Considérée par certains comme le chantier du siècle, la restauration de Notre-Dame de Paris finalise sa phase de sécurisation. Le général d’armée Jean-Louis Georgelin, représentant spécial du président de la République et président de l’établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale, revient sur les différentes problématiques générées par cette rénovation hors norme.

Décideurs. Pourriez-vous exprimer la symbolique d’un tel chantier ?

Jean-Louis Georgelin. Beaucoup parlent de “chantier du siècle”. Je n’aime pas particulièrement cette expression dans la mesure où il existe des chantiers beaucoup plus difficiles. Sa singularité réside dans le fait qu’il fédère, dans le sens où il a touché le cœur de la nation française. Le monde entier s’est ému de l’incendie de Notre-Dame de Paris, les gens ont pris conscience que la cathédrale était le cœur de la France. C’est de son parvis que sont établies les distances des bornes routières kilométriques. Lorsque vous êtes à 134 kilomètres de Paris, vous êtes en réalité à 134 kilomètres de Notre-Dame. Ce chantier c’est d’abord la restauration d’une église catholique, qui résulte d’un grand événement de l’histoire de France. Si le château de Versailles avait brûlé, il n’y aurait pas eu la même émotion. On n’aurait sans doute pas observé des gens s’agenouiller dans le monde entier. Il y a une dimension spirituelle qui a ressurgi chez les Français à cette occasion. Ils se sont souvenus, au cours de cette nuit, de leurs racines chrétiennes. Ce qui est extraordinaire, c’est que cette attention n’est pas retombée. On constate toujours le même intérêt deux ans après l’incendie.

En savez-vous plus sur les circonstances de l’incendie ?

Il s’est déclaré là où il y avait un chantier à l’œuvre et s’est propagé jusqu’à la couverture du grand comble (toit de la nef et du chœur). Les dégâts proviennent, en réalité, de l’effondrement de la flèche dans le transept de la cathédrale et de la poussière de plomb qui s’est répandue dans son enceinte. Sans flèche, il n’y aurait pas eu autant de dégâts à l’intérieur. Il faut rappeler que malgré l’incendie, pas un vitrail n’a été atteint. Pour ce qui est de l’enquête, l’instruction est en cours.

La phase de sécurisation est désormais terminée. S’il s’agit de célébrer un office, pourquoi ne pas le faire maintenant ?

Votre question mérite d’être précisée. Le chantier est entré dans sa dernière phase de sécurisation, qui devrait être achevée cet été. Si Notre-Dame est un chef-d’œuvre de l’art gothique, c’est avant tout un lieu de culte catholique. En l’état actuel, le chantier est toujours soumis à une triple contrainte : le plomb, la Covid-19 et l’‘’arrêté de péril’’. Il n’est évidemment pas question de faire entrer des foules dans la cathédrale, mais nous avons tenu à rendre possible quatre cérémonies, en comité restreint, sans public et dans le strict respect de ces contraintes. Ainsi, deux mois jour pour jour après l’incendie, une messe a été organisée dès le 15 juin 2019, jour anniversaire de la dédicace de Notre-Dame. En 2020, pour le Vendredi saint, une vénération de la couronne d’épines, une des reliques sacrées sauvées de l’incendie, ainsi qu’un concert de Noël de la soprano Julie Fuchs et du violoncelliste Gautier Capuçon, accompagnés de la Maîtrise de Notre-Dame de Paris, dont la présence avait été limitée à huit chanteurs, ont été organisés. Enfin, le 1er avril dernier, jour du Jeudi saint, Mgr Michel Aupetit, archevêque de Paris, a procédé au lavement des pieds de six personnes.

Dans quelles mesures ce chantier fait-il figure d’exception ?

Il a trois caractéristiques principales : la première c’est que nous disposons des ressources financières qui nous garantissent les moyens de restaurer la cathédrale. La deuxième c’est que nous avons un impératif calendaire ; le président nous a donné cinq ans, il faut donc lutter contre les procrastinations de toute sorte et avancer. La troisième c’est que ce chantier se déroule sous les yeux du monde entier, avec une pression médiatique extrêmement forte. Pendant cette nuit où l’on voit que l’incendie embrase le cœur de la France, ‘’l’affaire’’ devient celle du chef de l’État qui décide de confier la conduite du chantier à un profil expérimenté.

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"Le chantier se déroule sous les yeux du monde entier avec une pression extrêmement forte". Photo : Pascal Tournaire/Jarnias

À quel titre avez-vous été choisi ? Ancien militaire, catholique, ou meneur d’hommes ?

