Ethical Coffee Company va-t-elle décapsuler Nespresso??
Après le lancement des dosettes de Sara Lee, Ethical Coffee Company part à son tour à l'assaut du marché du café. Sous l'égide de l’ex-président de Nespresso lui-même, Jean-Paul Gaillard, le président et actionnaire du groupe compte donner un grand coup de percolateur au monopole de Nestlé en lançant une capsule 100 % végétale.
George Clooney se ferait-il voler la vedette : Nespresso est devenu un cas d’école de lancement de produit enseigné dans les plus prestigieux MBA. Avec ses fameuses capsules de café, la firme helvétique a réussi à inventer, à partir d’un produit aussi populaire que commun, un nouveau concept devenu synonyme de monopole à la vente. Mais depuis le mois de mai, la star américaine et égérie de Nespresso a du souci à se faire. Ethical Coffe Company s'invite sur le marché avec sa dernière création : une belle capsule de café biodégradable.
Nespresso ou l’art de créer un monopole Sur ces neuf dernières années, la croissance annuelle moyenne des ventes de Nespresso a été d’environ 30 % tandis que son chiffre d’affaires a atteint près de 3 milliards de francs suisses (1,8 milliard d’euros) en 2009, contre 108 milliards de francs suisses pour la maison mère, Nestlé. Mais même à moins de 3 % du chiffre d’affaires du groupe, la firme de Vevey (siège social de Nestlé en Suisse) est jalouse de sa « petite » marque phare qui contribue pour près de 20 % à la croissance des ventes du groupe. |
Car le numéro un mondial de l’agroalimentaire a jusqu’ici fabuleusement réussi avec Nespresso. Trois principes sont à l’origine de ce succès. Le produit, qui se présente sous la forme de « crus » de café aux sonorités italiennes, glamour, et encapsulées sous aluminium. Grâce à leur design un certain élitisme épicurien s’en dégage. La machine, elle, permet à la marque de verrouiller le marché et de créer un couple indissociable avec les capsules. Le « club Nespresso » boucle ce circuit fermé et oblige le consommateur à passer par le réseau de distribution du groupe, composé de dix-sept magasins têtes de pont en France et du site Internet. Une fois en possession de la cafetière Nespresso, le client doit donc débourser la coquette somme de 35 centimes d’euros pour un café. Les machines, qui sont vendues dans de multiples grandes enseignes, ne sont finalement que l’objet de la fidélisation. Les capsules, elles, font le chiffre et la marge.
Ethical Coffee mise sur Casino
Mais le succès attirant les convoitises, certains se voient déjà à la place de la multinationale et s’activent pour capter leur part du café.
Parmi eux, Jean-Paul Gaillard, président du nouvel entrant Ethical Coffee Company (ECC), concentre les attentions. L’homme a été pendant près de dix ans, de 1988 à 1997, l’un des artisans de l’histoire Nespresso puisqu’il en était le président.
Outre cette collaboration remarquée, plusieurs faits d’armes lui sont attribués, comme le lancement avec succès de la marque Marlboro Classic pour le compte de Philip Morris.
Aujourd’hui, le nouveau cheval de bataille de cet amoureux des marques est à trouver du côté de la croissance verte. Car à l’écouter, au-delà du challenge de s’attaquer au numéro un mondial et à son ancien employeur, Jean-Paul Gaillard se veut converti au développement durable. Certes, ce pilote aime à se déplacer en jet, mais cela ne l’empêche pas de dénoncer « notre modèle de consommation qui n’est plus tenable pour la planète » et d’ajouter que « le recyclage n’est pas une solution, tous les experts s’accordent à le dire ! ».
En l’occurrence, ECC, qui va proposer dès le milieu du mois de mai 2010 ses capsules biodégradables dans les grandes surfaces, se veut la traduction concrète de cette volonté.
Au départ de l’histoire ECC, il y a 700 000 euros investis personnellement par son président pour financer les travaux de recherches d’une PME basée à Tarbes, Vegeplast. Cette société, spécialisée dans la conception de matériau « plastique » 100% végétal, va réussir à mettre au point une capsule en amidon de maïs compatible avec les machines Nespresso.
