertiaire. Vu par certains comme une solution tant écologique que respectueuse des règles sanitaires, l’Ademe démêle le vrai du faux dans un rapport. Décryptage.

L’Agence de la transition écologique (Ademe) a récemment publié son étude "Caractérisation des effets rebond induits par le télétravail", dans le but de brosser un portrait réaliste de cette pratique devenue un nouveau standard. Mais pour combien de temps ? Le télétravail est-il une alternative si avantageuse vu par le prisme de l’écologie ? L’agence a tenté de répondre à ces questions en évaluant consciencieusement les dynamiques inhérentes à son adoption et son application massive, tout en veillant à appréhender les conséquences de potentiels "effets rebonds".

Une redéfinition des modes de transports et de l’immobilier

"Un jour de télétravail permet de réduire de 69% le volume des déplacements du jour", tout en favorisant les trajets plus courts, à proximité des lieux de vie. Les schémas de déplacements sont, selon l’Ademe, redessinés jusqu’à suivre un tracé en étoile, propices à la fluidification du trafic urbain et, par conséquent, à l’amélioration de la qualité de l’air. De plus, ces trajets de proximité vont de pair avec une modification des habitudes de transports, certains salariés se déclarant prêts à privilégier la marche, le vélo ou autres dispositifs de mobilité active, à la voiture ou aux transports en commun. 32% des participants à l’enquête de l’Ademe évoquent un souhait de profiter du télétravail pour "ne pas prendre de transport/voiture" et ainsi "se déplacer à pied", "se recentrer sur leur quartier, sur les commerces de proximité" et "sur une consommation plus locale".  L’agence a également pris soins de comparer différents scénarios individuels, de la relocalisation périurbaine à la relocalisation aérienne (nécessité de prendre l’avion pour se rendre au travail), en passant par la rurale. Chaque simulation est accompagnée d’un nombre de jour de télétravail à honorer pour compenser une partie des impacts environnementaux d’un déplacement sur site.

D’autre part, la généralisation du télétravail permet également la réduction des surfaces immobilières occupées par les entreprises. Outre les évidents avantages financiers à occuper des superficies moins importantes pour les entreprises, "la balance environnementale globale du télétravail s’améliore très sensiblement de +52 % par jour de télétravail hebdomadaire (soit -234kg eqCO2/an pour chaque jour de télétravail hebdomadaire supplémentaire)". Allant de pair avec une réduction des espaces de travail, les entreprises enregistrent également une baisse de leurs "dépenses de bureaux" (fournitures etc.) et de leur consommation d’énergie.

Attention au rebond

Cependant, l’Ademe met en garde contre de potentiels effets rebonds, qui pourraient nuancer de façon non négligeable les bienfaits environnementaux du télétravail, en comparaison à un fonctionnement "business as usual" du marché du travail. En effet, il est envisageable que la réduction de surface immobilière tertiaire soit en partie contrebalancée par "l’utilisation des tiers-lieux (qui pourraient maintenir des déplacements résiduels et multiplier les surfaces immobilières) et les extensions de logement" du côté des particuliers selon l’organisation. De plus, le télétravail augmentant drastiquement le recours aux visio-conférences et le recours aux systèmes informatiques en général, il fait également pression sur l’équipement informatique, incitant les particuliers à agrandir leur collection de machines et autre matériel numérique. Vient s’ajouter à cela, le possible report des économies énergétiques des entreprises sur les particuliers, dont la facture d’électricité pourrait grimper significativement.

A l’heure où le numérique représente environ 4 % des émissions mondiales de gaz carbonique, d’après le rapport du think tank The Shift Project : "Déployer la sobriété numérique", il convient d’établir avec précision l’impact de la généralisation du travail à distance sur le parc de matériel informatique. Autre effet à prendre en compte, le monde du numérique est en pleine expansion avec un taux de croissance de ces émissions de 8 % par an et il pourrait, selon le think tank, doubler sa part dans les émissions mondiales d’ici 2025. A titre de comparaison, "cela représente davantage que les 2 % usuellement attribués au transport aérien civil". "L’effet rebond défavorable en lien avec les visioconférences s’élève à lui seul en moyenne à 2,6kg eqCO2/an pour un jour de télétravail hebdomadaire" et, en tout, l’Ademe considère que la totalité des effets rebonds pourraient "réduire en moyenne de 31 % les bénéfices environnementaux du télétravail".

Ecologie numérique ?

C’est au vu de ces conclusions qu’Audric Mazzietti, enseignant-chercheur en psychologie et responsable digital learning de l’Esdes Lyon Business School, appelle les entreprises à développer une véritable "écologie numérique" dans l’optique d’absorber une partie des impacts écologiques néfastes du télétravail. Une mission d’information sur l’empreinte environnementale du numérique a été initié par le bureau de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et vise à évaluer l’empreinte environnementale du numérique. Le concept de "sobriété numérique" est mis en avant, alors que la mission d’information sénatoriale rappelle qu’il est crucial de ne pas faire du numérique un monde déconnecté, de ne pas rompre ses attaches à la sphère physique. Ainsi, réduire l’empreinte des terminaux et autres data centers, véritables gouffres à énergie, est l’un des piliers de cette sobriété. Leur renouvellement trop fréquent est un coût environnemental, très loin d’être indispensable selon le rapport, qui se doit d’être évité, au même titre que la surconsommation de données 4G.

Considérer les données comme "une ressource nécessitant une gestion durable" à l’instar de ressources halieutiques ou forestières est un autre point de réflexion soulevé par le bureau de la commission. Ainsi, les offres de forfaits illimités proposées par les opérateurs téléphoniques sont, pour eux, l’illustration d’une gestion déraisonnable des réseaux, encourageant à la consommation excessive de données. "Une connexion internet 4G consomme 23 fois plus d'énergie qu'une connexion Wifi", souligne Audric Mazzietti, d’où la nécessité de s’assurer que les collaborateurs en télétravail bénéficient d’un équipement de qualité. Au regard des chiffres, le télétravail semble arborer un bilan écologique plus positif que le travail en présentiel. Toutefois, il faudra anticiper les éventuels effets rebonds et instaurer une "écologie numérique" pour faire du travail à distance une option viable sur le plan environnemental.

Thomas Gutperle

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