L’Agence internationale de l’énergie (IEA) a récemment sorti son World Energy Outlook 2020. Au crépuscule d’une crise sanitaire sans pitié, le secteur énergétique a été très durement touché, alors même que des changements cruciaux étaient à l’œuvre. L’IEA délivre son analyse et éprouve la solidité de l’architecture de la transition énergétique et de ses composants à travers divers scénarios. Décryptage du rapport.

Le 13 octobre, l’Agence internationale de l’énergie publie son rapport annuel, World Energy Outlook 2020, dans lequel elle examine quels pourraient être les potentiels impacts de la pandémie sur le secteur de l’énergie en général, et plus précisément sur la vitesse et l’évolution de la transition énergétique. Le Coronavirus a profondément ébranlé le secteur énergétique, l’IEA estimant une baisse de 5 % de la demande d’énergie au cours de l’année. Le rythme de récupération du secteur pourrait bien dépendre des actions mises en œuvre.

De multiples scénarios

Comme dans tout effort de prospective, l’organisme rappelle qu’il n’existe pas un unique scénario envisageable, mais bien des "futuribles", d’après le néologisme de Bertrand de Jouvenel, à savoir une multitude de futurs possibles. L’agence a opté pour quatre scénarios bien distincts, faisant varier les paramètres générateurs d’incertitudes. Le premier scénario, celui des politiques déclarées (Steps), prend à la lettre les intentions et objectifs des divers plans de relance et des politiques lancées à ce jour, résultant en une reprise rapide et un retour au niveau économique d’avant crise, dès 2021. Le scénario de la reprise retardée (DRS) est plus nuancé que le premier, bien qu’il se base sur les mêmes hypothèses de départ. Toutefois, il envisage une reprise plus lente, l’économie ayant été touchée en profondeur par le Covid-19. Ici, il n’est plus question d’une récupération complète en 2021, mais bien deux années plus tard, en 2023.

Ensuite, le scénario du développement durable (SDS) explore la piste d’une "relance verte", soutenue par d’importants investissements dans une énergie décarbonée et des prises de position politique fortes, faisant rentrer les filières énergétiques dans le respect des accords de Paris. Enfin, le scénario "zéro émission nette" d'ici 2050 (NZE2050), au titre plutôt explicite, est une version plus poussée du scénario précédent, de nombreux pays se joignant à l’effort de neutralité carbone pour 2050, avec en ligne d’horizon une neutralité carbone globale en 2070.

Croissance de la demande mondiale d'énergie primaire par scénario, 2019-2030

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©IAE – World Energy Outlook 2020

Les plus démunis, injustement touchés

Très injustement, il apparaît que les impacts néfastes sur les systèmes de production d’énergie, suite à la crise sanitaire, frappent avec le plus d’intensité les plus démunis. L’IEA déplore dans son rapport qu’une part importante des efforts de modernisation des réseaux énergétiques, d’électrification ait été perdue. Il est en effet prévu que le nombre de personnes n’ayant pas accès à l’électricité en Afrique subsaharienne augmente en 2020. De plus, une augmentation des niveaux de pauvreté partout dans le monde cette même année a rendu l’accès à l’électricité trop onéreux pour une partie de la population. Cent millions de personnes sont donc par conséquent dans l’impossibilité de payer pour de l’électricité, bien qu’elles soient déjà raccordées au réseau et viennent s’ajouter à celles, tout simplement non raccordées.

Solaire et énergies fossiles, impactés différemment

Caractéristique commune à l’ensemble des scénarios, le solaire se taille la part du lion dans le mix énergétique. La réduction drastique des coûts de production et d’installation des panneaux solaires ces dernières années, a fait de cette énergie renouvelable une concurrente bien plus sérieuse qu’auparavant aux ressources fossiles. Dans la projection Steps, les renouvelables couvrent 80 % de la hausse de la demande d’énergie, avec l’hydroélectricité et le solaire comme fers de lance. Attention cependant aux conditions de déploiement de telles énergies. Une nouvelle nécessité apparaît : celle d’entretenir et d’agrandir des réseaux électriques robustes et fiables, tout en offrant des options de stockage pertinentes pour soutenir le développement des énergies renouvelables (EnR).

