Sir M. Sorrell, A. Lemaire, S. Richard, C. Benqué, A. Weill… Ils étaient tous présents aux dernières rencontres de l’Udecam pour réfléchir à l’avenir de la communication.
« We live in a digital dominated world ». La phrase sonne comme une sentence. Elle est signée Sir Martin Sorrell. L’emblématique patron de WPP, numéro un mondial de la communication, réserve ses apparitions et augures aux professionnels des médias et du marketing. Des professionnels que l’Union des agences de conseil et d'achat média (Udecam) a réunis le 4 septembre dernier à Paris sur le thème de l’accélération de l’univers numérique et de l’adaptation de son écosystème. Décideurs y était.

Communication vs data
Tout a commencé en 2009. Ou plutôt, tout a recommencé à cette date, après la chute de Lehman Brothers, explique le gourou de la communication. La finance et les achats ont alors pris le pouvoir et avec eux, les annonceurs et publicitaires ont les yeux rivés sur les coûts. Les pays émergents ralentissent, les marchés européens (Sud et France) régressent et l’offre dépasse la demande, notamment dans l’automobile … Tant et si bien que « China is becoming the tech center of the world » et qu’il existe même aux États-Unis une déconnexion entre le temps passé devant les médias et les dépenses publicitaires dans ces médias. D’ailleurs, « Digital is already 36 % of our business », ajoute Martin Sorrell. 
Comment sortir de là ? Éléments de réponse.

France vs GAFA
Le digital s’immisce partout. « Nous n’avons jamais autant eu les moyens de rendre la communication pertinente et le retour sur investissement efficace », se félicite Bertrand Beaudichon, président de l’Udecam. Mais quelle place pour la France face aux géants américains, Google, Apple, Facebook, Amazon – les Gafa ?

Outre-Atlantique, Barack Obama s’est doté d’une task force digitale d'une dizaine de personnes afin de relever les défis de l'administration numérique. En Allemagne, Angela Merkel vient de publier une série de propositions dans le domaine du digital et d’un cloud européen. En France, la loi numérique n’arrivera pas tout de suite. Une large concertation publique et l’embouteillage parlementaire classique ont raison des préssés. « La France est bonne en savoir-faire et moins bonne en faire savoir », fait remarquer Axelle Lemaire. S’appuyant sur la récente étude du Boston Consulting Group (BCG), la secrétaire d’État au numérique rappelle que « la croissance globale de l’économie pourrait presque doubler grâce au numérique » et que, dans ce contexte, il est devenu indispensable.
Alors, comment réussir la transition économique vers une « République numérique » ? Par l’éducation et l’inclusion numérique, mais également par des facilités de financement – participatif notamment – pour les entreprises. « Emmanuel Macron et moi sommes convaincus qu'il faut un univers fiscal positif et attractif en France, face à la vitalité du capital-risque américain. » 

Face à l’hégémonie et à la position monopolistique des Gafa, l’Hexagone ne tient pas la corde, mais n’a toutefois pas à rougir de sa French Tech et de ses réseaux. « Cette révolution numérique ne pourra s’effectuer sans réseau performant », prévient Stéphane Richard. Le P-DG d’Orange est ravi de relever ce « défi fantastique », après l’augmentation par 26 du trafic data en huit ans et alors qu’on ne compte pas moins de 6,4 écrans dans chaque foyer, comme le répète Bruno Chetaille, président du Conseil d'administration de Médiamétrie. Mais face au manque de pluralité des Gafa, il faut davantage d’action de la part des pouvoirs publics. Stéphane Richard, qui prévoit déjà la 5G à échéance 2020, ne mâche pas ses mots : « L'Europe n’est pour eux qu’un comptoir. Ils ne paient quasiment pas d'impôts chez nous (…) et ont besoin de notre ancrage local. Or, c'est nous qui supportons les frais et les investissements – six milliards d’euros par an pour Orange, soit infiniment plus que Google. »

Régulation vs crise
La concurrence avec les géants américains pose également la question de la régulation face à l'accélération des échanges de données. Pour Laurence Parisot : « Nous sommes, avec la digitalisation, dans le même ordre de vitesse et d’opacité qui a conduit à la crise financière », preuve qu’ « il faut impérativement des régulations pour éviter une nouvelle catastrophe de cette ampleur. » L’ancienne patronne du Medef, à la tête de l’Ifop, ne cache pas son inquiétude. Elle assure que pour bien penser cette régulation, il faut l’envisager au niveau européen et selon une doctrine qui aura enfin pris parti entre l’hypothèse d’une économie de marché totale et débridée et celle de données individuelles protégées et d’une dignité de la personne respectée.

