Dans une année 2020 marquée par un ralentissement assez net des volumes investis en immobilier d’entreprise, le résidentiel a fait bonne figure, notamment en France, avec une progression des montants engagés sur le segment de l’ordre de 40 %. Stéphane Imowicz, président-directeur général d’Ikory, analyse les conditions de ce succès et dévoile ses préconisations pour perpétuer cette tendance.

Décideurs. Le montant global des investissements dans le résidentiel en France a enregistré une progression de 41 % en 2020. Comment expliquez-vous ce regain d’intérêt dans une année si particulière ?

Stéphane Imowicz. Le phénomène est plus ancien que la crise sanitaire. Le marché du résidentiel connaît depuis quatre ans un regain d’intérêt par comparaison au bureau, qui a subi une forte augmentation des valeurs vénales, et donc une compression de ses taux de rendement. Les profits tirés du résidentiel se sont donc révélés comparativement attractifs, apportant une meilleure sécurité des revenus et amorçant le retour des institutionnels sur le segment. De plus, des transactions majeures ont été enregistrées, ce qui a renforcé la croissance des volumes investis ; chaque année une vente de portefeuille dépassant le milliard d’euros a été constatée, engendrant une sensible augmentation des chiffres globaux. L’irruption de la crise sanitaire en 2020 a accéléré ces phénomènes : dans tous les pays, les commerces et les bureaux ont affronté une crise forte, avec une baisse des loyers et une vacance en hausse. Dans ce contexte d’incertitude, le résidentiel, stable et résilient, a renforcé son attractivité.

La tendance s’est-elle confirmée en ce début d’année ?

Il est encore un peu tôt pour donner des chiffres, l’essentiel des closings intervenant au second semestre. On constate cependant que les fonds étrangers, qui ne s’engageaient pas dans des investissements inférieurs à 100 millions d’euros, sont désormais prêts à s’aventurer sur des volumes de l’ordre de 20 millions d’euros s’ils impliquent d’autres deals à l’avenir. Par ailleurs, le marché du neuf souffre encore d’une pénurie d’offres. Les promoteurs rencontrent des difficultés à construire : après une année d’élections municipales qui a généré de l’attentisme, certains nouveaux maires n’ont pas forcément la même vision que leurs prédécesseurs, ce qui ralentit la promotion qui aurait dû redémarrer. En outre, côté ancien, les propriétaires institutionnels, qui craignent ne pas trouver d’actifs sur lesquels réinvestir, préfèrent rester en standby sur leurs projets d’arbitrage. D’où un parc existant qui tourne assez peu, et ce, malgré la demande des investisseurs et des utilisateurs. Pour finir, cette faiblesse de l’offre et cette forte demande  pèsent sur les prix de la vente en bloc qui ont donc tendance à augmenter.

"Le marché du neuf souffre encore d’une pénurie d’offres"

 Assiste-t-on  à un effet de report des investissements en bureaux vers le résidentiel ?

Notons que, si le résidentiel connaît un regain important, les montants engagés sur les bureaux demeurent beaucoup plus importants que ceux investis sur les autres classes d’actifs. La logistique a bien traversé la crise avec une demande forte, mise en perspective avec l’étroitesse de l’offre, et des rendements supérieurs à ceux du bureau et du résidentiel. On parle beaucoup du résidentiel car les investisseurs réfléchissent aussi au renouveau des modes d’usage, tels que les résidences services ou le coliving. Des actifs assez faciles à gérer, qui impliquent, en caricaturant, un exploitant et quatre quittances par an. On se dirige vers une société où l’usage prend le pas sur la propriété, et les institutionnels participent pleinement à cette réflexion.

Quel avenir prédisez-vous à la transformation de bureaux en logements ? Épiphénomène ou tendance tangible ?

C’est faisable mais pas partout et pas n’importe comment. Pas n’importe où car les valeurs locatives en matière de bureaux restent supérieures à l’habitation, dans le quartier central des affaires de Paris notamment. Pas n’importe comment du fait de la complexité du sujet. Il faut partir des basiques : nous avons besoin de logements et l’offre locative est insuffisante. La demande existe donc et nous aurons, peut-être, besoin d’un peu moins de bureaux, ou d’un peu moins de bureaux concentrés, dans les années à venir. Est-ce que les gens voudront continuer à travailler dans des centres d’affaires ou désireront-ils plus de mixité ? Ce que les acteurs vont chercher à terme c’est cette réversibilité et cette mixité : cela va au-delà du sujet de la transformation de bureaux en logements.

"En France, les propriétaires sont toujours du mauvais côté de la barrière"

Le résidentiel représente 40 % des investissements immobiliers en Europe et seulement 10 % en France alors même que l’on sort d’une année exceptionnelle pour le segment. Comment expliquez-vous ce décalage et que préconisez-vous pour le compenser ?

Il faut demander aux pouvoirs publics comment on en est arrivé à cette situation. D’abord, on a voulu faire une France de propriétaires en axant sur l’accession plutôt que la mise sur le marché d’immeubles locatifs, du fait de l’esprit un peu terrien des Français. De ce fait, la France accuse un retard au sein de l’Europe, qui s’explique par le traitement infligé aux propriétaires en résidentiel. Si l’encadrement des loyers intègre une logique sociale intéressante, le plafonnement (qui oblige les propriétaires à relouer un appartement au niveau de loyer du locataire sortant) est problématique et économiquement irrationnel. Il convient également d’évoquer le décret sur les charges, qui revient constamment sur la table, sans pour autant trouver d’accord acceptable. Ne pas faire payer le locataire sur la base des charges qui lui reviennent relève de l’ineptie économique. Les propriétaires sont, en dernier lieu, toujours du mauvais côté de la barrière. Les loyers à Berlin sont bloqués mais quand les locataires ne payent pas, ils ont peu de chance de demeurer très longtemps dans leur appartement. En France, les locataires ont l’oreille des pouvoirs publics. Tout cela a pour conséquence que beaucoup d’investisseurs hésitent à venir sur ce segment, au même titre que de nombreux particuliers. Je pense qu’une réflexion globale doit s’engager qui s’appliquerait tant aux investisseurs professionnels qu’aux particuliers. Ces derniers pourraient ainsi bénéficier d’un statut de bailleur professionnel plutôt que d'être considérés comme des rentiers.

Propos recueillis par Alban Castres

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