Par Valérie Lafarge-Sarkozy, avocat associé, et Gautier Barat, avocat. De Gaulle Fleurance & Associés
Le projet de loi relatif à la santé prévoit l’introduction d’une procédure dite «?d’action de groupe?» en matière de produits de santé, ce mécanisme semblant distinct de celui mis en place par la loi n°?2014-344 du 17?mars 2014 relative à la consommation, dite «?loi Hamon?». Ce projet de loi pourrait être examiné à partir de 2015 à l’Assemblée nationale. 

Instaurer une procédure d’action de groupe en matière de santé, n’est pas une idée nouvelle mais pourrait avoir des chances d’aboutir aujourd’hui, compte tenu du soutien du ministère des Affaires sociales et de la Santé (le «?Ministère?»), qui a inséré un mécanisme de recours collectif dans le projet de loi relatif à la santé (le «?Projet?»).

Les précédentes tentatives
Depuis plusieurs années, de multiples tentatives ont été initiées, sans succès, pour instaurer une procédure d’action de groupe en la matière. À titre d’illustration, en 2011, le projet de loi (1) relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, prévoyait, en sa version amendée en première lecture par le Sénat, une action de groupe en cas «?d’inexécution ou de mauvaise exécution par un exploitant du médicament des obligations légales, réglementaires et contractuelles liées à l’exploitation du médicament?», amendement qui avait été ensuite supprimé du texte promulgué. Plus récemment, le 14?janvier 2014, a été déposée à l’Assemblée nationale, une proposition (2) de loi visant à instaurer une action de groupe notamment en matière de santé, texte qui n’a pas encore été examiné.

Une volonté actuelle du législateur
Le législateur semble actuellement enclin à instaurer une telle procédure en matière de santé. En effet, selon la loi Hamon, dans les trente mois de sa promulgation, un rapport sera établi pour (i) évaluer la mise en œuvre de l’action de groupe (en droit de la consommation) et (ii) examiner son extension à la santé et à l’environnement.
Toutefois, par son Projet, le Ministère, semble vouloir créer précipitamment et en contradiction avec le calendrier précité une action de groupe propre à la santé et avec elle une nouvelle action collective en responsabilité ce qui paraît relativement inopportun en l’état de notre droit positif actuel.
Plusieurs facteurs semblent être à l’origine de cette action de groupe ad hoc, d’une part, le champ strictement limité (droit de la consommation, préjudice patrimonial) de l’action de groupe de la loi Hamon et, d’autre part, les récents sinistres sanitaires.

Un mécanisme distinct et autonome de l’action de groupe du Code de la consommation
Ce Projet vise à introduire, dans le Code de la santé publique, une action de groupe en matière sanitaire qui serait autonome de celle de la
loi Hamon.
Selon nos informations, cette action dite «?de groupe?» pourrait être initiée en présence de dommages corporels subis par plusieurs usagers du système de santé placés dans une situation identique ou similaire ayant pour cause commune un manquement aux obligations légales ou contractuelles d’un même producteur/fournisseur d’un produit de santé à usage humain. La formulation de ce champ d’application rappelle évidemment celui de l’action de groupe de la loi Hamon, la différence majeure étant la prise en compte du préjudice corporel, aux côtés des dommages matériels.
La procédure serait scindée en deux phases : une action au fond portant sur la responsabilité du professionnel suivie d’actions individuelles en réparation si la responsabilité du professionnel est reconnue.
La première phase, qui pourrait être qualifiée «?d’action en déclaration de responsabilité?» (3), devrait être introduite par une association d’usagers du système de santé agréée au niveau régional ou national, soit respectivement 324 et 133 entités à ce jour, contre un professionnel et/ou son assureur.
Cette action relèverait de la compétence de tribunaux de grande instance (TGI) spécialement désignés. Cette compétence exclusive de certains TGI permettrait d’éviter l’éparpillement des saisines, de réserver la connaissance de ces actions à des juges spécialement formés et de favoriser l’harmonisation des décisions.
La juridiction pourrait ordonner une expertise afin de lui permettre de statuer sur l’éventuelle responsabilité du professionnel ainsi que sur les types de dommages potentiellement générés par son manquement. Si la responsabilité du professionnel était établie par une décision définitive, des mesures de publicité interviendraient pour en informer les éventuelles victimes.
Une fois cette décision définitive, les potentielles victimes qui auront manifesté leur intention de bénéficier de cette procédure pourraient demander à l’association de les représenter pour (i) négocier une indemnisation amiable de leurs préjudices auprès du professionnel et/ou (ii) mener une action indemnitaire à titre individuel contre ce dernier. Ainsi, une multitude d’actions individuelles en réparation devraient être introduites par les plaignants en cas de Phase 1 positive. En pratique, une expertise individuelle sera nécessaire pour évaluer le préjudice de chaque victime. Contrairement à celle prévue par la loi Hamon, la phase d’indemnisation sera donc personnalisée.
La mise en œuvre d’une telle action de groupe risque en pratique de se heurter à de nombreux obstacles à commencer par son financement, la qualité à agir de l’association, la définition du groupe et de la notion de «?situation similaire ou identique?», le traitement individuel des demandes indemnitaires. Ce texte peu abouti pose également le problème de sa compatibilité avec la directive 85-46 sur la responsabilité du fait des produits défectueux et notamment avec son article 4 qui impose au demandeur de «?prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage?». En effet, selon nous, pour chaque action indemnitaire individuelle, il conviendra de respecter cette trilogie protectrice. À moins de considérer que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle la Directive instaurerait une harmonisation totale ne serait plus clairement fixée au regard des deux dernières décisions rendues (4).
Compte tenu du bouleversement de notre droit de la responsabilité que ce Projet pourrait engendrer, il paraîtrait raisonnable d’attendre la publication du rapport d’évaluation de la loi Hamon.

1 -  n°3881
2 - n°1692
3 -   S. Guinchard, R. Dalloz 2005, p.2180
4 - Arrêts du 25 avril 2002 (C-183/00, C-154/00
et C-52/00) et du 10 janvier 2006 (C-402/03) ;
à comparer avec les arrêts du 4 juin 2009 (C-285/08) et du 21?décembre 2011 (C-495/10)


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