Un bénéfice net en hausse de 59 % et un chiffre d’affaires record en progression de 5 % en 2014 ne lui suffisent pas : le directeur général délégué veut encore augmenter les cadences. Entretien exclusif.
Airbus group signe un millésime 2014 résolument excellent. Le bénéfice net a bondi de 59 % à 2,34 milliards d’euros et le chiffre d’affaires a progressé de 5 %, passant de 57,6 milliards d’euros à 60,7 milliards d’euros. Et si les prises de commandes reculent de 23 % à 166,4 milliards d’euros, le carnet de commandes a pulvérisé les records en 2014. Par ailleurs, « c’est la meilleure année de tous les temps dans le domaine de l’espace », s’est félicité Tom Enders, le patron de l’avionneur européen.
Une bonne nouvelle en amenant toujours une autre, la performance opérationnelle s’est nettement améliorée : le flux de trésorerie est positif à deux milliards d'euros, le carnet de commandes est plein à craquer et les livraisons d’appareils commerciaux atteignent une nouvelle fois des sommets. De quoi laisser présager un horizon dégagé pour 2015 et ce, malgré les récentes turbulences qui ont agité le scope du premier concurrent de Boeing. Embarras sur le programme de l’A400M, enquête judiciaire, démission du patron de la branche avions militaires, difficultés rencontrées par l’activité hélicoptère… Malgré ces quelques retards à l’allumage, le groupe a réuni tous les ingrédients nécessaires pour augmenter de 60 % le taux de retour sur investissement de ses actionnaires qui s'établit à 1,20 euro par action contre 0,75 euro en 2013. Pour 2015, le cap annoncé par Major Tom vise « une augmentation légère des revenus » et du carnet de commandes d'avions commerciaux. Le patron d'Airbus promet une année intense pour ses équipes. Explications avec Marwan Lahoud, le directeur général délégué à la stratégie et à l’international.

Décideurs. En 2013 vous parliez d’EADS 2.0. En 2014 le groupe devenait Airbus. Sous quel signe placez-vous 2015 ?
Marwan Lahoud. Je ne suis pas de ceux qui lancent un nouveau slogan tous les ans. Il y a un temps pour tout. Aujourd’hui, l’heure est à la réalisation. On a devant nous le « voyage Airbus ». Rappelons que la naissance de cette marque est le fruit de la revue stratégique conduite par nos équipes suite à l’arrêt des négociations avec BAE. À ce moment-là, il a fallu se poser des questions fondamentales et prendre des décisions pour structurer notre groupe qui comptait alors cinq marques. Fallait-il abandonner certaines de nos activités stratégiques comme celles dans le secteur de la défense ? Fallait-il opérer des désinvestissements ? De fil en aiguille, nous avons répondu à ces interrogations avant de lancer la marque Airbus. C’est un outil d’intégration phénoménal qui a fait naître chez nos 140 000 collaborateurs un sentiment d’appartenance très fort. Aujourd’hui, Airbus avance avec en ligne de mire la réussite.

Décideurs. Êtes-vous dans une phase active de cessions ?
M. L. Il va falloir progresser significativement sur ces chantiers. Pour Dassault notre position est très claire, nous n’avons pas vocation à être actionnaire. Airbus cédera cette année un bloc qui lui permettra d’améliorer le flottant pour sortir plus facilement. Les résultats annuels de l’avionneur français prouvent que l’entreprise est en bonne santé, tout comme le démontre les récents contrats remportés à l’export. C’est une excellente nouvelle !
Le deuxième volet de cession concerne les activités de la branche défense. Aujourd’hui, c’est facile de déclarer « nous voulons vendre ». Ensuite, il faut faire le détourage précis, chercher des investisseurs. Certes, nous avons reçu plus de cent marques d’intérêt. C’est un signe très encourageant, mais il faut encore mettre en place l’ensemble des processus et ce, suffisamment rapidement. Vous le savez, le temps a de la valeur. L’objectif est que nous ayons trouvé avant la fin de l’année 2015 une solution pour chaque activité à désinvestir.

Décideurs. Quand prévoyez-vous de sortir complètement de Dassault ?
M. L. Tout ce que je peux vous dire avec certitude, c’est que cela ne sera pas cette année. Il faut rester modeste. C’est du cousu main. Il n’y a pas de recette miracle, c’est aussi fonction du contexte commercial.

Décideurs. Vous avez déclaré vouloir augmenter les cadences. Rien de très surprenant, Airbus intensifie son rythme de production chaque année, non ?
M. L. Tout à fait ! Mais à chaque fois, c’est une décision mûrement réfléchie. Vous savez, le pire qui puisse nous arriver, c’est d’avoir à baisser les cadences. On veut résolument éviter l’effet yoyo. Pour l’A330, nous avons pris la décision de réduire la production à six appareils par mois dès le premier trimestre 2016, tandis que celle de l’A320 sera portée à cinquante appareils par mois à compter du premier trimestre 2017.Tom [Enders] a précisé que nous étudions même la possibilité d’augmenter encore ces cadences. Mais attention, nous mettons un point d’honneur à ne pas prendre de décision sans avoir la certitude que le marché et les sous-traitants sont en mesure de suivre le rythme.
Nous croisons systématiquement la demande du marché et les niveaux de commandes avec les capacités de nos sous-traitants et de nos usines à Toulouse en France, à Hambourg en Allemagne, en Chine et prochainement à Mobile aux États-Unis. L’autre scénario catastrophe serait, par exemple, d’augmenter les cadences sans pouvoir les suivre. Dans ce cas de figure, vous ne livrez plus à l’heure et vous perdez le momentum commercial.

