Superéthanol E85, une alternative au diesel ?

D’ici à 2035, date à laquelle les véhicules à moteur thermique seront définitivement interdits à la vente, un véritable raz de marée de voitures électriques aura sans doute submergé le marché automobile européen. Dans cet océan où les kilowatts vont progressivement remplacer les chevaux-vapeur, quelques îlots de résistance pourraient naître. Les voitures carburant à l’essence n’étant pas immédiatement exclues de la circulation, celles-ci continueront de rouler ; à commencer par celles affichant un faible taux d’émissions de CO2.

Les modèles Flexfuel carburant au Superéthanol E85 seront sans doute de ceux-là. Actuellement, Bercy accorde une fiscalité allégée à l’E85 en vertu de ses avantages environnementaux. La filière Bioéthanol rappelle en effet que l’éthanol est déjà présent à hauteur de 7,5 % dans le SP95 et le SP98, jusqu’à 10 % dans le SP95-10 et surtout entre 60 % et 85 % dans le Superéthanol E85. Ainsi, la combustion de ce carburant donne lieu à 50 % d’émissions de carbone en moins et à une réduction de 90 % de particules fines par rapport à un supercarburant traditionnel. En France, chaque année, ce biocarburant contribue à l’économie de plus de 1,8 million de tonnes de CO2 économisées, ce qui équivaut à la circulation de 700 000 voitures sans émissions de CO2.

Par rapport au carburant traditionnel, le Superéthanol, c'est 50 % d’émissions de carbone en moins et à une réduction de 90 % de particules fines

Issu de l’agriculture locale, l’E85 est une énergie végétale. Le bioéthanol est en effet produit dans des bioraffineries à partir de végétaux, mélangé à l’essence, puis distribué dans les stations-service. Le carburant est issu de la fermentation des sucres contenus dans les organes de réserve de la betterave sucrière (racine), des céréales (grain) et de la canne à sucre (tige).

Un carburant vert et pas cher

Longtemps resté dans l’ombre, l’E85, lancé en 2006, profite depuis deux ans de l’attrait de son prix à la pompe. Carburant de crise par excellence, le litre d’E85 était ces derniers mois commercialisé 75 centimes d’euro contre plus de 2 euros le litre pour le sans-plomb 95. En début d’année dernière pourtant, le superéthanol a vu son prix à la pompe grimper de 25 % pour s’établir pour la première fois à plus de 1 euro (1,18 €). Par rapport aux autres carburants, l’écart de prix de l’ordre de 76 centimes en faveur de l’E85 est resté cependant un atout. Durant l’année 2022, l’attrait des automobilistes pour ce biocarburant a littéralement explosé. Comme l’expose pour la Collective du Bioéthanol, Sylvain Desmoures, président du Syndicat national des producteurs d’alcool agricole (SNPAA), "2022 a été une année exceptionnelle pour le bioéthanol. Son attrait ne porte plus seulement sur l’économie que l’on réalise avec le Superéthanol E85 mais aussi désormais sur le caractère écologique de ce carburant qui permet une économie de 50 % de gaz à effet de serre par rapport à un carburant classique". Les résultats du superéthanol E85 en 2022 traduisent le véritable envol de la demande pour ce carburant. « La consommation d’E85 a progressé de 83 % l’an passé, se réjouit Sylvain Desmoures. Sa part de marché est passée de 4 % à 6,5 % et le nombre de points de vente délivrant ce carburant a progressé de 20 % pour s’élever désormais à 3 300 stations-service ; soit une sur trois en France".

"La consommation d’E85 a progressé de 83% l'an passé"

Une fiscalité à 11,83 centimes au litre

Né de la crise de l’énergie enregistrée au cours des derniers mois et de la hausse des tarifs des carburants qui a suivi, l’attrait sans précédent pour l’E85 est le fait d’automobilistes qui ont fait le choix d’acquérir un véhicule neuf Flexfuel carburant au Superéthanol E85 ou d’équiper leur propre voiture d’un boîtier E85 nécessaire à la carburation. Ainsi, ce sont 85 000 boîtiers qui ont été installés l’an passé tandis que 35 000 voitures neuves équipées Flexfuel E85 ont été immatriculées. "Avec une fiscalité sur le carburant stabilisée à 11,83 centimes d’euro au litre (contre 68,29 centimes d’euro pour les SP95 et SP98), ces 120 000 nouveaux utilisateurs du Superéthanol E85 devraient réaliser de l’ordre de 38 euros d’économie à chaque plein de 50 litres, et 675 euros d’économies de carburant pour 20 000 km par an", souligne la Collective du Bioéthanol.

