Directeur du développement durable et qualité, sécurité, environnement du groupe Bouygues, président du Collège des directeurs du développement durable (C3D), Fabrice Bonnifet a un pedigree à mettre les sens des traqueurs de greenwashing en alerte. Déconstruction d’une idée reçue en un portrait.

Sa jeunesse ? "D’une banalité affligeante qui n’intéressera pas vos lecteurs", répond sans plus d’ambages celui qui réduit ses premières années à un "service militaire à la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris". À l’essentiel, donc. Sa bascule vers les questions environnementales ? "Progressive", confie-t-il avec humilité, ayant vu de près l’évolution de la question climatique au sein des entreprises en tant que directeur qualité, sécurité, environnement du groupe Saur dès 1989. "À l’époque, l’environnement se réduisait à des questions de conformité, on n’était pas du tout dans une logique de transformation profonde des modèles d’affaires. Pour moi, le vrai tournant est survenu en 2006 avec le documentaire d’Al Gore, Une vérité qui dérange." Une prise de conscience qui s’est ensuite enrichie avec les rencontres de personnalités comme Jean-Marc Jancovici ou Alain Grandjean.

Rupture

Face aux enjeux, Fabrice Bonnifet n’a pas peur de parler de "rupture totale", en appelant à des mesures radicales, fortes qui passent d’abord par un "électrochoc d’information". Car nombre de décideurs ne sont pas encore assez conscients de l’urgence et de la complexité des transformations à mener. "Regardez les membres de la Convention citoyenne pour le climat. Certains y sont entrés climatosceptiques, mais après avoir été correctement sensibilisés par des experts reconnus, les propositions qui ont été formulées par l’ensemble des participants se sont révélées très pertinentes." Et pour l’action ? "Il s’agit de passer à l’entreprise contributive, tel que je l’ai décrit dans mon livre* coécrit avec Céline Puff Ardichvili. Cela consiste dans l’alignement de cinq planètes : la compréhension des limites planétaires, la redéfinition de la raison d’être, la transformation du modèle d’affaires dans une approche perma-circulaire basée sur l’usage, la mise en œuvre d’un système de management au service de l’essentiel et du discernement entre le bon usage et le mésusage des technologies, et l’adoption d’une comptabilité triple capital pour mettre véritablement au même niveau les dimensions économiques, environnementales et sociales."

Face aux enjeux, Fabrice Bonnifet n’a pas peur de parler de "rupture totale", en appelant à des mesures radicales

Nouveaux récits

Voilà pour l’entreprise. Mais pour réussir la transition partout dans le monde, une mobilisation globale des citoyens est indispensable. Pour la susciter, Fabrice Bonnifet estime qu’il faudra réussir à "activer le levier émotionnel, établir un narratif positif pour démontrer que moins consommer d’inutile n’est pas synonyme de régression. Nous avons besoin des artistes, de gens qui savent raconter des histoires enthousiasmantes dans lesquelles la collaboration et l’entraide seront sublimées. C’est cela qui rend heureux". Une conviction qui le pousse à s’impliquer auprès de scénaristes et de producteurs pour élaborer ces nouveaux récits qui éveillent les consciences et proposent des solutions concrètes pour sortir de l’inertie de l’inaction.

Philosophie

Mais pour l’heure, Fabrice Bonnifet continue de tracer sa route, considérant que s’appuyer sur la vérité de la science dans sa façon d’agir est la plus grande preuve de loyauté et d’efficacité qui soit au service d’un des plus grands groupes français. L’inertie des habitudes et la résistance au changement sont colossales ? "Je le gère avec philosophie", répond-il dans un souffle qui concède une forme de désarroi. On avance, on fait de notre mieux, mais nous n’avons pas, hélas, toutes les cartes entre nos mains. Mais je ne veux pas laisser transparaître mon pessimisme devant l’ampleur de la tâche. Je trouve ma motivation auprès de tous ceux qui se battent tous les jours pour améliorer les choses. Il reste une toute petite fenêtre de tir. Agissons résolument. Au pire, ça marchera."

Antoine Morlighem

*L’Entreprise contributive - Concilier monde des affaires et limites planétaires, éditions Dunod

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