La sérénité continue à régner chez Kaufman & Broad en dépit de la crise sanitaire. Son PDG, Nordine Hachemi, nous explique pourquoi, et partage son analyse sur les transformations à l’œuvre dans le secteur de la construction et de la promotion*.

Décideurs. Comment les deux confinements et la crise sanitaire ont-ils impacté l’activité de Kaufman & Broad ?

Nordine Hachemi. Nous n’avons pas été impactés directement par la crise sanitaire, mais plutôt par le premier confinement puisque nous ne pouvions plus conduire nos chantiers. Notre chiffre d’affaires fonctionnant à l’avancement (c’est-à-dire au fur et à mesure de la construction), nous avons accusé un retard d’environ trois mois. Durant le deuxième confinement, les chantiers ont continué à fonctionner quasi normalement, nous n’avons donc pas été affecté. Notre activité est cependant réellement frappée et ce, indépendamment de la crise sanitaire, par la baisse d’attribution de permis de construire que nous avons constaté il y a déjà plus d’un an. Cela augure d’une forte crise de l’offre à partir de 2021, qui risque d’entraîner une baisse drastique des mises en chantier. Heureusement, notre entreprise n’a pas de dettes, et nous disposons d’une trésorerie disponible. Nous sommes donc arrivés dans la tempête très bien équipés et restons sereins quant à l’avenir, du fait de la solidité de notre bilan.

Dans quelle mesure ces deux confinements et la crise sanitaire vont-ils faire évoluer le monde de l’immobilier et du BTP à moyen terme ?

Les fondamentaux régissant notre activité sont indifférents à la pandémie. La croissance démographique et les facteurs sociologiques sont les seules véritables variables. En effet, il faudra bien loger à un moment ou à un autre les habitants supplémentaires et la crise sanitaire actuelle n’a pas modifié cela. Maintenant, qu’est-ce qui peut évoluer ? Des tendances lourdes de transformation de la société demeurent mais elles existaient déjà avant la crise sanitaire. Quand nous observons les grands changements liés, notamment aux préoccupations climatiques, elles étaient déjà posées sur la table depuis de nombreuses années. Il y a sans doute eu un écho plus fort lors de cette pandémie, mais il n’y a pas, à mes yeux, un monde d’avant et un monde d’après. Nous n’allons pas tous finir en télétravail, et nous n’allons pas tous construire un bureau supplémentaire dans les logements. Nous avons besoin de vivre ensemble et d’échanger en tant qu’humains.

"L’essentiel de nos programmes est plus ambitieux que les normes RT 2012"

Quel regard portez-vous sur la politique du gouvernement ?

Actuellement, l’accent est mis sur la rénovation thermique des bâtiments plutôt que sur la construction. Dans le passé, lors de grandes crises, les gouvernements ont utilisé la construction pour relancer l’économie. Mais force est de constater qu’aujourd’hui encore, alors que les municipales sont déjà loin, nous n’obtenons plus de permis de construire. Donc, cet outil qui permet de relancer l’économie et de créer des emplois non délocalisables n’est pas utilisé. Construire de nouveaux logements permet pourtant de répondre aux contraintes démographiques et sociologiques, tout en contribuant à la transition énergétique, puisqu’ils consomment trois à cinq fois moins d’énergie que le parc existant. Nous avons ainsi fait une croix sur ce plan de relance qui aurait été financé par une dette peu chère. En l’absence de permis de construire, on s’appuie moins sur la construction et on se rabat sur la rénovation énergétique, créatrice d’emplois, certes, mais très spécialisée.

Comment Kaufman & Broad s’inscrit- il justement dans le mouvement de la transition énergétique ?

Tout nouveau bâtiment, même construit en béton, quand il consomme trois à cinq fois moins d’énergie que le parc existant, contribue à la transition énergétique. L’essentiel de nos programmes est plus ambitieux que les normes RT 2012. Nous faisons également de la construction bois, mais il ne faut pas se tromper de cible. L’essentiel de l’impact énergétique d’un logement n’a pas lieu pendant sa construction, mais bien durant la période pendant laquelle il est utilisé. Ce qui est important, c’est d’avoir des logements dont l’usage est le plus neutre possible en matière d’émissions de CO². Nous allons même bientôt livrer des bâtiments à énergie positive, c’est-à-dire qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Il est également envisageable, à terme, d’avoir des véhicules électriques qui se connectent au réseau, afin de restituer de l’énergie lors des heures de pointe. Il y a beaucoup de sujets à évoquer mais un logement neuf est d’ores et déjà plus économe en énergie et sur une durée de vie très longue. En parallèle, nous travaillons beaucoup sur la question de la requalification des friches industrielles. Nous conduisons, par exemple, un grand projet à Reims de 100 000 mètres carrés qui nous permet de désimperméabiliser partiellement les sols, tout en végétalisant le site. Avec de tels projets, nous démontrons qu’il est possible de construire tout en améliorant fortement l’empreinte carbone de sites bétonnés et pollués. Cela ne suffira pas à relever le défi climatique, mais c’est assurément un outil à ne pas négliger pour y parvenir.

"Pour optimiser l’usage d’un logement, il faut l’associer à des services"

Quelles initiatives sont cohérentes dans le secteur du BTP pour soutenir un projet de cette ampleur ?

Nous sommes très en avance sur la construction bois. Ce n’est toutefois pas la solution miracle. C’en est une parmi d’autres mais, selon le cas, elle n’est pas toujours bien adaptée. L’important, c’est encore une fois l’usage de l’habitation : un logement peu impactant dans son usage, construit en béton bas carbone, sera plus performant qu’un logement en bois mal placé et peu optimisé qui consommerait beaucoup d’énergie à l’arrivée. Pour optimiser l’usage d’un logement, il faut l’associer à des services, par exemple des plateformes de covoiturage, d’échange entre copropriétaires, tout en réintroduisant plus de commerces pour recréer de la proximité. Le recyclage des matériaux devient un autre secteur très porteur. Le booster du réemploi est un bon exemple. De fait, la plupart du temps, lorsque des opérations de démolition s’effectuent, nous trouvons des difficultés à trouver des débouchés pour les matériaux de démolition. Cette initiative va permettre de mettre en contact les demandeurs de matériaux recyclés avec les producteurs. Nous avons par exemple réussi à réutiliser du béton obtenu par la démolition de dalles, pour couler les fondations de l’un de nos hôtels, à côté de l’aéroport de Roissy.

À moyen terme, quelles sont vos perspectives de développement ?

Plusieurs nouvelles activités ont été lancées cette année. Notamment une structure d’investissement au sein de Kaufman & Broad pour conserver en patrimoine des résidences seniors et étudiantes. Il se trouve que cette stratégie, lancée fin 2019, est cohérente avec les nouvelles tendances observées. En effet, dans les actifs financiers classiques, le logement n’était plus considéré depuis plusieurs années comme une cible d’investissement. Les investissements moins risqués étaient les infrastructures comme les aéroports ou les autoroutes. Néanmoins, la crise a mis en évidence que les loyers étaient payés, alors que les aéroports demeuraient fermés. Les fonds d’investissement ont redécouvert les vertus des logements : sur 20 milliards d’euros de loyers collectés par les bailleurs sociaux à la fin du mois d’août, les impayés n’étaient que de 30 millions à 60 millions d’euros.

Propos recueillis par Thomas Gutperle

*Cette interview est extraite du guide construction, promotion et infrastructures 2021 de Décideurs.

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