Décideurs. C’est ce qui se passe avec le programme de l’A400M qui a déjà englouti plus de quatre milliards d’euros ?
M. L. Il y a tout un monde entre l’aviation civile et militaire. La mise en service d’un avion militaire est un processus itératif bien plus complexe que celle d’un avion de transport. À l’exploration des domaines techniques s’ajoutent en effet toutes les missions militaires qui doivent être intégrées à l’avion pour qu’il soit sain. Dans le jargon des spécialistes, on dit alors d’un avion militaire qu’il est « bien né ». C’est le cas de l’A400M et ce, malgré tous les déboires que nous connaissons. L’année dernière, Airbus a livré moins d’avions que prévu. Tom [Enders] l’a rappelé, notre objectif en 2015 est de doubler les livraisons par rapport à 2014.
Le développement des standards opérationnels doit également être un succès et pour cela, il faut livrer la capacité attendue. Aujourd’hui, des A400M partent sur tous les théâtres d’opération où la France est engagée. Il faut de manière incrémentale augmenter ce que sait faire cet avion dont la durée de vie sera de quarante ans. Si l’A400M est aujourd’hui un fardeau que nous portons, le segment militaire reste une très bonne activité sur le plan de la profitabilité. C’est la raison pour laquelle Airbus a choisi de rester dans la défense. Aujourd'hui, avec l’A400M, nous acceptons de perdre notre chemise. C’est notre faute, nous assumons.

Décideurs. Un mot sur la joint-venture créé en 2014, Airbus Safran Launchers ?
M. L. Aujourd’hui, Arianespace est leader en matière de lancement commercial. Demain, l’entreprise commune formée avec Airbus Safran Launchers [une fois les titres du CNES rachetés] doit rester le leader mondial de lancement. Airbus a beaucoup à apprendre de ses concurrents mais nous restons le tenant du titre. Nous n’allons pas nous laisser terrasser par des challengers.

Décideurs. Quels sont les marchés qui vous permettent d’envisager 2015 avec optimisme ?
M. L. La géographie économique mondiale de la planète a changé. La croissance est désormais tirée par l’Asie et le Moyen-Orient. Elle n’existe plus en Europe et presque plus aux États-Unis. Airbus doit regarder vers ces marchés. Et si notre forte internationalisation est un de nos atouts, elle doit être encore renforcée. Il n’y a pas de répit dans la bataille de la compétitivité.

Décideurs. Quinze ans après, l’A380 atteint son point de rentabilité cette année. Le plus dur reste à faire ?
M. L. Harald [Wilhelm] l’a dit, nous allons non seulement atteindre le point mort mais nous allons aussi le dépasser. L'A380 est rentable.
Avec 153 commandes, nous avons un peu de la visibilité sur nos carnets mais beaucoup moins que sur le reste de notre portefeuille. Il faudra donc le moment venu prendre des décisions d’’amélioration pour permettre à cet avion de perdurer.

Décideurs. La bataille de la compétitivité se joue aussi sur le segment des moyen-courriers avec l’A320 dont la production va passer de quarante-deux à cinquante appareils par mois à compter du premier trimestre 2017. À cela s’ajoute la délicate transition industrielle de l’A320 classique à l’A320neo. Comment allez-vous poser ces nouveaux jalons ?
M. L. L’A320 a été lancé en 1985. À l’époque, on tablait sur un niveau de ventes autour de sept cents appareils. Aujourd’hui, Airbus enregistre plus de 11 000 commandes. C’est extraordinaire ! Quand nous avons choisi de lancer l’ A320neo en 2010, nous avons presque été submergés par notre propre succès. Près de 3 000 A320neo sont en commande actuellement.
Mais pour répondre à votre question, il ne faut jamais sous-estimer un changement de produit. Ce nouvel avion va entrer en service chez Qatar Airways, un de nos clients les plus exigeants. On se prépare à une fin d’année extrêmement chargée : les livraisons de ces appareils commenceront à l’automne 2015.

Décideurs. D’ailleurs, Tom Enders a précisé que cette année allait être chargée pour vous et vos équipes. Comment l’envisagez-vous ?
M. L. Poursuivre la croissance et l’internationalisation s’inscrit dans nos priorités tout comme les différents chantiers de cession. Je vais passer mon temps à courir. Mais c’est déjà ce que je fais depuis quelques années [rires]. Le changement pour moi se mesure en intensité, ce n’est pas un changement de nature.

Décideurs. Cela n’enlève rien au fait que depuis plus de quinze ans, c’est une bande de copains qui est à la tête d’un géant européen…
M. L. C’est notre force. Depuis plus d’une décennie, on est passé par des bons et des très mauvais moments. On a tellement travaillé, rigolé et souffert ensemble que cela a créé entre Tom [Enders], Harald [Wilhelm], Fabrice [Brégier], Thierry [Baril], Guillaume [Faury] et moi-même, une relation très intense. Et comme on est encore tous très jeunes, cela risque de durer encore longtemps !

Propos recueillis par Émilie Vidaud (Munich, envoyée spéciale)

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