Philippe Plaza, directeur général d’Eiffage Immobilier, revient sur les enseignements qu’il tire de l’année 2020 et ses ambitions pour l’avenir, notamment en matière de bas carbone*.

Décideurs. Quels premiers enseignements tirez-vous de la crise sanitaire et des confinements concernant la conception de vos produits ?

Philippe Plaza. Depuis deux, trois ans, nous avons engagé la transition numérique de nos activités. En 2020, nous avions déjà acquis une certaine maturité dans ce domaine et cela nous a été d’une grande aide face à la crise sanitaire. Par exemple, depuis 2019, nous avons numérisé le contrat de réservation de logement ce qui a fortement contribué à la poursuite de l’activité : nous avons en effet pu continuer de signer des contrats avec nos clients et cela même pendant la période de confinement. Cette crise sanitaire nous a permis d’accélérer le processus de numérisation et aujourd’hui nous sommes presque au "zéro papier" : de la conception du permis à la réalisation du projet et aux livraisons, tous les actes sont réalisés au travers de logiciels. Concernant la conception des projets immobiliers en eux-mêmes, la crise sanitaire nous a permis d’évoluer sur différents aspects. Tout d’abord, pour le résidentiel, nous préconisons que chaque appartement, du studio au T6, ait dorénavant une surface extérieure logeable. Nous essayons également de faire à l’intérieur de chaque appartement un espace dit de "télétravail" qui peut être une chambre agrandie, un espace couloir, un dégagement qui représente un coin "tertiaire". C’est une impulsion générale que nous donnons mais le logement en France est extrêmement normé, et il est compliqué de changer du jour au lendemain l’état d’esprit des différents acteurs de l’immobilier. Cela se fera donc sur le moyen et long terme. Nous essayons par ailleurs de concevoir des appartements un peu plus grands mais cela pose une difficulté en matière de prix et de charges. Enfin, nous cherchons à créer des espaces de coworking, soit au pied de l’immeuble quand celui-ci est suffisamment important, soit au sein du quartier. Concernant les immeubles de bureaux, notre objectif est de décloisonner. Le bureau individuel n’existe quasiment plus : nous pensons les immeubles de bureaux pour qu’ils contiennent des espaces ouverts, des salons... Ce projet était engagé bien avant l’arrivée du Covid-19, et même si la pandémie ne milite pas pour le partage des espaces, cela reste une tendance de fond qui séduit tout le monde. Malheureusement pour les investisseurs, un immeuble de bureaux reste très normé : il doit avoir une certaine trame, une certaine épaisseur, une certaine hauteur de vide sous faux plafond, etc. Les mentalités doivent évoluer, ce qui prend du temps.

Quelles sont vos perspectives en France dans les années à venir ?

Les temps de maturation des projets immobiliers se sont allongés. L’année dernière, les élections municipales ont duré très longtemps, ce qui a provoqué de nombreux ralentissements en matière de construction, notamment sur l’obtention des permis de construire. Par exemple, certains de nos dossiers importants comme ceux d’aménagement assurant un tiers de notre activité vont durer entre trois et cinq ans pour la simple phase de montage. Nous avons toutefois la chance d’avoir de nombreux projets en cours qui, malgré l’impact de la crise, continuent leur évolution. À titre d’exemple, je citerais le parc d’affaires à Asnières-sur-Seine, le Grand Canal à Clamart, la Cité de la gastronomie et du vin à Dijon, le quartier Joia Méridia à Nice et le quartier Lavallée à Châtenay-Malabry. Tous ces dossiers sont rythmés par la préparation, l’acceptabilité et la délivrance des permis de construire.

"Nous souhaitons que la RE2020 soit mise en place au plus vite"

Quels sont vos projets en matière de résidences services ?

