Élu sans discontinuer à la tête de la Région Aquitaine puis Nouvelle-Aquitaine depuis 1998, Alain Rousset nous dévoile sa vision du rôle que peuvent jouer les régions dans la construction d’une République plus écologique, prospère et démocratique.

Quel rôle peuvent jouer les régions dans la mise en œuvre de la transition énergétique ?

Alain Rousset. Un rôle majeur ! Malheureusement, l’articulation des compétences avec l’État est rendue confuse par sa fâcheuse tendance à changer en permanence son fusil d’épaule : un jour déléguant les compétences, l’autre se les réappropriant. Résultat, on ne sait plus qui est le pilote dans l’avion et la loi énergie-climat n’a pas arrangé les choses. La région est disponible. Avec les intercommunalités, elle se situe au bon échelon pour piloter les programmes, trouver les bons interlocuteurs, générer de la confiance, grâce à sa connaissance plus fine du terrain et de tous les acteurs. Les problématiques liées à la transition climatique supposent d’avoir sur son radar tous ces éléments. Paris est trop loin et devrait se contenter de fixer les règles et de flécher les financements.

Quelles actions concrètes menez-vous dans votre région ?

Il y a douze ans de ça déjà, nous avons mobilisé plus de 450 climatologues, écologues et scientifiques pour objectiver, renseigner et orienter notre action, tant en matière d’adaptation que de lutte contre le changement climatique. Cette base scientifique s’est traduite par un document systémique, Neo Terra, qui oriente depuis chacune de nos politiques. C’est ainsi que nous avons pu, par exemple, signer une convention avec la coopérative agricole d’Aquitaine, fédérant 73% de nos agriculteurs, pour engager la transition écologique de leur activité. Nous travaillons également, main dans la main avec les entreprises les plus intensives, à atteindre les objectifs RSE. C’est ainsi qu’avec une subvention de près de 5 millions d’euros, nous accompagnons le cimentier Calcia, à Bussac, dans sa sortie des énergies fossiles et notamment du charbon. La modernisation de son outil industriel devrait permettre de réduire sa consommation de 80%, en y substituant des combustibles alternatifs. Cela permettra non seulement de baisser de 25% les consommations de charbon dans la région et de 3% les émissions de son secteur industriel, mais aussi d’assurer la pérennité du site sur le territoire, en améliorant sa compétitivité. C’est un travail de longue haleine, que nous déclinons à toutes les industries, afin de faire coïncider cap technologique et cap écologique.

Je crois qu’il nous faut redéfinir la notion de progrès à l’aune de la transition.

Cette articulation est parfois difficile : vous rencontrez notamment beaucoup d’oppositions sur le projet de ligne à grande vitesse (LGV) entre Bordeaux et Toulouse…

Je crois qu’il nous faut redéfinir la notion de progrès à l’aune de la transition : réduire notre consommation énergétique, biosourcer autant que nous le pouvons… Et faire le pari du transport collectif et du fret. Aujourd’hui, une seule voie ferroviaire va vers Toulouse ou vers l’Espagne, via le Pays basque français. Nous avons besoin d’alternatives pour mieux connecter notre territoire et rationaliser les flux. L’équation est simple : moins de camions et de voitures en autosolisme, c’est moins d’embouteillages et moins de pollution. Ne nous trompons pas de combats.

Quelles actions menez-vous sur le volet de l’adaptation au changement climatique pour mieux préparer votre territoire à ses effets ?

Avec le groupement d’intérêt public Littoral, nous travaillons avec les communes, les intercommunalités et l’ensemble des acteurs afin de prévenir et d’anticiper le recul du trait de côte. La prise de conscience a été un peu longue, mais nous savons aujourd’hui que l’on ne pourra pas tout défendre. Nous passons de la philosophie du karaté qui consistait à déverser des tonnes de sable partout, à celle du judo, acceptant de faire reculer l’urbanisme à certains endroits pour concentrer nos efforts sur les zones très peuplées. Nous sommes également aux côtés de nos acteurs économiques pour envisager les moyens de s’adapter. Je pense notamment à l’agriculture où nous menons une réflexion sur l’élevage, le maintien des prairies pour améliorer le stockage du carbone, le cycle de l’eau… Nous collaborons enfin avec l’Inra pour développer des plantes et cultures plus résistantes et adaptées à la montée de températures.

Que peut faire l’État pour mieux accompagner les régions ?

Tout d’abord restaurer un climat de confiance qui s’est beaucoup dégradé ces dernières années. Mais il faut surtout reprendre la marche de la décentralisation pour davantage responsabiliser les régions. La France est le seul pays démocratique au monde à être autant centralisé. En 1966, déjà, Michel Rocard disait qu’il fallait « décoloniser la province ». Une république décentralisée nous permettrait, j’en suis convaincu, de relever les défis de nos territoires, notamment en termes de lutte contre le réchauffement climatique. À l’heure actuelle, non seulement les doublons et le flou sur les compétences de chacun coûtent cher à la collectivité, mais surtout, ils déresponsabilisent ; chacun se rejetant la faute. L’État et, en particulier, le gouvernement actuel ne peuvent plus se contenter de considérer les régions comme de simples sous-traitants. C’est un enjeu démocratique, d’efficacité et de compétitivité pour réussir la réindustrialisation du pays. Quand on regarde l’Allemagne, elle s’est réindustrialisée par le bas, avec un tissu de PME ancrées dans les territoires. Le constat est vrai aussi pour les services publics. Je pense notamment au lycée de Felletin, au cœur de la Creuse. Selon les critères de l’éducation nationale, il aurait dû fermer, faute de lycéens. Ce n’est que sous l’impulsion de la région qui l’a transformé en école régionale du patrimoine que nous avons pu le sauver en le rendant plus attractif. Cela demande une connaissance fine du terrain. Nous ne travaillons pas avec un tableau Excel. Nous faisons de la politique, au meilleur sens du terme.

Propos recueillis par Antoine Morlighem

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