Née en 2000 pour accompagner l’ouverture à la concurrence du marché de l’énergie, la CRE a vu progressivement ses prérogatives évoluer et s’élargir. Son président, Jean-François Carenco, revient avec Décideurs sur cette montée en puissance du régulateur et sur les mutations à l’œuvre dans le secteur.

Décideurs. La CRE vient de fêter ses vingt ans. Pouvez-vous nous rappeler la mission du "gendarme de l’énergie" ?

Jean-François Carenco. Gendarme est un terme beaucoup trop réducteur et ne correspond ni aux missions du régulateur ni aux enjeux du secteur de l’énergie. La construction du marché européen de l’énergie est au cœur de chacune des missions de la CRE qui œuvre à sa fluidité et son efficacité pour le bénéfice de tous. La défense du consommateur, particulier comme industriel, est au centre de nos préoccupations. Sur cette question, le prix n’est pas la seule question, contrairement à ce que les débats médiatiques peuvent laisser penser. Le bénéfice du consommateur englobe également la sécurité et la qualité des approvisionnements à court, moyen et long terme. Nos missions portent également sur les réseaux puisque nous approuvons le programme d’investissement des réseaux de transport et fixons les tarifs de la distribution et du transport par les réseaux. Nous sommes en quelque sorte le pater familias des réseaux de gaz et d’électricité. Avec la décentralisation de la production inhérente au développement des énergies renouvelables, nous allons passer à plusieurs centaines de milliers de lieux d’injections, un défi technologique, juridique, et financier ! Enfin, la transition énergétique : le développement des énergies renouvelables est au cœur de notre travail, avec les opérateurs, le gouvernement et le Parlement. À ces grandes missions, je me suis fixé un objectif supplémentaire : faire en sorte que les citoyens comprennent mieux les enjeux sociétaux de l’énergie, qui constitue l’épine dorsale de notre vie en commun dans le monde. Vingt ans, c’est jeune ! Nous sommes loin d’être au bout de ce que nous savons et pouvons faire.

Je suis de ceux qui pensent qu’il faut réduire la proportion de nucléaire de manière raisonnée et raisonnable

La filière nucléaire française n’est pas au mieux… quel est son avenir ?

Je tiens à rappeler que le nucléaire nous permet d’avoir une électricité parmi les moins chères d’Europe, décarbonée, et que nous exportons largement. Aujourd’hui 72% de la consommation française d’électricité vient du nucléaire. Le gouvernement a décidé qu’en 2035, ce ne sera plus que 50 %. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut réduire la proportion de nucléaire de manière raisonnée et raisonnable. La dépendance actuelle est trop forte et on a vu que le confinement, en perturbant le calendrier d’entretien et de maintenance des centrales, a créé de sérieuses inquiétudes sur le passage de la pointe l’hiver prochain.  Fort heureusement, la sortie du confinement se passe plutôt bien et la situation s’est améliorée, même si elle reste tendue pour cet hiver. Parallèlement, le coût des énergies renouvelables a fortement baissé et il est parfaitement raisonnable de les développer rapidement, en conduisant les appels d’offres de façon efficace pour limiter le soutien public au strict nécessaire.   

Une réforme du dispositif Arenh est nécessaire 

Le dispositif Arenh a montré ses limites. Quelles sont les pistes pour le réformer ?

Le dispositif de l’Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh) a été créé en 2010, dans un contexte totalement différent de celui que l’on connaît aujourd’hui : peu de fournisseurs alternatifs et un prix de marché élevé. Un quota de 100 TWh a été fixé, sur la production nucléaire d’EDF, réservé à ses concurrents au prix de vente régulé de 42 euros/MWh, inchangé depuis 2012.  Aujourd’hui, le contexte a beaucoup évolué, la concurrence s’est développée couvrant une part du marché de près de 50 % en volume et les fournisseurs sont beaucoup plus nombreux. À l’inverse, le dispositif de l’Arenh n’a pas évolué. La CRE considère qu’une réforme est nécessaire, dans l’intérêt du consommateur. Je plaide pour une hausse du plafond à 150 TWh afin de lutter contre la hausse des prix pour le consommateur. Face à ces débats, le gouvernement, et je trouve qu’il a raison, veut lancer un nouveau type de régulation nucléaire qui passe par une négociation avec la Commission européenne. Il nous a été demandé de calculer quel est le coût de production du nucléaire historique. Ce travail effectué, nous sommes allés présenter nos conclusions à Bruxelles.

Quelles ont été les étapes franchies cette année en matière de construction du marché européen de l'électricité ?

Depuis 1945, il n’y a pas eu de guerre sur le territoire de l’Union européenne, fait inédit dans l’histoire de l’humanité. Construire le marché intérieur de l’énergie est donc un projet qui a un sens profond pour moi. Concernant le secteur énergétique, il faut avant tout garantir la sécurité d’approvisionnement au meilleur prix, tout en répondant aux objectifs de la transition énergétique. C’est possible grâce au maillage renforcé des réseaux d’électricité et gazier sur tout le territoire européen.  Le paquet « Énergie propre » entré en vigueur le 4 juillet 2019 a approfondi les règles de construction européenne, en articulant énergies renouvelables, concurrence et sécurité du système, notamment en matière d’équilibrage des réseaux d’électricité. Alors qu’un nouveau paquet vert de relance européenne se prépare, nous avons envoyé à nos homologues européens dix fiches sur les thèmes que nous souhaitons voir traités, en particulier sur les sujets actuels portant sur les réseaux.

Où en est-on de l’intégration des réseaux ?

La France est le seul grand pays européen ayant conservé ses gestionnaires de réseaux sur le modèle ITO (Independent Transmission Operator), les autres étant en modèle OU ( Ownership Unbundling). Dans le modèle ITO, les réseaux appartiennent à un producteur/fournisseur, et de ce fait ne sont pas autorisés à acquérir des réseaux étrangers. Or, nous avons des entreprises performantes, et je souhaiterais qu’elles se développe en Europe. Les Belges, les Espagnols et les Italiens le font déjà. Cela doit constituer une priorité. Il appartient au gouvernement et aux actionnaires de modifier ce modèle : les réseaux sont amenés à jouer un rôle de plus en plus fort dans l’équation énergétique et écologique.

Quel avenir pour l’hydrogène en France ?

L’hydrogène est vieux comme le monde ! C’est un retour aux sources intéressant. Il présente des avantages pour l’énergie au niveau du stockage, de la mobilité et de l’injection dans les réseaux.  Pour le moment, l’hydrogène coûte très cher : je suis favorable au développement des expérimentations, ce que la CRE a lancé et encouragé. Citons notamment le projet Jupiter, à Fos-sur-Mer, où l’on produit de l’hydrogène par électrolyse, pour partie injecté dans le réseau de gaz et pour partie transformé en méthane en utilisant du CO2.

Nous suivons tous ces projets avec attention et encourageons les gestionnaires de réseaux investir dans la R&D par l’intermédiaire de ces projets. Aujourd’hui, l’hydrogène est un élément majeur du plan de relance français. Je suis attentif au débat sur le bas carbone : est-ce que l’hydrogène produit à partir de nucléaire est plus mauvais que celui produit à partir d’éoliennes ? La France doit arriver à faire en sorte que l’hydrogène nucléaire soit considéré comme de l’hydrogène propre. Cela constitue un coût et c’est au gouvernement que revient la décision.

Propos recueillis par Boris Beltran

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