Nous sommes un acteur des résidences services depuis toujours, et notamment en matière de tourisme. À la fin de l’année dernière, nous avons livré une opération à Blonville-sur-mer. Par ailleurs, nous avons lancé deux programmes en montagne à l’Alpe d’Huez et Chamonix qui seront en travaux en 2021. C’est une niche mais qui reste active et nous souhaitons conserver notre présence sur ce marché. Par ailleurs, le marché des résidences étudiantes fonctionne très bien. Nous venons par exemple de vendre récemment une résidence à Dijon, à Swiss Life. Enfin, nous nous sommes lancés dans l’exploitation de résidences seniors avec le projet Cazam. Nous en avons développé quatre en 2020 et essayons de tenir un rythme de cinq par an sur les quatre prochaines années. C’est un marché qui va être en croissance exponentielle en matière de besoins et de nombreux investisseurs sont intéressés par les projets dans ce domaine. Nous réalisons également des résidences que nous appelons Cocoon’Ages : c’est un mix entre les familles, les étudiants et les personnes seniors. Aujourd’hui, une quinzaine sont ouvertes et une quinzaine sont en projet. C’est un véritable succès car cela répond à une demande d’usage par rapport à la problématique d’isolement et de vieillissement de la population, sujet qui constitue une réelle préoccupation auprès des élus.

Quelle est votre vision de la ville de demain et comment entendez-vous la concrétiser ?

L’un des axes chez Eiffage Immobilier est d’accroître notre production de logements sur les deuxième et troisième couronnes en Île-de-France. En effet, avec le télétravail et tous les modes de transport, la population accepte de « s’éloigner » de la métropole ce qui fait qu’un segment de marché s’ouvre. Par ailleurs, nous souhaitons devenir l’un des acteurs principaux du bas carbone, domaine dans lequel nous avons une riche expérience, quel que soit le type de technique employée. Nous nous occupons notamment du Village des athlètes pour les Jeux olympiques et les exigences fixées par la Solideo sont très hautes à ce niveau. En un an, nous avons obtenu tous les permis de construire. Toutefois, vouloir changer les modes constructifs et introduire de nouveaux matériaux biosourcés et géosourcés s’avère complexe en pratique parce qu’il est nécessaire d’obtenir des autorisations d’expérimentation auprès du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) qui mettent deux à trois ans pour être délivrées : ce n’est pas compatible avec les délais de chantier. Pour les jeux en 2024, nous n’aurons pas de problème, mais pour reproduire cela sur des projets ordinaires, c’est bien plus compliqué. L’emploi du bois s’intègre également chez nous : nous avons racheté Savare, une entreprise spécialisée dans la construction bois, qui est aujourd’hui à nos côtés pour construire les immeubles en bois tels que la tour Hypérion à Bordeaux qui est en cours de chantier. Nous utilisons aussi le béton bas carbone et dans ce cadre, nous travaillons avec les cimentiers. Par exemple à Châtenay-Malabry nous avons utilisé des matériaux de déconstruction que l’on a concassé, traité et qui s’introduisent dans le ciment aujourd’hui : c’est une première en Europe. Évidemment, produire des constructions bas carbone est plus coûteux et il est difficile de rendre acceptable les surcoûts pour nous, le client, le vendeur de foncier, etc. Nous avons besoin du soutien des acteurs politiques, ce qui n’est pas toujours le cas pour l’instant : ils ne font pas de différenciation entre un projet bas carbone vertueux et un projet quelconque. L’action publique doit donner, lors des appels d’offres, des notes différenciantes aux acteurs qui portent le bas carbone. Chez Eiffage Immobilier, nous sommes conscients de l’urgence climatique et nous souhaitons que la RE2020 soit mise en place au plus vite et ensuite, les acteurs économiques s’adapteront. La filière bâtiment doit être prête à accueillir cette réglementation pour que les formations puissent se faire à propos de l’emploi des nouveaux matériaux.

Propos recueillis par Clémentine Locastro

*Cette interview est extraite du guide construction, promotion et infrastructures 2021 de Décideurs.

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