Fondé en 1969, le cabinet Confino intervient essentiellement en droit des baux commerciaux et fait figure de référence en la matière. Après deux ans d’incertitudes liées à la crise sanitaire, Alain Confino et Jean-Philippe Confino livrent leur vision de l’immobilier d’entreprise et les perspectives de ses différents marchés.

Décideurs. Le cabinet se distingue par sa productivité doctrinale. Comment se matérialise-t-elle ?

Jean-Philippe Confino. L’aspect doctrinal nous est essentiel pour une raison historique : Alain Confino était enseignant à l’université et a monté un cours de baux commerciaux à Créteil. Nous poursuivons cet enseignement en partenariat avec des organismes de formation dont le nôtre, et à l’université. Si l’activité doctrinale du cabinet s’est établie d’abord et avant tout sur l’enseignement et des publications d’articles dans les revues juridiques, elle s’est depuis 2015 renforcée par la rédaction d’ouvrages de référence.

Alain Confino. Cinq ouvrages d’actualité du droit des baux commerciaux, forts de 400 à 500 pages chacun, rédigés avec les contributions de tous les avocats de notre cabinet, ont été en effet publiés par les Éditions Législatives depuis 2015. Il ne s’agit pas de nouvelles éditions d’un même ouvrage mais, chaque fois, pour la partie "commentaires", d’une écriture entièrement nouvelle qui porte sur l’actualité glissante des deux dernières années, avec une mise en valeur de ses points essentiels. Ces ouvrages ont une vertu principale : permettre d’appréhender les nouveautés d’un seul coup d’oeil en évitant de noyer le lecteur dans des centaines de pages qui reprendraient tous les détails de la matière.

J.-P. C. Nous rédigeons des ouvrages que l’on pourrait qualifier de "scientifiques" et qui s’adressent aux avocats, magistrats, directeurs juridiques… Deux parties dans l’ouvrage : "commentaires", qui regroupent notre sélection de l’actualité jurisprudentielle, législative et réglementaire, et "modèles", constituée de formules d’actes, mises à jour des nouveautés. Mais, comme chacun peut l’imaginer, nous ne révolutionnons pas le formulaire tous les deux ans.

Pourriez-vous revenir sur les arrêts de la Cour de cassation du 30 juin 2022 ?

J.-P. C. Nous avons publié avec mon père, en mai 2020, un article de référence intitulé "Les baux commerciaux malades de la peste" où nous avons passé en revue l’ensemble des moyens de droit qui pouvaient s’inviter dans les débats judiciaires concernant le sort des loyers et charges des entreprises impactées par la crise sanitaire. Le message qui ressort des trois premiers arrêts rendus le 30 juin 2022 par la Cour de cassation semble clair : "Circulez", mais la messe n’est peut-être pas complètement dite.

A. C. Nous réservons nos commentaires sur le fond à une publication en cours d’écriture. Ce sont des arrêts qui ont apporté une réponse lourde, certains diront une claque, aux preneurs qui en attendaient beaucoup mais pour autant, contrairement à ce qui a pu être déjà affirmé par certains commentateurs, le débat n’est peut-être pas clos…

J.-P. C. Le message que veut faire passer la Cour de cassation c’est de tarir le contentieux des "loyers Covid". Le nombre d’affaires portées devant les tribunaux a en effet été considérable. Un phénomène comparable s’était produit dans la dernière décennie avec le contentieux des clauses d’indexation "malsaines". Après une tendance très forte des tribunaux à effacer toutes les clauses dès lors qu’elles comportaient des stipulations illicites, la Cour de cassation a finalement, depuis 2020, adopté une solution beaucoup plus fine, qui consiste à limiter aux parties malsaines des clauses la sanction du réputé non écrit.

A. C. En somme, sur l’indexation, auparavant on mettait la clause à la poubelle, maintenant on l’assainit.

J.-P. C. Tout cela est dicté non pas tant par des règles de droit que par une logique de diminution du nombre de contentieux. Cela va dans le même sens que les modes alternatifs de règlement des différends (MARD), où l’on constate que des magistrats proposent, voire suggèrent fortement le recours à la médiation. Une tendance de plus en plus fréquente. La matière du bail commercial se prête assez bien à ces modes de règlements alternatifs car elle s’inscrit dans un temps long : bailleur et preneur doivent normalement vivre ensemble de très nombreuses années !

La massification du télétravail devrait se matérialiser par une réduction du parc tertiaire. Où en est-on ?

