Trois a après la fusion de Gaz de France avec Suez, le groupe français a conforté sa position de géant énergétique mondial. Illustration de sa stratégie de croissance externe avec sa récente combinaison avec International Power.

Trois ans après la fusion de Gaz de France avec Suez, le groupe français a conforté sa position de géant énergétique mondial. Illustration de sa stratégie de croissance externe avec sa récente combinaison avec International Power.

«?Nous devenons par cette opération la première entreprise énergétique au monde en termes de chiffre d’affaires?», a déclaré Gérard Mestrallet, sur RTL le 10?août 2010. Ce rapprochement avec International Power (IP) apparaît comme une étape logique pour une entreprise qui convoitait depuis quelque temps déjà la place de numéro un mondial de son secteur. GDF Suez détiendra 70?% de la nouvelle entité New International Power (NIP). En contrepartie, il réalise un apport d’actifs valorisé selon les sources entre 22 et 23?milliards d’euros et s’engage à verser un dividende exceptionnel de 1,7?milliard d’euros aux actionnaires de l’anglais qui conserveront 30?% du capital.
Le président-directeur général et son directeur financier, Gérard Lamarche, récoltent le fruit de leur persévérance pour un dossier qui les intéresse depuis trois ans. Les négociations échouent une première fois en janvier?2010 face au refus du français de payer en numéraire. En cela, Suez perpétue le modèle de nombre de ses opérations, notamment la fusion avec GDF ou l’achat d’Electrabel. Les discussions reprennent malgré tout en juillet et Gérard Mestrallet obtient l’aval définitif des conseils d’administration des deux firmes en août. L’essentiel du prix sera payé par la société française sous la forme d’un apport de plusieurs de ses actifs en Europe (Royaume-Uni, Turquie) et de son activité Énergie International.


Une stratégie d’acquisition rodée
Cette opération illustre la stratégie et les principes d’acquisition rodés du groupe : peu de décaissements, un véritable rationnel industriel et une approche amicale. Les banquiers s’accordent à dire que le prix payé par GDF Suez est bon. Le défaut d’enchères contraste avec les excès du boom. L’organisation est irréprochable grâce au caractère sollicité et consensuel de l’opération (le conseil d’administration d’IP l’a votée à l’unanimité). La gouvernance de NIP ayant été convenue à l’avance, l’intégration d’IP ne soulève pas d’inquiétudes, d’autant que des garanties ont été offertes aux syndicats par le géant industriel.
GDF Suez ménage en outre ses liquidités, un vrai plus dans un secteur très consommateur en capex* (il est prévu 11?milliards d’euros d’investissements annuels pour le nouvel ensemble) et frappé comme les autres par un accès difficile au crédit et la méfiance des investisseurs. La reprise par apport d’actifs, plutôt que par échange de titres, permet par ailleurs à l’État français de conserver sa minorité de blocage. Le transfert d’actifs donne un moyen de couverture dans une industrie volatile où il est difficile d’attribuer une valeur monétaire précise aux actifs achetés. La valeur de la contribution de GDF Suez aux opérations de NIP fluctuera en effet avec les fortunes de cette dernière.
Au-delà des synergies escomptées, substantielles, bien que considérées comme ambitieuses par plusieurs commentateurs, le management fait valoir l’expansion internationale accélérée de GDF Suez que permet la complémentarité des deux firmes. Le nouvel ensemble sera leader dans les marchés émergents, dont la consommation d’électricité doit augmenter chaque année de 3,9?% en moyenne d’ici à 2030 selon l’Agence internationale de l’énergie. Un chiffre à comparer au 1?% pour les pays de l’OCDE.


L’ouverture géographique
GDF Suez est soucieux non seulement de se donner les moyens de croître dans un contexte de stagnation des marchés occidentaux, mais aussi de limiter son exposition au risque. Ainsi, cette diversification géographique diminue les risques pays et réglementaires auxquels le groupe doit faire face. Elle contribue par ailleurs à l’équilibrage du portefeuille entre différentes sources d’énergie et types de contrats, améliorant la couverture du groupe sur les contrats à terme du gaz. Enfin, l’ouverture géographique permet également à la société de sortir du tête-à-tête franco-français avec EDF.
Le groupe français voit en revanche sa dette nette passer de 33,5 à 42,4?milliards, ce qui a conduit Moody’s à placer le rating de l’énergéticien sous surveillance négative. Mais Gérard Mestrallet l’assure, son groupe, qui prévoit de retenir 17,5?milliards d’euros de liquidités post-transaction, «?continuera à avoir le meilleur bilan du secteur?».


