Dans la course à la souveraineté énergétique, d’aucuns appellent en France à la pause réglementaire alors que l’UE prend conscience de l’importance du lawfare pour réussir la réindustrialisation par la transition écologique. Dans le secteur des véhicules électriques (VE), la Chine a réussi à mettre en œuvre sa stratégie du cheval de Troie par le droit. Initiée depuis cinquante ans, elle domine aujourd’hui toute la chaîne de valeur du secteur.

Les rapports scientifiques (Giec, HCC, etc.) s’accordent à pointer les transports comme un pollueur majeur. Selon les chiffres, 32 % des GES en France sont dus aux transports. Avec l’annonce de la fin des véhicules à moteur thermique en 2035, les parties prenantes du secteur se sont lancées dans une course contre-la-montre pour répondre à l’objectif de 90 % de la demande satisfaite par des fabricants de l’UE. Considéré comme deux à trois fois moins émetteur qu’un véhicule thermique, le VE nécessite six fois plus d’apports de minerais. L’AIE estime que le développement des technologies vertes nécessaires pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris augmenterait la demande mondiale entre 2020 et 2040 par 42 pour le lithium, par 25 pour le graphite et par 19 pour le cobalt. Depuis les années 1980, la Chine n’a cessé d’asseoir sa souveraineté sur ces matières premières et sur toute la chaîne d’approvisionnement du VE. Après des décennies de politiques internationales et nationales redoutables, la Chine a su employer le droit pour être l’acteur incontournable du « business vert » des VE.

Le recours au droit de la propriété industrielle

Dès 1986, Deng Xiaoping lance le programme 863 avec le slogan « Au Moyen- Orient le pétrole, à la Chine les terres rares ». Il rassemble alors l’ensemble des parties prenantes chinoises du secteur pour capitaliser sur leur expérience acquise chez les concurrents internationaux et développer « son savoir- faire chinois » sur toute la filière, dont elle saura assurer la protection juridique.Elle conditionne l’accès des marques étrangères de voitures au marché chinois par la création de partenariats avec transfert de technologie vers les sociétés chinoises.

Le contrôle des ressources naturelles par la prise de contrôle des mines et autres acteurs de la filière

En 2015, la stratégie industrielle chinoise « Made in China 2025 » (MIC2025) fixe un objectif ambitieux : garantir que 70 % des composants et matériaux utilisés dans les VE proviennent du pays d'ici à 2025. Pour ne citer que le cobalt, pendant des décennies, les entreprises chinoises ont investi massivement en RDC. Début 2022, China Molybdenum y investit 2,5 milliards de dollars pour doubler sa production de cobalt afin d’en devenir le plus grand producteur au monde en 2023, détrônant le géant minier suisse Glencore. Aujourd’hui, les entreprises chinoises contrôlent ou financent 15 des 19 mines de cobalt de RDC. Pour le Lithium, la Chine pourrait envisager de procéder à un investissement étranger en Afghanistan.

De la maîtrise du droit du commerce international : Des CRM nécessaires à la défense nationale

Alors que la RPC6 fournit 62 % des CRM répertoriés par l’UE, la Chine définit sa liste de CRM classés comme « stratégiques, nécessaires pour sauvegarder la sécurité économique nationale, la sécurité de la défense nationale et les besoins de développement des industries stratégiques émergentes ». C’est sur ce fondement juridique qu’elle appuiera sa défense pour déroger aux interdictions de restrictions quantitatives prévues à l’article XI du GATT.

Droit de la concurrence et flux des soutiens financiers

En Chine, l’État alloue des subventions massives à l’achat de VE chinois. Il impose des droits de douane de 25 % sur les voitures importées. Les sociétés étrangères sont inéligibles aux subventions étatiques. Pour en bénéficier, les constructeurs automobiles étrangers doivent faire appel à un fournisseur chinois agréé. En Afrique, la Chine annule 23 prêts sans intérêt à 17 pays africains en 2022 et signe des accords avec 12 d’entre deux pour supprimer les droits de douane sur 98 % des produits qu’ils exportent vers la Chine. Elle étend alors son emprise par des coopérations dans les industries émergentes telles que les secteurs verts et à faibles émissions de carbone. En Europe, la Commission européenne vient tout juste d’ouvrir une enquête sur les subventions chinoises aux VE par la fourniture de composants à bas prix ou encore des crédits à taux bas aux constructeurs chinois. Si la distorsion de concurrence est avérée, l’UE pourrait rehausser ses droits de douane à l’importation (10 % actuellement, contre 27,5 % aux États-Unis). Profitant du vide juridique sur les subventions étrangères jusqu’en 2023, la Chine a pénétré le marché européen en investissant dans les fleurons des entreprises du secteur. Partenaire commercial ou actionnaire, elle a posé ses pions. Faute de filière française des VE, les bonus à l’achat de VE bénéficient aujourd’hui aux VE made by China in Europe.

Stratégie d’influence dans la normalisation

En 2019, la présidence du comité du lithium du London Metal Exchange est assurée par la société chinoise Tianqi Lithium Corporation. Le mandat est alors de soutenir l’adoption de prix de référence. Lorsque l’Organisation internationale denormalisation crée un comité technique sur le lithium pour normaliser les conditions dans le domaine de l’extraction, de la concentration, de la conversion du lithium, la Chine se positionne en assurant le secrétariat dudit comité.

Quand l’Europe se réveillera

Continent fertile pour l’économie chinoise, l’Europe semble se réveiller. Depuis 2022 elle vote tour à tour des règlements (application directe contrairement aux directives) pour contrer la pénétration de la Chine sur le marché européen. Le règlement 2022/2560 relatif aux subventions étrangères faussant le marché intérieur illustre cette prise de conscience. Non soumis aux règles applicables aux aides d’État, les entreprises européennes bénéficiaires de subventions étrangères échappaient jusqu’alors à tout contrôle sur la distorsion en matière de concurrence. Une subvention étrangère est définie comme une contribution financière (d’État ou privée) fournie directement ou indirectement par un pays tiers, qui confère un avantage et qui est limitée à une ou plusieurs entreprises ou à un ou plusieurs secteurs. Ces conditions sont cumulatives. Signe fort de l’urgence à protéger les intérêts essentiels de la sécurité de l’UE, conformément à l’article 346 du TFUE, la Commission européenne aura le pouvoir d’examiner de sa propre initiative, mais sous conditions de seuils, les fusions, acquisitions, marchés publics ou concessions bénéficiant de ces subventions. Autre texte, le règlement Critical Raw Material Act (CRM act) vise à réduire la dépendance vis-à-vis des pays tiers, à renforcer les chaînes de valeur et à réduire les vulnérabilités. Le texte introduit enfin la notion de métaux stratégiques. Il prévoit notamment le développement du recyclage et l’homologation des certifications RSE. Ainsi l’Europe semble s’emparer du droit de l’environnement comme une arme juridique, et non un obstacle, pour la réindustrialisation verte. Mais une autre arme semble encore trop négligée, celle de la réglementation sur la sécurité des batteries.

 

Sur l'auteur
Marie-Bénédicte Desvallon, Associée chez Wat & Law. Solicitor of England & Wales et avocate au barreau de Paris, Maître Desvallon a développé son expertise dans les secteurs des ressources naturelles, énergies et infrastructures associées en conseillant des banques multilatérales et des entreprises internationales en Afrique et Grande-Bretagne entre autres. Elle est aussi experte au sein de la commission droit et politiques environnementales du Comité français de l’UICN.

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