Le directeur général d‘Euronext revient sur son ambition et sa stratégie pour la place parisienne.
Décideurs. Quelles sont les forces et atouts aujourd'hui de la place financière parisienne ?
Dominique Cerutti. Je pense que nous avons manqué, au cours des deux dernières décennies, d'une politique industrielle à l'instar de ce que les places anglo-saxonnes ont pu faire. Cela s'est amélioré énormément à la suite de la crise de 2008. Il y a eu une prise de conscience que nous ne pouvions pas laisser la place continuer à perdre sa position. La raison est simple : les marchés de capitaux doivent financer l'économie et les entreprises. Aujourd'hui, Paris compte un certain nombre d'atouts. La gestion d’actifs est reconnue et elle dispose de sa propre association de place qui est très active. Notre introduction en Bourse, qui a permis notre indépendance et notre repositionnement au cœur de la zone euro, est en cela très significative.
Au cours du premier semestre 2014, nos marchés ont levé 58 milliards d'euros pour les entreprises. Nous sommes la deuxième place en termes de levée de capitaux en Europe et la cinquième au niveau mondial. Les gestionnaires d’actifs, les chambres de compensation et de règlement-livraison (notamment LCH Clearnet et Euroclear), les grandes banques françaises, les associations de place, les entreprises globales du CAC 40, sont autant d’atouts de la place financière parisienne. Si nous parvenons à les réunir dans une même structure cohérente cela finira par porter ses fruits. L'initiative Place de Paris 2020 est à ce titre excellente.


Décideurs. Toutes les organisations de la place financière parisienne et européenne sont vent debout contre le projet de taxe européenne sur les transactions financières. Dans quelle mesure pourrait-elle affecter le financement des entreprises ?
D.C. Cela aurait un impact très significatif sur le financement de l’économie. Il y a déjà une telle taxe en France et en Italie en août 2012, nous avons vu les volumes baisser à cause de son introduction. L’intention politique de créer une taxe est noble, mais celle que l’on veut mettre en place actuellement est contre-productive. Nous sommes dans un contexte où l’ensemble des acteurs institutionnels repositionnent les marchés de capitaux dans un cadre règlementaire qui est bien meilleur et salutaire afin de s’assurer qu’ils financent l’économie. Cette taxe est donc bien la dernière chose dont nous aurions besoin dans nos efforts. Par ailleurs, les banques françaises n’ont jamais défailli et n’ont jamais été à l’origine de ces crises. In fine, cela devient inefficace au moment où nous savons que le sujet principal pour la France et la zone euro est de relancer la croissance et de permettre aux PME de se financer alors que la désintermédiation bancaire est enclenchée. Dans l’ensemble, les acteurs de la place sont tous d’accord sur la nécessité de repenser les liens et l’équilibre entre financement bancaire et financement par les marchés.

Décideurs. La désintermédiation pour les PME justement… n’est-ce pas irréaliste ? Nombre d’entre elles ne disposent pas des ressources nécessaires.
D. C. Tout dépend de ce que nous entendons par PME. Si nous parlons de PME avec un potentiel de croissance, oui cela fonctionne. EnterNext, notre filiale dédiée à la promotion des marchés boursiers pour les PME-ETI créée il y a un an, prouve que la désintermédiation est possible. Nous avons rencontré plus de 800 PME et ETI, individuellement au sein des quatre pays où opère EnterNext : France, Belgique, Pays-Bas et Portugal. Il y a un réel intérêt pour les introductions en Bourse ou pour les émissions d’obligations . Cet attrait pour la Bourse va permettre de rééquilibrer financement bancaire et financement par les marchés. C’est un mouvement incontestable. Notre vivier d’introductions à venir de PME-ETI se mesure dorénavant en dizaines par trimestre. En revanche, la question du financement des entreprises de taille plus petite peut effectivement se poser. D’autres solutions à l’étude existent telle que le « crowdfunding » ou la titrisation, par exemple."


