Théorisé par Carlos Moreno et popularisé par Anne Hidalgo au cours des dernières élections municipales françaises, le concept de la "ville du quart d’heure" se répand partout autour de la planète. Décryptage de ce raz-de-marée urbanistique.

Connaissez-vous Carine Rolland ? Il s’agit de l’adjointe de la maire de Paris Anne Hidalgo en charge de la culture. Mais pas seulement. Elle a également la responsabilité, avec Patrick Bloche (adjoint notamment en charge des affaires scolaires), du déploiement de la ville du quart d’heure. Ce concept a été théorisé par Carlos Moreno  : "Comment offrir aux urbains une ville apaisée en satisfaisant les fonctions sociales urbaines indispensables ? Il s’agit d’opérer une transformation de l’espace urbain encore fortement mono-fonctionnel, avec la ville centre et ses différentes spécialisations vers une ville polycentrique, portée par quatre composantes majeures : la proximité, la mixité, la densité, l’ubiquité afin d’offrir cette qualité de vie dans les courtes distances, celle des six fonctions sociales urbaines essentielles qui sont : habiter, travailler, s’approvisionner, se soigner, apprendre, s’épanouir. C’est la ville du quart d’heure, en zone compacte, (ou du territoire de la demi-heure en zone semi ou peu dense), de l’hyper proximité, de "l’accessible" à tous et à tout moment…" 

Le directeur scientifique de la chaire ETI (Entrepreneuriat, territoire, innovation) à la Sorbonne ajoute, dans la présentation du concept sur son site internet, qu’ "il s’agit de rapprocher la demande de l’habitant de l’offre qui lui est proposée, d’assurer une mixité fonctionnelle en développant les interactions sociales, économiques et culturelles, d’assurer une densification non négligeable, tout en augmentant les espaces de rencontre et de brassage publics, d’optimiser la palette de services grâce au numérique et aux modèles collaboratifs et de partage, de faire devenir les rues des espaces de mobilités décarbonnés par la découverte à pied ou en vélo, de réinventer les nouvelles hyper-proximités, de redécouvrir la biodiversité dans son lieu de vie en encourageant des circuits courts." Tout un programme. Ou au moins une partie : la maire sortante de Paris a porté la thématique au cours de sa dernière campagne électorale. 

Pour donner corps à la ville du quart d’heure, le programme « Paris en commun » d’Anne Hidalgo promet notamment la mise en place d’un code de la rue concerté avec les habitants dans chaque arrondissement afin de "donner la priorité aux plus vulnérables, aux piétons et aux cyclistes", la transformation des cours des écoles et des collèges en jardins et leur ouverture aux habitants le week-end et pendant les vacances et l’accès à davantage de maisons et centres de santé sans dépassement d’honoraires. S’il est bien sur trop tôt pour tirer un bilan de la mise en œuvre du concept, force est de constater que le concept séduit. Et ce, bien au-delà des frontières de la France.  

"Il s’agit d’opérer une transformation de l’espace urbain encore fortement mono-fonctionnel vers une ville polycentrique, portée par la proximité, la mixité, la densité, l’ubiquité"

Un axe stratégique de la relance dans les grandes villes 


Le 15 juillet 2020, le C40 Cities Climate Leadership Group, organisation internationale dont fait partie Paris et qui a été présidée par Anne Hidalgo de 2016 à 2019, dévoile un programme devant permettre une relance "équitable et durable". "Nous serons les premiers à prendre des mesures en faveur de la santé et du bien-être, en rendant l’espace public aux populations et à la nature, en reconquérant nos rues et en garantissant un air pur pour que les communautés soient vivables en créant des "villes du quart d’heure" au sein desquelles tous les citadins peuvent satisfaire la plupart de leurs besoins à quelques minutes de marche ou de vélo de chez eux", mentionne notamment le document.  

