Du fait d’un modèle à rebours des plateformes de crowdfunding classiques, La Première Brique poursuit son développement dans un contexte immobilier chahuté. Hugo Berthe et Thomas Danset, les fondateurs, nous présentent leur société, ses singularités et leurs perspectives pour les années à venir.
La Première Brique : "Proposer quelque chose de simple d’utilisation, de performant et de sécurisant"
DÉCIDEURS. Pourriez-vous présenter La Première Brique ?
Hugo Berthe. La Première Brique est une société de financement participatif créée en 2019 sur un constat simple : les produits à fort rendement sont inaccessibles. Nous proposons des investissements à partir de 1 euro sans aucuns frais, pour un rendement d’environ 11 %. Côté investisseur, nous insistons sur l’aspect accessible, ludique et facile à comprendre, ce qui était assez innovant à nos débuts, et côté porteur de projet, des solutions de financement dans un marché aphone. Un besoin de financement de l’ordre de 100 000 euros n’intéressait pas les banques, c’est là que l’on intervenait. Nous avons aujourd’hui la capacité d’intervenir sur des montants plus importants en conservant le bon sens paysan qui fait notre force. Le côté noble du terme artisanat pourrait aussi nous correspondre dans le sens où nous prenons chaque dossier au cas par cas, tout en essayant de trouver des solutions aux problématiques qu’ils font émerger. C’est la philosophie de La Première Brique : chaque partenaire est différent, chaque porteur de projet est unique. Nous avons élaboré des process partout où cela était possible pour gagner du temps et faire en sorte que notre équipe se concentre sur des tâches à valeur ajoutée. C’est ce qui nous a permis de collecter 17 millions d’euros en 2021, 35 millions en 2022 et 70 millions en 2023 sur un taux de rendement moyen de l’ordre de 11,33 %, l’un des plus élevés du marché.
Thomas Danset. Nous n’avons jamais fonctionné avec des objectifs au sens strict et financier du terme mais cette année, nous nous sommes fixés un cap symbolique : dépasser les 100 millions d’euros de collecte.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de La Première Brique ?
T. D. Nous avons toujours été séduits par le principe, par l’essence du financement participatif. En 2019, ce fondement commençait déjà à s’essouffler dans son application concrète et dans les dynamiques des acteurs en place. Dans notre esprit, le crowdfunding immobilier devait permettre d’apporter une réponse à tous les porteurs de projets motivés, pour peu que leurs opérations soient solides. Les jeunes opérateurs étaient souvent discriminés du fait d’opérations trop petites, et se retrouvaient éjectés des parcours traditionnels de financement. Le marché du crowdfunding mettait du monde de côté pour des questions de rentabilité et de volumes. Notre propos a donc été d’apporter une réponse à tous les porteurs de projets motivés et sérieux avec un projet solide.
''Nous avons toujours été séduits par le principe, par l’essence du financement participatif''
H. B. Côté investisseurs, nous sommes partis d’une question simple : à leur place, qu’est-ce que j’attendrais de mon investissement ? On se trouve sur un produit financier, digital, le ticket dès 1 euro rend l’opération accessible. C’était une hérésie à l’époque alors que, dans notre esprit, cette démocratisation nous semblait constitutive du crowdfunding. La volonté de faire quelque chose de performant à 1 euro est la construction même de cette société. Le niveau de performance est évidemment essentiel : on ne peut pas promettre de rendre accessibles des rendements au plus grand nombre sans qu’ils soient performants. La genèse du projet était donc de proposer quelque chose de simple d’utilisation, performant et sécurisant.
Cette démocratisation du crowdfunding passe aussi par de la vulgarisation. Vous le faites à travers une newsletter mais aussi un gros travail de veille sur les forums. Racontez-nous.
T. D. Dans le financement participatif, il y a le mot « financement » mais aussi « participatif ». Nous sommes partis de l’essence même de la formule. Le crowdfunding c’est le financement par la foule. Nous gardons en tête que les investisseurs sont des personnes qui font confiance à notre analyse, à notre capacité à structurer et à suivre des opérations qu’ils vont financer. Nous avons une règle stricte qui consiste à traiter de la même manière une personne qui investit 10 euros ou 10 000 euros du point de vue de la qualité de la réponse et de la réactivité. C’est la façon de procéder la plus démocratique dans laquelle nous refusons de considérer l’aspect financier pour faire un tri. De mémoire, nous sommes la seule plateforme qui impose un ticket maximal par projet, qui varie selon la taille de l’opération. Pour nous, le financement participatif passe par une approche d’éducation financière dans la perspective d’offrir à tous la possibilité d’investir sans barrière de montant, sans barrière de langue, sans barrière technologique. On s’efforce de communiquer avec un expert comme avec un profane, et les deux vont pouvoir y trouver satisfaction.