De son côté, Nicolas Kurtsoglou, responsable Carburants au SNPAA, constate qu’"avec une multiplication par trois de la demande de boîtiers E85 par rapport à 2021 et une croissance des ventes de véhicules Flexfuel multipliée par six, c’est un parc de 301 000 véhicules qui carburent actuellement au Superéthanol, soit environ 2 % du parc automobile français. La demande est extrêmement forte, affirme Nicolas Kurtsoglou, nous sommes donc actuellement en bas d’une courbe de croissance exponentielle".

Grosse croissance mais peu de modèles

Au-delà de ce constat encourageant s’ajoute le calcul réalisé par les membres de la Collective du Bioéthanol : les boîtiers de conversion à l’E85 peuvent être appliqués pour un coût moyen de 800 euros à la plupart des modèles essence mis en circulation avant 2001. "C’est donc un potentiel de 10 millions de voitures immatriculées après 2001 qui peuvent passer au Superéthanol E85." Toutefois, cet élan en faveur de ce carburant n’a pas encore trouvé de relais auprès de la plupart des constructeurs automobiles. Depuis trois ans, Jaguar avec le SUV e-Pace et Land Rover avec les SUV Evoque et Discovery Sport ont adapté leurs motorisations pour proposer une offre Flexfuel usine. Comme l’explique Fabien Noël, directeur des ventes corporates Jaguar Land Rover, "ces motorisations Flexfuel E85 associées à la technologie Mild Hybdrid nous permettent de séduire de nouveaux clients tels que les professions libérales ou des entreprises qui constatent que ce carburant s’avérait être le mieux disant et le plus flexible pour leurs flottes".

Plus conséquente, la gamme Ford propose des versions Flexfuel sur 80 % de sa gamme en direction des Fiesta, Puma, Focus et Kuga ainsi que sur deux modèles utilitaires (Transit Connect et Fiesta Van). Comme le signale Fabrice Devanlay, responsable des Affaires publiques de la marque, "En 2022, les ventes de la gamme Ford ont été six fois plus importantes sur un an qu’au cours des cinq années précédentes. C’est ainsi une progression de 7 % par rapport à l’an passé".

Les flottes en ligne de mire

Pour sa part, Marc Jenniches, directeur de Ford Entreprise, constate également que "la demande de notre clientèle d’entreprises s’est portée à 92 % l’an passé sur des modèles Flexfuel ; quelle que soit la taille de leur parc automobile. Dans les flottes, l’E85 fait la transition entre le diesel d’hier et l’électrique de demain et il devient une alternative crédible à la voiture électrique pour les gros rouleurs". Pour la Collective du Bioéthanol, afin d’atteindre une part de marché de 8 % cette année, l’objectif désormais est clairement se séduire aussi les flottes d’entreprises : "Les modèles Flexfuel sont une réponse aux ZFE : à Reims une dérogation permanente est accordée aux véhicules carburant à l’E85 quant à la ZFE de Montpellier, elle accorde une dérogation de trois ans à ces véhicules Flexfuel."

Et pour Jérôme Loubert, directeur commercial de FlexFuel Energy Development, société spécialisée dans l’installation de boîtiers E85, "nous avons un effort à faire auprès des loueurs longue durée car pénétrer les flottes d’entreprises fait partie de notre stratégie de développement pour les prochaines années. Seul le loueur One Lease propose des offres Flexfuel auprès des flottes en location longue durée". Avec la certitude que le bioéthanol va permettre aux flottes de réduire le TCO de leurs parcs de véhicules, les membres de la Collective du Bioéthanol misent désormais sur la relation directe pour équiper les entreprises comme c’est déjà le cas avec les administrations. Tendance encourageante relevée par l’observatoire Arval Mobility Observatory, en 2022, les immatriculations de véhicules roulant au Superéthanol dans les flottes d’entreprises ont représenté 3 026 unités mais avec une progression de 580 %...

Jean Pierre Lagarde