La présidente de Standard & Poor’s France dresse pour nous un état des lieux de l’économie française.
Décideurs. Que pensez-vous du risque de crédit en France ?
Carol Sirou.
En tant qu’agence de notation, notre rôle est de réduire l’asymétrie d’information entre émetteurs et investisseurs de dette en délivrant des travaux d’analyse permettant aux principaux acteurs de l’économie de se financer.
Participant à l’embellie générale en zone euro, l’économie française est officiellement sortie de récession au second trimestre 2013, avec une croissance de 0,5 % après 8 trimestres de stagnation ou de baisse. Toutefois, nous pensons que les conditions d’une reprise durable ne sont pas encore réunies et prévoyons une croissance du PIB de 0,7% en 2014.
Dans ce contexte macroéconomique, sur les 186 groupes notés par Standard & Poor’s en France en 2013, dont 23 nouvelles notes, 69% avaient une perspective « stable ». C’est-à-dire que la probabilité que leur note soit modifiée, à la hausse ou à la baisse, est inférieure à un sur trois (la perspective exprime l’orientation la plus probable d’une évolution de note si celle-ci intervenait dans les 6 à 24 mois).
Cette bonne qualité de crédit des entités notées par Standard & Poor’s est confortée par le fait qu’aucun groupe n’a fait défaut en France en 2013. Notre définition du « défaut » est le non-remboursement intégral des dettes financières à l’échéance prévue.

Décideurs. Avez-vous constaté une dégradation de certains secteurs d'activités ?
C. S.
Alors qu’en 2013, dans la plupart des secteurs, le nombre de notes avec une perspective « négative » s’est réduit, particulièrement dans le secteur des technologies, nous avons cependant constaté une tendance nette à la hausse des perspectives « négatives » dans les secteurs métallurgique et minier, des transports et des ‘utilities’.
En 2014, la confiance fragile des consommateurs et des entreprises ainsi que la reprise anémique de la zone euro seront insuffisantes pour amorcer une reprise par l’investissement et l’emploi.
Nous estimons donc que les entreprises européennes resteront prudentes en matière d’investissements.
En ce qui concerne les entreprises françaises, leurs positions concurrentielles sont contraintes par leur faible niveau d’investissement et leur compétitivité à l’export et mettent leurs marges opérationnelles sous pression. L’abaissement de la note de Peugeot en février en est un exemple.
Finalement, malgré l’amélioration de certains facteurs individuels, les banques françaises continuent d’opérer dans un environnement sous pression, compte tenu des perspectives de faible croissance de l’économie européenne.

Décideurs. Existe-t-il, au contraire, des secteurs qui résistent mieux que d'autres à la crise économique?
C. S.
Dans le secteur des entreprises, les notes ayant une perspective « stable » dominent (72% des notes totales), alors que les notes avec une perspective « positive » portent principalement sur des sociétés en « retournement » opérant sur des marchés mondiaux à l’image de CMA CGM.
En France, nous avons relevé 12 notes en 2013 principalement des sociétés à actionnariat familial (Rémy Cointreau, Cegedim, LVMH, CMA CGM…), dont 3 (APRR, Air Liquide et LVMH) suite à l’actualisation de nos critères de notation pour les entreprises.
Dans le secteur technologique, toujours en évolution rapide, nous avons relevé en 2013 à « BBB » la note de Cap Gemini, qui présente un bilan sain, s’affirme en leader européen et est peu impacté par la baisse des dépenses du gouvernement américain. Le recentrage stratégique en cours chez Alcatel-Lucent nous permet d’avoir une perspective « positive » sur sa note. C’est aussi une tendance positive à l’échelle européenne pour un secteur en rapide évolution.
Le secteur de l’assurance en France a une note moyenne solide, en catégorie « A », associée d’une perspective « stable » pour la grande majorité des assureurs. Cette stabilité s’explique par des risques pays et sectoriel faibles, en assurance-vie comme en assurance-dommages, une amélioration de la solvabilité ajustée des risques en 2012 et 2013, une tendance à une moindre volatilité des résultats techniques en vie et non-vie et une liquidité qui demeure solide.
Cependant, certains facteurs de risques persistent tout de même avec un marché très concurrentiel qui pourrait peser sur le potentiel des marges ainsi qu’un environnement de taux d’intérêts bas pesant fortement sur les résultats.

Décideurs. Comment se porte le secteur financier ?
C. S.
Le système bancaire français a accompli des progrès substantiels depuis deux ans, tant en termes de capital que de liquidité. Il reste toutefois, de notre point de vue, plutôt dans la moyenne basse des systèmes bancaires européens sur ces deux facteurs importants.
A titre individuel, les quatre plus grandes banques françaises (BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et BPCE) ont amélioré leur situation en fonds propres, en liquidité et leur profil de financement depuis deux ans.
Nous estimons cependant qu’il existe un risque sur trois – notamment dans l’environnement actuel de faible croissance - que la poursuite de l’amélioration de la situation en fonds propres ne soit pas suffisante pour soutenir les niveaux de notes actuels. C’est une des raisons pour lesquelles les perspectives individuelles de ces établissements sont « négatives ».
Pour 2014, nous analyserons attentivement les résultats de la revue de la qualité des actifs menée par la Banque Centrale Européenne (l’Asset Quality Review). Nous suivrons également de près la mise en place du régulateur unique au quatrième trimestre 2014, qui pourrait se traduire par une harmonisation des risques pondérés règlementaires en Europe.
Le risque pour les établissements bancaires français porte sur la possible remise en cause d’accords spécifiques (comme la bancassurance par exemple) et une revue des modèles internes des banques pour certaines classes d’actifs.