Que pouvez-vous dire du marché de l’immobilier et comment naviguez-vous dans ce contexte particulier ?
H. B. Concrètement, nous avons financé des opérations qui prennent du retard, dans un contexte de marché compliqué. Un retard n’est pas fondamentalement inquiétant mais peut être anxiogène pour nos investisseurs. Notre suivi constant nous permet d’apporter des solutions sur mesure aux points de blocage qui peuvent ralentir une opération. Malgré tout, c’est le moment idéal pour investir dans le crowdfunding, car nous proposons aujourd’hui des opérations sélectionnées avec un niveau d’exigence maximal, compte tenu du contexte de marché, alors même qu’elles vont se déboucler dans plusieurs mois, sous un ciel dont tout laisse à penser qu’il sera plus clément. Les banques ayant fermé leurs guichets, nous recevons par ailleurs plus de demandes et les chiffres parlent d’eux-mêmes avec une collecte multipliée par deux l’année dernière et que l’on espère multiplier par deux cette année. De plus, les dossiers sont de plus en plus qualitatifs. Si le contexte se révèle assez positif pour notre société, la prudence reste cependant plus que jamais au centre de notre industrie et le suivi au coeur de notre métier.
T. D. On constate un véritable marché de report au sein du crowdfunding mais aussi au sein des différentes sources de financement traditionnel. Hugo a évoqué les banques mais certains acteurs du crowdfunding ont atteint une telle taille qu’ils en deviennent rigides. Pour vous donner un exemple parlant, certaines structures tiennent un comité d’investissement une fois par semaine lorsque nous avons des créneaux de comité tous les matins. Cette flexibilité nous autorise une grande réactivité qui, dans l’univers du marchand de biens, nous permet de décrocher beaucoup d’opérations. Nous sommes en capacité de travailler sur le format « commando » et sur un gros volume de dossiers. Nous avons financé près de 200 opérations l’année dernière, et des structures de crowdfunding qui arrivent à financer plus de 100 dossiers dans l’année, il n’y en pas beaucoup.
Quelles sont vos ambitions à court, moyen et long terme ?
H. B. Notre croissance s’est faite de manière très pragmatique. Notre ambition à court terme réside dans la structuration des équipes pour poursuivre cette dynamique. Nous sommes intimement convaincus qu’une équipe bien structurée, avec des process efficaces peut faire mieux qu’une grosse structure. À moyen terme, nous gardons comme leitmotiv l’amélioration de l’expérience utilisateurs qui est un fil rouge constant. Notre nouvel agrément nous permet de nous déployer en Europe, qui peut devenir une ambition à plus long terme.
T. D. De notre point de vue, il reste trop à faire sur le marché français pour qu’un déploiement au-delà de nos frontières soit une priorité, mais c’est effectivement dans notre logique de développement. Nous sommes perfectionnistes, avec la volonté permanente d’améliorer nos services, de continuer de structurer notre société. Pourquoi aller chercher des marchés ailleurs alors qu’il en reste tant en France ? En mettant de côté cette dimension géographique, nous nous intéressons aux nouveaux usages immobiliers tels que le viager ou le réméré, dans l’optique d’apporter une complémentarité à notre offre tout en restant sur un core business bien établi, avec une logique de qualité et de diversification, pour que chaque personne s’inscrivant sur le site puisse trouver son bonheur.
Que pensez-vous de l’intelligence artificielle appliquée à l’immobilier et à votre métier en particulier ?
H. B. C’est un sujet qui a forcément une pertinence pour nous dès lors qu’il sera au service de ce que l’on fait et qu’il ne nous empêche pas de réfléchir. On va l’intégrer. Comment ? On ne sait pas, mais notre priorité sera que cela ne dégrade l’expérience utilisateur ni celle de l’équipe.
Propos recueillis par Alban Castres