Plus nuancé et tentant de rassurer, le président de l'Autorité de la concurrence, Bruno Lasserre, admet que « si les rythmes deviennent fous, des cycles d'innovation digitale ouvrent des espaces nouveaux, où par des effets d'induction, de nouvelles demandes qui ne s'exprimaient pas jusqu'à présent apparaissent. » À l’instar de BlaBlaCar. Et pour ne pas laisser tout le marché entre les mains des géants américains, il faut agir « dans les temps des marchés ». David contre Goliath ? « Oui », répond le régulateur : « mais la loi nous donne d'ailleurs la possibilité de sanctionner jusqu’à 10 % du CA mondial d’une entreprise en cas de pratiques anticoncurrentielles. »

Contenus vs contenants
Après les tuyaux, c’est au tour des contenus de passer au prisme des perspectives analytiques. Une entreprise de médias doit-elle être une entreprise de contenus ou de contenants ? Ou les deux ? Là encore, les choses évoluent non seulement à une vitesse prodigieuse, mais également à l’échelle mondiale. Rien de très nouveau somme toute. « The medium is a message » : en 1967, « Marshall McLuhan avait déjà compris qu’on était dans un village global », admet Jean-Hervé Lorenzi, le président du Cercle des économistes.

Au jeu de savoir si contenus et contenants vont se concurrencer ou s’additionner, il y a les anciens et les modernes. Parmi les premiers, Serge Papin, P-DG de Système U, croit davantage à « un monde d’addictions » qu’à un monde d’additions. « En réalité un monde ne va pas en remplacer un autre et l’on va conjuguer ensemble, assure-t-il.
Chez les seconds, on trouve ceux qui parient sur la vidéo, comme Raphaël de Andreis, directeur général du groupe Havas Media France, pour qui « la vidéo sera demain partout et modifiera profondément les organisations des médias » ou Alain Weill, le patron du groupe NextRadioTV, qui voit en l’image une « priorité, au même titre que la convergence qui fait que les radios deviennent des chaînes de TV. » Ensuite ceux qui misent sur les réseaux sociaux, comme Louis Dreyfus, le président du directoire du Monde, qui explique que la rédaction du quotidien est grâce à cela « désormais très engagée avec son audience » ou, le président du directoire du groupe Sud Ouest, Olivier Gerolami, qui ne voit « ni danger ni concurrence des réseaux sociaux, mais complémentarité, à condition que les journalistes acceptent de faire leur révolution des mentalités ».

Marques vs médias
Ni concurrence ni opposition entre contenus et contenants donc, mais complémentarité… Et même parfois absorption, voire confusion. C’est le cas avec le phénomène de brand content. Francis Morel, P-DG du groupe Les Échos, définit le phénomène comme l’envie qu'ont les marques de communiquer différemment, avec pour exemple le succès des sites d'informations issus de quotidiens de renom. De quoi chambouler les rapports ancestraux entre marques et médias. « La création vient de partout, le canal apparaît en même temps que l'idée et il n'y a plus de travail de séquences comme auparavant », souligne Vincent Leclabart, président de l’agence Australie, à la tête de l'Association des agences-conseils en communication (AACC).

Pour Arthur Millet, directeur digital d'Amaury Médias et président du SRI, le marché du content marketing « n'est pas simplement de la promotion sur du contenu, mais de la production de contenu à réutiliser sur tous les formats et leviers. Demain, les marques et les marques médias vont devenir plus partenaires que concurrentes car les marques n'ont pas forcément les moyens de produire des contenus. »
Constance Benqué l’a bien compris, elle qui « aime les marques » et qui les « met en avant ». La présidente de Lagardère Publicité a en effet pris la tête de l’hebdomadaire Elle. Au nom de quoi ? « Rapprocher nos contenus de ce que cherche le consommateur ». La boucle est bouclée.



Julien Beauhaire

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