Décideurs. Quelles sont donc vos ambitions pour Euronext ? Quelle est votre vision, votre stratégie ?
D. C. Nous pensons que nous nous trouvons au début d'un nouveau cycle pour trois raisons : la désintermédiation, qui est un mouvement irréversible et durable ; la résilience de la zone euro qui a malgré tout passé avec succès les tests infligés par les marchés en 2011 ; enfin les grandes leçons tirées de la crise de 2008 (régulation, transparence, confiance et stabilité). Ces trois tendances définissent un nouveau cycle. C’est l’opportunité pour Euronext de se repositionner en tant que centre majeur de levée de capitaux en Europe. Nous sommes le seul groupe boursier à être réellement paneuropéen avec un carnet d'ordres unique utilisant la même technologie en France, aux Pays-Bas, en Belgique et au Portugal. C’est notamment grâce à cela que nos marchés sont les plus liquides d'Europe. C'est aussi grâce à ce modèle fédéral que nous avons la capacité à fournir aux entreprises des opportunités de levée de capitaux. Cela s'est manifesté, par exemple, par la création d'EnterNext où nous agissons en coordonnateur de l'écosystème des PME-ETI. Nous réfléchissons également avec d’autres acteurs à la titrisation pour permettre aux PME plus petites d'émettre, elles aussi. Nous continuons d'enrichir nos services de cotations pour les plus grandes entreprises. Nous avons lancé plus de produits en six mois que ce que nous avions lancé en deux ans.

Décideurs. D'où l'indépendance aujourd'hui qui va vous donner une capacité nouvelle et plus d'agilité.
D. C. Oui. Quand la réglementation a permis d'ouvrir les marchés boursiers à la concurrence, l'immense majorité des Bourses mondiales a tenté de faire le maximum pour continuer à capter des flux commerciaux de toutes sortes. Cela s'est traduit, par exemple, par un investissement important dans la technologie pour négocier à la microseconde, en perdant parfois de vue l’objectif de financement de l’économie réelle. Aujourd’hui, nous changeons de paradigme. Euronext est une entreprise solide qui a stabilisé ses parts de marché, génère des revenus et dispose d'une technologie de pointe. Mais le groupe reste sous-optimisé. Cela est lié au fait que nous bâtissions un groupe global et mondial – NYSE Euronext – dont Euronext n’était qu’une partie. C'est le cas par exemple pour notre solution de compensation. Nous avons renégocié notre contrat avec LCH. Clearnet pour qu'il devienne un véritable partenariat industriel.

Décideurs. C'est ce qui revient, en quelque sorte, à tendre vers la bonne finance en opposition à la « mauvaise finance ».
D. C. Il y a eu au fil des deux dernières décennies une sur-financiarisation du monde. Nous ne pouvons pas continuer, par exemple, à avoir un marché des dérivés mondiaux de 600 000 milliards de dollars, équivalant à dix fois le PIB mondial, dont 90 % est négocié en gré-à-gré et non compensé. Par nature, ces produits sont risqués. D’un point de vue sociétal, il n’est pas acceptable qu’ils soient négociés dans l’opacité. Avec la réglementation, ces produits dérivés négociés en gré à gré vont être simplifiés et dérisqués. Le terme « mauvaise finance » est avant tout une dérive. Nous aurions dû en France faire le distinguo entre « bonne » et « mauvaise » finance depuis bien longtemps.

Décideurs. On constate aujourd’hui une augmentation des valeurs des actifs sur les principales places boursières. Ne croyez-vous pas que nous assistons à la montée en puissance d'une nouvelle bulle ?
D.C. Je ne parlerais pas de bulle. Les marchés réagissent plus calmement aux corrections. En 2013, nous avons vu des réallocations importantes entre des obligations américaines et des actions européennes qui étaient sous-évaluées. Nous avons également constaté très récemment une correction en sens inverse, même si la situation européenne reste attractive. Cette réallocation entre les différentes classes d’actifs est très saine. Je pense que la chose principale est de s’assurer que les marchés soient moins risqués à travers les chambres de compensation et avec des marchés de négociation transparents sous l’œil des régulateurs.

Décideurs. Quel est votre positionnement sur le renminbi ? Comment voyez-vous son développement sur la place de Paris ?
D.C. Le développement du renminbi en France fait partie de la politique industrielle de la place de Paris. Le renminbi est une devise qui s’affirme au plan international lié à l’émergence de la Chine, une zone économique spectaculaire. En France, les autorités, en particulier la Banque de France, et les chambres de compensation et de règlement-livraison comme LCH.Clearnet ou Euroclear, travaillent à la mise en place d’outils efficaces pour la négociation de produits RMB. Par ailleurs, nous avons très récemment signé un protocole d’accord avec Bank of China, venue à Paris pour coter ses obligations sur les marchés d’Euronext. Ce genre d’initiative, avec une vue longue qui permet de faire jouer de concert nos différents atouts, a manqué à la place de Paris pendant ces vingt dernières années.

Propos recueillis par Mathieu Marcinkiewicz et Jean-Hippolyte Feildel

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