Un Livre blanc détaille même une série d’initiatives permettant le déploiement de la ville du quart d’heure. Le développement de logements abordables à proximité des clusters d’aménités publiques est ainsi mis en avant. Johannesburg est cité en exemple pour avoir adopté une politique de zonage qui impose la mise à disposition de logements abordables dans les opérations multifamiliales tout en accordant des droits de densité supplémentaires. Le programme Transit Oriented Communities de Los Angeles figure lui aussi dans le Livre blanc car il offre aux promoteurs la possibilité de construire plus d'unités, ainsi que d'autres incitations, lorsqu'ils fournissent des unités abordables à proximité des arrêts de transport en commun fréquentés. 

Le développement de la flexibilité des usages constitue une autre mesure identifiée par le C40 Cities pour déployer la ville du quart d’heure. Outre Paris qui est saluée pour sa politique de verdissement des terrains des écoles et leur mise à disposition en dehors des heures de classes, le Livre blanc mentionne les écoles publiques de New York qui permettent à des stands de nourriture et marchés fermiers d’utiliser leurs parkings et cours d'école le week-end. Justement, assurer la présence de magasins vendant des produits frais dans tous les quartiers fait également partie des axes stratégiques de la "ville du quart d’heure" selon le C40 Cities. Dans le cadre du "Green New Deal" de Los Angeles, tous les habitants à faibles revenus doivent avoir accès à moins d’un demi-mile de chez eux à des aliments frais d’ici 2035. Pour terminer avec cette liste non-exhaustive, le Livre blanc encourage à soutenir la numérisation de certains services municipaux et établissements de santé. Londres et Milan sont ainsi salués pour avoir introduit de nouveaux programmes de soins ambulatoires virtuels pendant le confinement et pour leurs intentions de développer la télésanté. La ville du quart d’heure n’est donc pas simplement un concept abstrait. Mieux, Paris n’est pas la seule métropole à déployer une stratégie globale pour le concrétiser.  

"Le plan d'action de Portland pour le climat doit permettre de constituer des quartiers dans lesquels 90 % des résidents peuvent accéder à leurs besoins quotidiens de base à pied ou à vélo"

Déploiement en cours de Los Angeles à Melbourne 


En Australie, Melbourne pilote un programme baptisé "20-Minute Neighbourhoods" dans trois zones. Ce projet implique une réforme des autorisations de construction pour soutenir la diversité des logements, le financement d’installations d'art publiques et d’espaces créatifs ainsi que le renouvellement des rues autour des centres d’activité de quartier (lieux où se situent la majorité des services, emplois, logements, transports publics et où une interaction sociale se produit). Barcelone traite quant à elle le sujet de la ville du quart d’heure avec son système de superblocs qui modifie les réseaux routiers dans des blocs de 400 mètres sur 400 afin d’améliorer la disponibilité et la qualité de l'espace public pour les piétons.  

Aux États-Unis, le plan d'action de Portland pour le climat doit permettre de constituer à l’horizon 2030 des quartiers dans lesquels 90 % des résidents pourront accéder à tous leurs besoins quotidiens de base (excluant de fait le travail) à pied ou à vélo. Houston porte, pour sa part, une ordonnance visant à aménager des places pour les piétons et a l'intention de créer six quartiers d’affaires distincts afin de réduire les déplacements pendulaires. Un peu plus au Nord, la ville canadienne d’Ottawa a approuvé un plan officiel qui utilise le concept de la « ville du quart d’heure » pour transformer ses quartiers. La Chine n’est pas en reste. Les villes de Shanghai à Canton font référence à des cercles de vie communautaire de 15 minutes dans leurs plans directeurs et la "grande ville" de Chengdu, considérée comme une "vile satellite" plutôt qu’une banlieue, sera piétonne et se connectera aux autres centres-villes grâce aux transports en commun.  

Le mouvement est donc lancé. Carlos Moreno a même intitulé son dernier livre "Droit de cité, de la ville-monde à la ville du quart d’heure" (éditions de L’Observatoire). Les prochaines années permettront de valider ou non la viabilité du concept.  

Par François Perrigault (@fperrigault)

*Cet article est issu de l'édition 2020 du guide Acteurs Publics qui sera disponible prochainement

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