Il aura suffi du signalement d'un projet d'arrêté, autorisant les dark stores à être considérés comme des lieux de commerce et d'artisanat, pour qu'un certain nombre d'élus, d'opinions pourtant diverses, se soulèvent. Selon l'AFP, d'Anne Hidalgo à Patrick Ollier, en passant par Grégory Doucet, tous se sont associés à un courrier envoyé à la Première ministre en fin de semaine dernière, l'intimant de pouvoir réguler eux-mêmes les dark stores. Retour sur une polémique qui infuse depuis plusieurs mois déjà.

Si le e-commerce a poursuivi son essor, à la faveur notamment des restrictions de sortie récentes, il était permis de croire que le retour à la normale et la levée des contraintes allaient conduire à un besoin incompressible d’aller faire ses courses en personne, ou à une invitation à la patience. Rien du tout. Certains consommateurs veulent désormais se faire livrer leurs courses, et au petit trot ! Une aubaine pour le quick commerce, une opportunité pour les dark stores. Du fait des diverses nuisances qu'implique ce mode de consommation, il se heurte à la grogne de nombreux élus qui voient éclore ces entrepôts dans leurs circonscription. C'est ainsi que, dans une même lettre adressée à Élisabeth Borne, Anne Hidalgo, Benoît Payan, Martine Aubry, Grégory Doucet ou encore Patrick Ollier, ont exigé de pouvoir réguler les implantations de dark stores, requérant que "les communes où prospère ce type d’activités disposent des moyens juridiques de les réguler et de lutter efficacement contre toutes les externalités négatives que celles-ci produisent." Décryptage du phénomène. 

Mini-entrepôts inaccessibles aux publics, les dark stores ou "magasins fantômes" comptent, en moyenne, entre 1 500 et 2 000 références disponibles sur leurs applications respectives

La menace fantôme

Les briques de soupe dominent, méprisantes, les paquets de chips goût barbecue, tandis qu’une rangée de jeunes mangues aux dimensions avantageuses semble, par conviction, tourner le dos à des conserves de dix tranches d’ananas, réputées moins vitaminées. C’est pourtant d'une boîte d’ananas que le chef de rayon s’empare, avant de l’intégrer au panier d’un client. La validation de sa commande en ligne ayant eu lieu quelques minutes plus tôt, le temps est compté et déjà son livreur s'impatiente devant le dark store. Mini-entrepôts inaccessibles aux publics, les dark stores ou "magasins fantômes" comptent, en moyenne, entre 1 500 et 2 000 références disponibles sur leurs applications respectives. La crise sanitaire et ses différentes assignations à domicile, forcées ou consenties, les a vus bourgeonner dans les métropoles françaises, du fait notamment d’un succès contraint et de liquidations de commerces, donc de libérations de murs. Deux éléments les distinguent de commerces plus traditionnels : leur clientèle ne peut pénétrer dans l’entrepôt et elle est prodigieusement pressée mais pas suffisamment pour justifier d’un déplacement dans le magasin le plus proche. En cela, les dark stores entrent directement en concurrence avec les supermarchés, même ceux disposant d’un service de livraison, du fait de délais de délivrance nettement plus courts. Lorsque la durée d’une livraison de Carrefour, Leclerc ou Intermarché oscille entre trente et quarante minutes, autrement dit entre un lustre et une éternité, les acteurs du quick commerce que sont les applications Dija, Yango Deli, Cajoo, Getir, Gorillas ou Flink livrent en dix minutes, ce qui, convenons-en, constitue un délai plus convenable.

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La revanche des sites

Alors que l’on croyait la nécessité écologique pressante, et l’implication citoyenne à cet égard exigeante, il apparaît que le consommateur semble partant pour sauver la planète, mais si possible sans faire trop d’efforts. Une schizophrénie que Sébastien Manceau, senior partner chez Roland Berger, souligne : "Il existe un paradoxe énorme entre la volonté d’écologie et le désir d’être livré rapidement. Aujourd’hui, on veut se faire livrer vite et vert, mais ces prétentions ont un coût et personne n’est prêt à l’assumer. Tout ce qui est économiquement optimisé est écologiquement désoptimisé." Par ailleurs, se voir livrer ses courses en quelques minutes exige divers sacrifices tels que les incommodités sonores, une concurrence jugée déloyale par les acteurs historiques du commerce ou quelques accidents de coursiers impatients à l’idée de servir des consommateurs affamés. À ce sujet, Gabriel Schillaci, partner chez Roland Berger, avertit : "On est passé de flux denses au magasin à de tous petits flux disparates. Il faut renouer avec un peu de standard, d’interopérabilité. À titre d’exemple, il apparaît un peu aberrant que des concurrents livrent des produits à la même heure et au même endroit."

La guerre des étals

La croissance du créneau s’appuie sur deux aspects : le développement de leur aptitude logistique et le déploiement de leurs ressources immobilières. Des ressorts qui pourraient, l’un et l’autre, se heurter à l’opinion publique et donc aux pouvoirs publics qui voient généralement d’un mauvais œil les troubles à leurs électeurs. Leur fonction d’entreposage est incompatible avec l’usage habitation et plus de la moitié des dark stores sont d’anciens commerces, d’où la nécessité d’un changement de destination auquel l’organisme en charge pourra s’opposer. Une fois passés ces barrages physiques, réglementaires et idéologiques, les dark stores seront en mesure de prospérer, dépouillant la vie de ses insoutenables contraintes. N’appartiendra plus à l’Homme que de trouver un moyen de s’éviter le trajet de son canapé à la porte de son appartement pour récupérer ses courses.

Alban Castres

Sources : Roland Berger, BNP Paribas Real Estate, l'APUR. 

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