Grâce à cette innovation, le projet d’ECC de concurrencer le géant suisse peut voir le jour. D’autant que Jean-Paul Gaillard est certain d’avoir trouvé « la parade au modèle Nespresso » et aux 1 700 brevets qui protégeraient la firme helvétique. Pour lancer le projet dans sa phase opérationnelle, un deuxième tour de table est effectué, qui permet de lever 20 millions d’euros auprès d’investisseurs de renom comme Unigrains, des financiers comme Cédric Abitbol, l’animateur Arthur, une structure d’investissement de la famille Benetton, ainsi que d’autres industriels, belges et sud-africains notamment. Aussi, un partenariat – sans lien capitalistique – est signé en septembre 2008 avec le groupe Casino Guichard-Perrachon. Fort de ses capsules biodégradables, ECC pourra s’appuyer sur les 8 600 magasins (dont 1 000 franchisés) que comptent le groupe de grande distribution en France. Les capsules en amidon de maïs, prêtes à être distribuées sous la marque distributeur Casino Espresso, ont potentiellement la capacité de révolutionner ce marché, et de donner un avantage concurrentiel déterminant à ECC sur Nespresso.
Un double coup de maître
En réalité, le projet présenté par Jean-Paul Gaillard a tout d’un double coup de maître. D’un côté, Nespresso ne pourra rivaliser avec ses dix-sept magasins. Sur ce point, le site d’information Numerama.com, spécialiste de la question des droits d'auteur numériques, parle du « DRM* cassé » de Nespresso : « En quelque sorte, Nestlé est un peu l'Apple de la machine à café, et Nespresso son iPod. Les dosettes à café ne pouvant être achetées que sur l'iTunes de Nestlé, c'est-à-dire son site Internet ou les boutiques officielles. »
De l’autre, ECC n’a pas de charges marketing, puisque celles-ci sont entièrement assumées par le distributeur. Et en termes de prix, ECC compte frapper fort. « Les prix proposés seront environ 25 % inférieur à ceux de Nespresso, soit environ 25 centimes par capsule », indique Jean-Paul Gaillard.
Avec ce nouvel entrant, les faiblesses du géant suisse apparaissent. À l’image de la boutique des Champs-Elysées ou du magazine envoyé au domicile de ses sept millions de membres du club Nespresso, la marque éponyme est enfermée dans un positionnement premium onéreux. Pourtant, et même attaqué sur le caractère non écologico-compatible de ses capsules en aluminium qu’il souhaite recycler, Nestlé se veut serein et certain que le consommateur préférera l’original, même couteux, à la « copie ». Pour Arnaud Deschamps, directeur général de Nespresso, « ce ne sont pas les brevets qui nous protègent le plus, c’est la qualité de nos produits ». Ce qui laisse penser que sa marque ne se lancera pas dans une guerre des prix, qui affecterait son standing. Mais pourrait-elle seulement se le permettre, compte tenu des charges inhérentes à sa stratégie marketing haut de gamme ?
Le changement de paradigme
Là où Nespresso avait sans doute vingt ans d’avance avec le lancement des capsules individuelles, qui ont satisfait les pulsions hédonistes d’une génération de consommateurs, Ethical Coffee Company est peut-être le challenger qui viendra lui apprendre qu’en matière de consommation, les règles ont changé. Comme nous le rappelle Dominique Lévy, directrice associée chez TNS-Sofres, dans l’édition 2010 de L’état de l’opinion : « La poussée du “consommer mieux” (…) dit le sens des mutations à l’œuvre, et (…) doit être entendue de deux façons : consommer plus malin, et consommer plus juste. »
En proposant au consommateur de contourner le système imposé par une marque et en y associant la démarche écologique de ses capsules biodégradables, ECC semble avoir tout compris du consommateur « post-Cloonique ». Avec la crise, le marketing du faire-valoir se voit chahuté sur le terrain des valeurs, et l’acte de consommer se mue en une affaire personnelle, presque militante.
Pour ECC, qui semble conceptuellement le mieux placé avec ses capsules végétales, l’enjeu est de démontrer qu’il saura répondre présent du point de vue de la qualité, mais aussi de la production. Avec « quatre milliards de capsules pré-commandées », dixit Jean-Paul Gaillard, sur un marché estimé à environ sept milliards, le défi industriel est de taille pour ce challenger qui n’a ni l’envergure d’un Nestlé ni d’un Sara Lee.
À court terme, Nespresso n’a pas forcément à s’inquiéter outre mesure, ses consommateurs devant lui rester fidèles. Et les analystes d’insister qu’il y a de la place pour tout le monde sur ce marché, qu’une concurrence plus intense devrait dynamiser pour le faire croître d’environ 50 %.
La bataille s’annonce passionnante, tout comme la réaction des consommateurs.
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