A. C. Il y a visiblement une réduction des surfaces accompagnée d’une redistribution de ces espaces. Il y a quelques années, il était question d’un poste par salarié, aujourd’hui on est plutôt sur un demi-poste. Cette tendance va s’inscrire dans la durée avec le développement du flex office, la multiplication des espaces hybrides, l’essor des surfaces partagées. L’autre tendance qui se dégage réside dans la recherche de bien-être au travail parce que la visioconférence, c’est bien, mais ça ne remplace pas la machine à café. Les immeubles de bureaux modernes accueillent des conciergeries, des work cafés, des salles de sport, des salles de détente, des restaurants panoramiques plutôt qu’en sous-sol, des salles de réunion modulables…

J.-P. C. Cette recherche de confort a une incidence importante sur les charges. Certains immeubles de bureaux n’arrivent pas à trouver preneurs et leurs propriétaires doivent transformer certaines surfaces en espaces communs aux utilisateurs. D’où plus de sources de dépenses communes.

"Avec les mesures d’accompagnement, le loyer économique va baisser, tout étant mis en oeuvre pour préserver le loyer facial"

A. C. Tout ce que l’on peut dire sur les bureaux, c’est que certains ont pris un grand coup avec la crise sanitaire. Nous n’avons pas encore fait le tour des conséquences financières que cette période a entraînées ou va entraîner mais nous assistons déjà à des baisses de loyers. Dans les grandes métropoles, Paris en tête, le marché des bureaux résiste très bien. En périphérie, les prix ont diminué de 15 % à 20 %. Il faut dire que l’on était arrivé à des aberrations avec 1 000 euros par mètre carré en loyer facial dans un immeuble parisien. Avec les mesures d’accompagnement, le loyer économique va baisser, tout étant mis en oeuvre pour préserver le loyer facial. À titre d’exemple, à La Défense, une franchise de loyer de quarante-cinq mois a été récemment accordée à un preneur pour permettre au bailleur de maintenir son facial. Depuis le début de l’année 2022, le taux des mesures d’accompagnement en Îlede- France dépasse 24 %. L’explosion de la visioconférence et bientôt du métavers nous engagent vers ce monde subversif. Je ne sais pas où on va, mais on y va !

J.-P. C. De manière générale, des locaux trop grands pour une entreprise conviendront à une autre. L’exode vers la périphérie des métropoles ou vers le monde rural qui nous a été promis, s’inverse au profit de surfaces urbaines plus petites.

A. C. Le bureau n’est pas près de disparaître mais il ne sera plus aussi pléthorique que celui que l’on a connu, du point de vue de la surface comme de celui du prix. Le bureau est beaucoup trop taxé par rapport aux autres actifs. Nous avons donc d’un côté des augmentations de charges et de taxes, de l’autre un tassement du besoin en mètres carrés mais aussi des prix de location sur le marché français. Tout cela est propice à des changements de destination. C’est une tendance qui va se manifester plus fermement dans les années à venir. La mairie de Paris pousse le tertiaire vers le logement.

Quid de l’essor du e-commerce pour le segment commercial ?

A.C. Certains types de commerces physiques vont disparaître. Il y a quelques années on déclarait qu’environ 80 % des commerces de l’époque auraient disparu vingt ans plus tard. La mutation des modes de distribution induit un recul d’attractivité de certains types de commerces, notamment l’équipement de la personne. De plus en plus de magasins de prêt-à-porter font office de showroom. Les gens entrent, voient et tâtent, puis commandent en ligne et payent moins cher pour les mêmes références. Nous assistons également à l’émergence des drive, des dark stores que les maires détestent, ce qui ne les empêche pas d’éclore. La vente en ligne et la livraison à domicile font aussi énormément souffrir le commerce physique traditionnel.

J.-P. C. Il y a de quoi être un peu inquiet pour l’avenir du commerce. Du fait de solutions toujours plus innovantes pour acheminer rapidement tout ce que l’on peut trouver sur Internet, il faut reconnaître qu’il faut aujourd’hui faire preuve d’un certain optimisme pour ouvrir certains types de commerces de "retail".

A. C. D’où l’explosion du besoin en plateformes logistiques.

Un mot pour conclure ?

A. C. Tous ces bouleversements vont susciter un besoin croissant d’accompagnement juridique. En tant que conseil, nous sommes appelés à être consultés en permanence sur l’adaptabilité de l’immobilier, notamment les baux, à ces nouveautés. À nous d’inventer la flexibilité, de concevoir les nouvelles clauses qui vont devoir être créées pour anticiper les prochaines crises. C’est par là que notre métier peut rassurer et aider les acteurs.

Propos recueillis par la rédaction

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