Banquier et "bankable" font la paire chez Vincent Le Stradic. Le spécialiste des télécoms chez Lazard fait le point sur l'un de ses derniers deals en date : la levée de fonds spectaculaire de Sigfox pour 100 M€.
Décideurs. Vous avez travaillé sur la plus grosse levée de fonds de l’année avec le deal Sigfox. Comment se retrouve-t-on sur ce genre d'opération ?
Vincent Le Stradic. Pour tout vous dire, je sortais déjà très éreinté du deal SFR/Numericable et je ne connaissais pas Sigfox. Mais entre leur projet et mon expérience dans les TMT, je n’ai pas hésité à donner mon accord pour les accompagner dans leur recherche de fonds. Je me suis dit que la société avait un potentiel immense. Le marché des objets connectés n’a rien à voir avec celui de la voix ou de la data pour smartphones. Pour faciliter l’échange de messages vocaux ou vidéo et de gros fichiers data, il vous faut une Ferrari, mais pour la communication entre les objets, le Range Rover est optimal : robuste et tout-terrain, il assure une transmission de tous les instants. Cela se traduit au niveau du prix. Dans un pays comme la France, le cout d’un réseau mobile est de l’ordre de 1 MD€ pour couvrir le territoire national alors qu’avec Sigfox les coûts se limitent à quelques millions d’euros.

Décideurs. Concrètement, quel a été votre apport dans la réussite de ce fund raising de 100 M€ ?
V. L S. C’est toujours excitant et périlleux de participer à une opération auprès d’une entreprise qui porte une technologie disruptive. En l’occurrence, Sigfox présentait des pertes d’exploitation et son chiffre d’affaires n’était que de quelques millions d’euros. Malgré cela, le potentiel était bien identifié et jugé colossal. Dans ce cas, la difficulté du rôle attribué au banquier d’affaires est de transformer les chiffres à notre disposition en un business plan avec l’aide du management. C’est un vrai travail d’évangélisation – sur ce point, Anne Lauvergeon et Ludovic Le Moan ont été vraiment très forts. Sur la typologie des actionnaires entrants, nous avons d’abord fait appel à un investisseur américain afin de prévoir le rollout de la techno aux États-Unis. Il a aussi fallu compter sur des industriels pour le « mass effect » et sur l’appui de télécoms afin qu’ils perçoivent Sigfox comme un partenaire et non comme un concurrent. Encore une fois, l’idée n’est pas de développer un réseau 3G/4G.

Décideurs. Autant d’acteurs différents et renommés auprès d’une start-up française, avez-vous réussi le fait d’armes de votre carrière ?
V. L S. Il est encore trop tôt pour le dire. Mais il est vrai que beaucoup d’autres acteurs souhaitaient participer au tour de table et les 100 M€ auraient largement pu être dépassés. De très gros venturists américains ont frappé à la porte de l’entreprise fondée et dirigée par Ludovic Le Moan, mais il y a toujours une question de fit dans ce genre d’opérations, l’aventure n’étant pas uniquement financière. C’est vrai que six actionnaires historiques contre sept nouveaux, c’est assez rare : ils doivent tous signer les mêmes papiers et s’entendre sur le business de la société en Asie, en Europe et aux USA. Au final, l’actionnariat est très hétérogène pour une stratégie homogène. Vu par ailleurs la complexité du deal, il n’aurait pas été possible il y a quelques années.

Décideurs. Et depuis cette transaction, pensez-vous que l’internet des objets soit « the next big thing » ?
V. L S. Oui, ce n’est pas une tendance gadget, accessoire. C’est un vrai marché porteur d’espoirs de plusieurs milliards de dollars. Néanmoins, il lui faut du temps pour s’affirmer, entre les tests et les demandes d’autorisation administrative. Il n’y a qu’à voir l’utilisation de drones par Amazon outre-Atlantique. En attendant, Sigfox vient de signer son plus gros contrat avec Securitas en Espagne. La machine est lancée.

Firmin Sylla.

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