Jets privés : symboles polémiques d'une insuffisance politique
"Nous vivons la fin de l’abondance, des évidences et de l’insouciance." C’est sur ces mots graves qu’Emmanuel Macron a effectué sa rentrée politique. Pour ceux qui pensaient que les vacances n’étaient pas encore terminées, c’est râpé. Misant sur une prise de conscience collective forgée dans la fournaise de cet été, et anticipant sur un hiver difficile à cause du conflit en Ukraine, il appelle les Français à redécouvrir les vertus de la sobriété et à "payer le prix" de leur liberté.
Pendant ce temps, planant à 10 000, Bernard Arnault va chercher sa baguette en jet privé, Kylie Jenner joue à Am stram gram pour choisir le sien, les golfeurs "puttent" tranquillement sur un billard vert au milieu d’une végétation dévastée et Sylvester Stallone dépasse son quota d’eau de 870 000 litres pour le seul mois de juin, dans une Californie à l’agonie. Comme l’impression d’un "deux poids, deux mesures".
Jet set et match
Certains diront sans doute que ces quelques exemples extrêmes ne sauraient suffire à imputer aux plus aisés et aux célébrités la responsabilité d’un dérèglement climatique, dont la résolution ne passera que par la mise en place d’actions collectives plutôt qu’individuelles. Regardons les choses de plus près. Lucas Chancel, économiste à la Paris School of Economics, a analysé les émissions de gaz à effet de serre en fonction du niveau de vie. Résultat : en 2019, une personne appartenant aux 0,01% les plus riches émettait 2 332 tonnes de CO2 sur une année. À titre de comparaison, la moyenne mondiale s’établit à 6 tonnes par individu. Un ordre de grandeur corroboré par une autre étude menée en 2021 par deux anthropologues américains, sur les émissions de 20 milliardaires. Enfin, selon un rapport du Laboratoire sur les inégalités mondiales de 2022, les 1% les plus riches sont responsables de 17% des émissions. S’il ne s’agit pas de faire des plus aisés les boucs émissaires de la crise climatique, certains comportements ne sont plus admissibles, et encore moins soutenables. Le gouvernement, traumatisé par un mouvement des Gilets jaunes qui avait prospéré en partie sur le poids économique mal partagé de la transition écologique, en a bien conscience. "Je pense que l’on doit agir et réguler les vols en jet privé. Cela devient le symbole d’un effort à deux vitesses", confiait ainsi récemment le ministre délégué aux Transports Clément Beaune, au Parisien. "Il existe des motifs d’urgence, des impératifs économiques, mais ça ne peut pas être un mode de déplacement individuel de confort, alors que la mobilisation générale engagée par le Président nécessite que tout le monde fasse des efforts."
Nouveaux riches
En ces temps incertains, l’exigence de justice sociale se double donc d’une impérative justice climatique. Mais, si l’on ne veut pas, comme le souligne Clément Beaune, que le comportement écocide de l’élite nous fassent tomber "dans la démagogie et la chasse ad hominem", l’action politique se doit d’être globale, résolue, équitable, systémique. Or, à ce stade, comme le souligne sur Linkedin Jean-Marc Jancovici, "Notre Président ne met pas tous ces ingrédients dans un récit global cohérent sur la marche du monde. Il n'y a nulle approche "système" dans le discours du président, juste une énumération de choses qui évoluent de manière adverse". Le gouvernement sera attendu au tournant pour nous dire comme il compte procéder pour revoir en profondeur nos modes de vie et nos modèles d’affaires. Mais, et c’est sans doute un point trop souvent négligé, nous aurons aussi besoin d’autres récits pour réorienter nos valeurs et nos désirs. L’esprit des Trente Glorieuses et de l’American Dream, avec l’accumulation des biens et richesses érigée en quête indépassable ne peuvent plus servir de boussole à la population, et en particulier la jeunesse du XXIe siècle. Tous ces influenceurs qui en font encore déballage sur les réseaux sociaux doivent devenir d’indécrottables ringards. Le temps est venu pour de nouveaux riches.
Antoine Morlighem