Le charbon, très durement touché par la pandémie, enregistre une baisse de la demande, peu importe la projection. Dans le scénario Steps, il n’équivaut plus qu’à moins de 20 % du mix énergétique de 2040, "pour la première fois depuis la révolution industrielle". Les politiques de sortie du charbon combinées à l’essor des EnR entraînent la réduction des capacités de production installées de charbon, souffrant de la comparaison avec le gaz naturel. Ainsi, le Steps prévoit que 275 GW de centrales à charbon aient été rayées de la carte en 2025. Même scénario du côté du pétrole, dont la demande annuelle est censée s’arrêter d’augmenter en 2030, d’après le Steps et le DRS. Des comportements adoptés pendant la crise sanitaire et conservés par la suite, comme la pratique du télétravail et la baisse de la fréquentation des transports aériens, contribuent largement à cette baisse. Le gaz performe mieux que ses congénères, avec dans les paramètres constituants le scénario des politiques déclarées, une hausse de la demande globale de 30 % en 2040, majoritairement localisée en Asie du Sud-Est. Ces régions du monde devront en effet faire face à des urgences, rendant nécessaire l’utilisation du gaz naturel, comme l’amélioration rapide de la qualité de l’air et le support de la croissance de l’industrie.

Si les énergies fossiles ont été si durement touchées, il en va de même pour les producteurs d’hydrocarbures. Des prix bas et une demande plus faible signent le début des problèmes, selon le document, pour bon nombre de compagnies du secteur : "Les principales compagnies pétrolières et gazières ont réduit la valeur déclarée de leurs actifs de plus de 50 milliards de dollars". Autre symptôme : "Les investissements dans l'approvisionnement en pétrole et en gaz ont diminué d'un tiers par rapport à 2019".

Évolution de la production mondiale d'électricité par source et par scénario, 2000-2040

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©IAE – World Energy Outlook 2020

Atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 ?

Les émissions de gaz à effet de serre, si elles ont été réduites, risquent selon l’IEA de réaugmenter, certes plus lentement qu’après la crise de 2008, mais toujours avec vigueur. Dans le cas du scénario DRS, les niveaux d’émissions sont plus bas mais sont aussi symptomatiques d’une économie plus faible et moins à même de révéler les changements en profondeur induits par une transition énergétique de grande ampleur.

En point d’orgue, le rapport de l’Agence tire la sonnette d’alarme et souligne le fait d’éviter l’augmentation des émissions dans le futur ne sera pas suffisant pour empêcher le mercure de grimper dans le monde. De fait, le document souligne qu’une production à niveau constant des infrastructures énergétiques déjà existantes entraînerait à elle seule un réchauffement de l’ordre de 1,65°C. "Malgré une baisse record des émissions mondiales cette année, le monde est loin d'en faire assez pour les faire baisser de manière décisive", s’inquiète Fatih Birol, le directeur exécutif de l'IEA. La priorité est donc à la transformation. Pour mener à bien cette dernière, il est attendu que l’électricité joue un rôle de plus en plus important, participant grâce à la prolifération du solaire et du nucléaire, à une décarbonation de certains secteurs facilement électrifiables, comme le transport de passagers. Néanmoins, la tâche la plus ardue de la transformation réside, selon les auteurs, dans d’autres secteurs particulièrement difficiles à "verdir", comme certaines branches de l’industrie lourde, parmi lesquelles la production d’acier et de ciment. L’IEA estime donc que conserver un rythme soutenu de réduction des émissions après 2030, impliquera nécessairement un travail sur l’efficacité énergétique et des matériaux, tout en accordant une place centrale à l’électrification et aux "liquides et gaz bas-carbone".

Le degré d’ambition de cet objectif n’a d’égal que l’intensité des efforts qu’il faudra abattre pour l’atteindre. Petit avant-goût chiffré : réaliser l’objectif avant la date butoir de 2050 demandera tout d’abord une production globale d’électricité, assurée à hauteur de 75 % par des sources d’énergie peu émettrices, dans l’optique d’atteindre le pallier intermédiaire de diminution de 40 % des émissions en 2030. D’autre part, à cette même date, la moitié des voitures dans le monde devront être électriques et un éventail de technologies énergétiques devront être fonctionnelles et rentables, des électrolyseurs aux petits réacteurs nucléaires modulables. Pour rappel, en 2019, moins de 40 % de l’électricité produite dans le monde l’est par des sources d’énergie peu polluantes, 2,5 % des voitures vendues sont électriques et l’électrolyse reste pour l’instant l’option la moins efficace et la plus polluante pour produire de l’hydrogène. Le rapport met donc en lumière une situation déconcertante. Le secteur énergétique s’est vu contraint par la pandémie d’emprunter des trajectoires inédites, qui lui ouvrent maintenant des opportunités, notamment pour s’engager dans une stratégie bas carbone. Toutefois, l’Agence internationale de l’énergie rappelle que les gouvernements couplés à une action internationale concertée seront essentiels pour choisir et suivre la bonne trajectoire.

Émissions de CO2 historiques et projections des émissions provenant de l'exploitation des infrastructures énergétiques telles qu'elles ont été utilisées historiquement, 1900-2100

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©IAE – World Energy Outlook 2020

Par Thomas Gutperle

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