Suez, vieille holding financière
Cette opération est l’illustration de l’apport technique et culturel de Suez lors de sa combinaison structurante avec Gaz de France. Sa discipline financière et son expérience transactionnelle furent transmises, au même titre que sa philosophie de croissance externe plutôt qu’organique. En accédant à la présidence aux dépens de son homologue de GDF, Gérard Mestrallet, architecte du développement de Suez, a été le vecteur de cette transformation. Car si le rationnel industriel de la fusion n’était pas en cause, nombreux sont ceux qui y ont vu une prise de pouvoir de la société privée multiservice sur le groupe public intégré. Les actionnaires de Suez détenaient 55?% de la nouvelle entité, contre 45?% pour ceux du gazier public, de facto privatisé.
Présentée par le gouvernement comme un rapprochement de patriotisme économique visant à écarter une OPA hostile du rival italien Enel, la fusion était en réalité sûrement en projet depuis des mois, voire des années, tant la tradition de croissance externe de la société est riche. Après tout, Suez était la Compagnie financière de Suez en 1958 avant de fusionner pour donner naissance à la mythique Banque Indosuez en 1974. «?C’est une vieille holding financière et cela compte dans ses gènes, explique un banquier d’affaires proche de la société. Comme Danone ou Wendel, elle est très outillée financièrement.?» Celle qui est devenue la Compagnie de Suez souffre de la crise immobilière du début des années 1990 et échappe de peu en 1995 à des combinaisons envisagées d’une part avec l’UAP et la BNP, d’autre part avec le groupe PPR. Gérard Mestrallet, alors administrateur délégué et président du comité de direction de la filiale Société générale de Belgique, sort renforcé de ces tractations. Devenu président-directeur général du groupe, il mène à bien son projet concurrent de fusion avec la Lyonnaise des eaux en 1997, regroupant les actifs dans l’électricité et le gaz de Suez avec les services aux collectivités de la Lyonnaise. L’entreprise, renommée Suez en 2001, cède ses divisions bancaires, financières et de BTP pour se consacrer, conformément aux vœux de son nouveau dirigeant, à l’énergie, à l’eau et à la propreté.
Le projet de rapprochement entre les deux fleurons énergétiques français, annoncé dès février?2006, ne deviendra officiel qu’en septembre?2007. Son exécution sera retardée par la Cour d’appel de Paris compte tenu d’un défaut d’information du comité d’entreprise de Gaz de France. Elle ne prendra finalement effet qu’en juillet?2008, après l’introduction en Bourse de Suez Environnement, dont GDF Suez détient aujourd’hui 35?%.


Ambition
Fidèle à ses racines, l’appétit du français, désireux d’atteindre la masse critique, ne se dément pas. Bien au contraire, il envisage par exemple le rachat de capacité productrice en Allemagne ou en Pologne. La société y était candidate avec EDF à l’acquisition d’Enea, troisième électricien du pays, avant d’en être écartée. Dernièrement, l’énergéticien a racheté sa participation de 49?% dans Gaselys à la Société générale, s’offrant la totalité du capital. Les deux sociétés avaient formé la co-entreprise dédiée au trading de gaz et d’électricité en 2001. Dans le même temps, GDF Suez réorganisait son partenariat avec AceaElectrabel. Le français conservera la majorité de la capacité de production d’électricité ainsi que la totalité des activités de négoce communes actuelles. Il portera également de 35?% à 50?% sa participation dans la société de production d’électricité Tirreno Power.

Cet optimisme reflète sans doute le potentiel de l’industrie de l’énergie. Celle-ci est vouée à demeurer très dynamique en vertu de la croissance de la demande mondiale et de la découverte de nouvelles technologies autorisant l’apparition de sources d’approvisionnement inattendues. Mais il est, d’autre part, la conséquence directe de l’ambition des «?deux Gérard?», navigateurs talentueux sur les eaux troublées de ce secteur

* Capital expenditure, soit l’investissement financier dans les immobilisations

Les chiffres clés
• Chiffre d’affaires de 79,9 milliards d’euros en 2009
• Excédent brut d’exploitation (EBE) de 14 milliards d’euros dégagé en 2009
• Bénéfice net part du groupe de 4,47 milliards d’euros en 2009 (en baisse de 31 % par rapport à 2008)
• EBE supérieur aux attentes de 8,2 milliards au premier semestre 2010
• 200 650 collaborateurs à fin 2009

Dates clés
• 1958 : création de la Compagnie financière de Suez à la suite de la nationalisation du canal par Nasser.
• 1974 : la Banque de Suez et la Banque d’Indochine créent la Banque Indosuez.
• 1997 : fusion avec la Lyonnaise des eaux pour donner naissance à Suez Lyonnaise des eaux.
• 2008 : après deux ans de difficultés, la fusion avec Gaz de France a finalement lieu.
• 2010 : rapprochement avec International Power à hauteur d’environ 22 milliards d’euros.

Photo : © Tous droits réservés par gdfsuez

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