Décideurs. Quels sont les modes de financement actuellement privilégiés par les entreprises ?
C. S.
Nous constatons que la désintermédiation, c’est-à-dire le fait de se tourner vers les marchés financiers pour lever des fonds, encourage de nouveaux émetteurs à faire appel à la notation, ainsi nous avons noté 13 nouvelles entreprises françaises en 2013 sur les 91 que nous notons.
Les entreprises françaises de grande taille ou de taille moyenne, encore largement financées par les banques, cherchent de plus en plus à diversifier leurs sources de financement dans un contexte où les banques sont et seront graduellement soumises à des exigences en capital accrues.
Entre mi-2012 et mi-2013, le volume des crédits nets aux entreprises françaises a diminué de 1% (ou €8 milliards), compensé par une augmentation de 4% (ou €24 milliards) de leurs émissions d'obligations et placements privés.
Au premier trimestre 2013, les émissions obligataires ont représenté 24% des titres de dette émis en France, des chiffres en hausse depuis 2007, année au cours de laquelle 15% de la dette des entreprises avait été levée sur le marché obligataire en France.
Dans les prochaines années, la réduction des crédits nets bancaires devrait se poursuivre, notamment sous l'effet du durcissement des exigences en fonds propres des banques imposées par Bâle III, et se traduire par une tendance à la désintermédiation. Cette dernière s’inscrira toutefois dans un horizon de long-terme.

Décideurs. Et qu’en est-il des Entreprises de Taille Intermédiaire ?
C. S.
Selon nos estimations, les ETI françaises (chiffre d’affaires inférieur à €1,5 milliard) devront lever €800 milliards sur les cinq prochaines années, dont €600 milliards de refinancement et €200 milliards pour leurs nouveaux investissements. Les ETI cherchent également à diversifier leurs sources de financement notamment à travers des placements privés.
Jusqu’en 2012, en raison des incertitudes et de la volatilité qui régnaient sur les marchés des capitaux européens, les ETI françaises se tournaient vers le marché américain des placements privés (USPP). Aujourd’hui, elles semblent davantage se tourner vers le marché des placements privés français (Euro PP) et allemand (Schuldschein). Même si la part des ETI augmente -passant de 4% en 2012 à 21% à fin septembre 2013-, les grandes entreprises dominent encore le marché de l’Euro PP.
En 2013, 15 entreprises de taille intermédiaire françaises ont réussi à lever plus de €668 millions sur le marché français des placements privés.

Décideurs. Quelles ont été les conséquences de la dégradation de la note de l'État Français sur les collectivités locales ?
C. S.
Le 23 novembre 2013 Standard & Poor’s a abaissé de « AA+ » à « AA » la note à long terme de la France. Selon nous, la marge de manœuvre budgétaire de la France s'est réduite, alors que nous la considérions auparavant comme élevée au regard des pays comparables. Cette note est accompagnée d’une perspective « stable ».
Dans notre méthodologie, la note de l’Etat constitue un plafond pour la notation des collectivités. Noter une collectivité au-dessus de l’Etat signifierait que nous estimons que la collectivité pourrait faire face à l’éventualité d’un défaut de l’Etat. En France, l’Etat est un contributeur important aux recettes des collectivités, par conséquent une interférence négative sur la situation financière des collectivités ne peut être exclue en théorie. En cas de besoin, l’Etat pourrait par exemple privilégier ses propres engagements et, notamment, ponctionner la trésorerie des collectivités (qui est déposée au Trésor) ou leur transférer avec retard des dotations et des impôts locaux. Aussi, l’abaissement de la note de la France a entraîné l’abaissement de la note de la Ville de Paris et de la région Ile-de-France (également de « AA+ » à « AA »). Les autres collectivités n’ont pas été affectées, n’étant pas notées au même niveau que l’Etat.
Nous considérons toutefois la qualité de crédit des collectivités françaises comme bonne : 91% des 32 collectivités locales notées ont une perspective « stable ». La sensibilité de leurs recettes à la crise économique reste faible alors que nous constatons d’importantes marges de manœuvre sur les dépenses. Nous estimons par ailleurs que les performances budgétaires des collectivités françaises restent bonnes dans un contexte international.
Pour 2014, nous prévoyons une quasi-stabilité du recours à l’emprunt de l’ensemble des collectivités locales françaises à €16 milliards, du fait principalement de la baisse des dépenses d’investissement. Cette quasi-stabilité masque une pression croissante sur les finances locales. A la fois structurelle et conjoncturelle, cette pression touche désormais l’ensemble des échelons territoriaux. Cette pression est liée à une forte contrainte sur les recettes courantes, en raison notamment de la réduction des dotations de l’Etat ainsi que de la volatilité et de la baisse de certains impôts sur les entreprises. En 2014, les régions devraient ainsi pour la première fois connaître une diminution de leurs recettes courantes.
Néanmoins, selon nous, les collectivités locales ne devraient pas avoir de difficultés majeures pour accéder au financement dans les années à venir. En effet, après l’assèchement de la liquidité entre 2008 et 2012, les collectivités notées ont pu mieux diversifier leurs sources de financement en 2013, et nous pensons que cette tendance se confirmera en 2014. Cette diversification se caractérise notamment par la présence forte d’acteurs publics (La Banque Postale) et institutionnels (Caisse des Dépôts et Consignations, Banque Européenne d’Investissement), ainsi que le recours récurrent au marché obligataire comme source de financement importante.

Interview réalisée le 2 avril 2014

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