Il faudrait poser la question au président de la République. Ce que je crois qu’il cherchait, c’est une personnalité qui connaissait l’État au plus haut niveau, un catholique, et quelqu’un qui était plutôt un homme d’autorité capable de fédérer les équipes autour d’un objectif commun : rendre la cathédrale au culte et à la visite en 2024.

L’opinion publique s’est emparée de la question de la flèche avec une large majorité qui la voulait identique à l’ancienne ? Comment tranche-t-on ce genre de question ?

Le 9 juillet 2020, la Commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA), instance placée auprès du ministre de la Culture, a émis à l’unanimité un avis favorable au parti de restauration à l’identique – la restitution de la flèche de Viollet-le-Duc et le respect des matériaux d’origine : le chêne pour la charpente et le plomb pour la couverture – que les architectes en chef des monuments historiques et moi-même avions proposé. Ce projet est en cohérence avec la doctrine patrimoniale qui prévoit la restauration d’un monument historique le plus fidèlement possible à son dernier état « complet, cohérent et connu », selon les termes de la charte de Venise. Il est conforme d’une part, avec le souhait des donateurs, de l’opinion publique dans sa majorité et l’avis de la plupart des architectes et personnalités qualifiées consultées d’autre part. Ces orientations avaient précédemment reçu l’accord du président de la République ainsi que l’avis unanime du Conseil scientifique de l’établissement public.

Les donateurs ont promis 833 millions d’euros, Groupama des chênes centenaires. Comment expliquez-vous cette généreuse mobilisation ?

340 000 donateurs issus de 150 pays ont permis de recueillir 833 millions d’euros de dons. Il faut souligner qu’il s’agit là d’un élan de générosité sans précédent dans l’histoire de la philanthropie française qui, deux ans après l’incendie, ne faiblit pas. J’en veux pour preuve la sélection et la récolte des 1000 chênes nécessaires à la restitution de la flèche de Viollet-le-Duc et des charpentes du transept et de ses travées adjacentes, qui ont eu lieu en début d’année. L’ensemble des acteurs de la filière forêt-bois s’est mobilisé pour fournir gracieusement ces 1000 chênes : France Bois Forêt, l’Office national des forêts (ONF), les maires de communes forestières et les propriétaires privés de la France entière, qui ont fait le choix de faire don d’un ou plusieurs arbres. Sur ces 1000 chênes, 50 %  sont issus de forêts publiques, 50 % de forêts privées, dont celles de la Société forestière Groupama. L’ensemble des régions métropolitaines est représenté. Il s’agit là d’un beau symbole. La collecte a même été victime de son succès : des communes ou certains propriétaires privés, volontaires, n’ont pu y participer, les propositions de dons reçues ayant été supérieures à la demande !

"Les dons proviennent de 340 000 donateurs issus de 150 pays"

À cela, il convient de rajouter le mécénat de compétences et en nature de nombreuses entreprises. Sodexo fournit gracieusement les repas midi et soir sur la base vie du chantier, JCDecaux apporte son savoir-faire et son expertise technique à nos expositions sur les palissades de chantier, Loxam prend en charge l’installation d’habitacles modulaires sur le chantier, Publicis a offert son concours pour réaliser le site internet de l’établissement public ou bien encore la fondation Bettencourt-Schueller contribue à faire connaître au grand public les métiers d’art mobilisés sur le chantier. Et cette liste est loin d’être exhaustive. Parmi les marques de générosité, il y a celles des grands donateurs, qu’il faut remercier, mais également celles des gens plus modestes, qu’il ne faut pas oublier. L’ambassadrice de France près le Saint-Siège a organisé un concert au sein de l’église Saint-Louis-des-Français de Rome et une dame vivant de la charité a fait don des 24 euros qu’elle avait recueillis ce jour-là. C’est l’Évangile et ça nous oblige.

Où en serait le chantier sans la philanthropie des donateurs ?

Le généreux soutien des donateurs est déterminant et nous permet de disposer des moyens nécessaires pour restaurer la cathédrale dans des délais serrés. En France, près de 45 000 immeubles publics ou privés sont classés ou inscrits au titre des monuments historiques. L’État leur consacre une enveloppe de 350 millions d’euros par an. Un monument comme la cathédrale Notre-Dame de Paris recevait 2 millions d’euros par an pour des travaux divers. Sur ces seules bases, il eût été difficile de dégager ce qui aurait été nécessaire à la restauration de la cathédrale, la phase de sécurisation coûtant à elle seule 165 millions d’euros.

Propos recueillis par Alban Castres

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