L’État français, les capital-risqueurs et les entreprises construisent-ils réellement une politique pérenne de soutien aux start-up du digital? 
Pourquoi ces petites entreprises de croissance sont-elles tant plébiscitées par les investisseurs ? Parce qu’elles sont bankables. C’est la tendance confirmée en France par le troisième baromètre annuel de la performance économique des start-up numériques [source : EY, France Digitale] publié en juin dernier. Entre 2012 et 2013, leur chiffre d’affaires a bondi de 43 %, passant pour les 116 start-up sondées de 1,598 milliard d’euros à 2,279 milliards d’euros. Une performance tirée par l’international où 39 % des recettes ont été réalisées pour un montant de 881 millions d’euros. À l’échelle locale, les start-up ont aussi un impact positif sur l’emploi : 1 376 postes ont été créés, dont 91 % en CDI, soit une augmentation de 22 % du niveau des embauches.
Investisseurs et entreprises profitent désormais pleinement de la valeur ajoutée générée par ces entreprises de croissance, véritable vivier pour l’innovation. Dernièrement, Lagardère a misé gros sur le digital en investissant onze millions d’euros dans un nouveau véhicule dédié à l'économie du numérique. Même engouement chez Microsoft. Un an après avoir lancé son accélérateur de start-up à Paris, la multinationale américaine fêtait récemment sa première levée de fonds : 300 000 euros pour la plate-forme sociale Youmiam. Un succès qui confirme la nécessité de « marier la culture de l’innovation à celle du private equity », selon Fabrice de Gaudemar, dirigeant d’Eurazeo croissance. Plus facile à dire qu’à faire.

Des fonds trop nombreux et trop petits

En France, la taille moyenne des fonds de late stage n’est que de soixante-dix millions d'euros quand elle avoisine les 140 millions d’euros en Allemagne et 250 millions d’euros outre-Manche. S’il existe bien quelques fonds de croissance qui tiennent la route, Large Ventures de BPI France ou Iris Capital, l’Hexagone manque cruellement de véhicules capables d'investir vingt millions d'euros dans des entreprises en croissance.
« Aujourd’hui, il y a une centaine de fonds de capital-risque en France. C’est trop, il faut écrémer », déclare le patron de la BPI, Nicolas Dufourcq. « On va sélectionner plus fermement et demander plus de rendement », poursuit-il. Entre 1996 et 2006, le TRI moyen en amorçage était négatif et il flirtait timidement avec les 2 % en venture. Une bien maigre récolte.

Des entreprises qui rechignent à investir

Pour Philippe Collombel, associé chez Partech Ventures, « Le venture-capital européen vit sous perfusion des acteurs publics. C’est au privé de se mobiliser ! » En France, « 20 % des investissements sont réalisés par la BPI », confirme Axelle Lemaire, secrétaire d’État au Numérique.
Mais le mois de juillet 2014 devrait siffler le coup d'envoi d’une première incitation fiscale pour le corporate venture. Le gouvernement compte sur cette mesure, inscrite au projet de loi de finances rectificative, pour augmenter de 30 % le financement de start-up par les grands groupes. L’addition n’en est pas moins salée : 200 millions d’euros par an, c’est le coût de la mesure pour un montant total d’investissement annuel prévisionnel de 600 millions d’euros. « Cela devrait inciter les entreprises à faire du early stage », rassure Philippe Collombel. À condition que les directions financières se montrent moins frileuses à l’idée de mobiliser du cash sur plusieurs années.

Le blason de la France à redorer

« Il y a en France un tissu maillé de structures de financement mais nous avons besoin des fonds américains pour conquérir des marchés comme les USA », insiste Nicolas Dufourcq. Pour motiver les troupes, la banque publique d’investissement et le lobby France Digitale ont orchestré mi-juin la venue des grands noms du capital-risque américain (lire page 8). Le défilé de cette « French Tech Week » s’est tenu à Bercy et Matignon avant de se terminer à l’Élysée. Lors de ces festivités, Paris a accueilli la fine fleur des investisseurs de la Silicon Valley et de la côte Est américaine : Andreessen Horowitz (Skype, Instagram, Airbnb), Menlo Ventures, Thrive Capital (Instagram), Globespan, First Capital, sans oublier Om Malik, le fondateur du site Gigaom désormais associé chez True Ventures.
Une opération séduction concluante qui a trouvé un second relais à New York lors de l’inauguration de la French Touch Conference fin juin. Pour la première fois, des start-up françaises sont parties à la rencontre des capitaux-risqueurs et de l’écosystème numérique américains. Indéboulonnable figure de proue de la réussite hexagonale, Criteo se trouvait à l’avant du navire digital français. Coût de l’événement soutenu par Axa et organisé par Gaël Duval, président du comparateur JeChange.fr : 600 000 euros en partie financés par Bercy. Promouvoir la french tech n’a pas de prix !

Des financements du futur à explorer

« Les banques ont encore peur de prendre des risques », lâche Ronan Le Moal, CEO du Crédit mutuel Arkea. C’est sûrement une des raisons qui explique le succès grandissant du financement participatif. Le crowdfunding vise en effet à mettre en relation des porteurs de projets avec des particuliers prêts à investir. En 2013, près de quatre-vingts millions d'euros ont été collectés permettant à plus de 32 000 projets de voir le jour. Pour Ronan Le Moal, l’émergence de ces nouvelles voies de financement révèle « une recherche de sens dans la façon dont les individus épargnent ». Le gouvernement l’a bien compris. Le 28 mai dernier, Arnaud Montebourg présentait en Conseil des ministres l’ordonnance sur le crowdfunding qui devrait notamment encadrer la création de plate-formes dédiées à l’investissement dans des start-up. Un levier efficace pour leur permettre de récolter des fonds tout en protégeant les investisseurs d'éventuels abus. La France est l'un des premiers pays à encadrer le crowdfunding. « Nous avons une des législations les plus innovantes dans le monde », rappelle Patrick Robin, associé Avoltapartners et fondateur de l’agence digitale 24h00. Les décrets d’application devraient être publiés en juillet et la loi entrera en vigueur le 1er octobre 2014.
« En matière de financement, on est équipé », martèle Nicolas Dufourcq. « Ce qui nous manque c’est la tête dans les étoiles », s’agace-t-il. Le patron de la BPI a une définition bien personnelle de ce que signifie avoir la tête dans les étoiles : « Ce sont les entrepreneurs qui se disent tant que l’on aura pas fait un milliard d’euros, on n’arrêtera pas. » La french tech française n’est donc pas prête de s’arrêter…

Émilie Vidaud

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