Guilhem Bremond et Delphine Caramalli, avocats associés, Bremond & Associés.
Guilhem Bremond : «?L'ordonnance constitue un important pas vers l’amélioration des droits des créa
Décideurs. Quels sont la genèse et le contexte de la dernière réforme du droit des entreprises en difficulté ?
Guilhem Bremond. L’ordonnance réformant le droit des entreprises en difficulté a été conçue dans un environnement de crise financière, de crise économique, tant en France qu’à l’international ; face aux chiffres préoccupants relatifs à la défaillance des entreprises, le Gouvernement français a élevé la réforme du droit des entreprises en difficulté au rang de ses priorités. Par le biais d’une loi d’habilitation parlementaire, l’action gouvernementale par voie d’ordonnance a été permise. Le premier semestre de l’année 2013, par une consultation nationale, a été mis à profit pour stimuler les échanges d’idées sur les pratiques de marché, les besoins des praticiens, les obstacles rencontrés dans le traitement des difficultés des entreprises, tant en amont qu’en aval de l’intervention du tribunal de commerce ou encore les modalités de financement des sociétés.
Delphine Caramalli. Fort de cette consultation, le Gouvernement s’est ensuite attelé à la rédaction du projet d’ordonnance, s’appuyant à la fois sur les équipes de la Chancellerie et sur celles du ministère du Redressement productif. À l’issue de ce long processus, le projet d’ordonnance «?portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives?» a été soumis au Conseil d’État puis présenté au président de la République lors du Conseil des ministres du 12 mars 2014. Deux jours plus tard, la publication de l’ordonnance n°2014-326 intervenait dans le Journal officiel du 14 mars 2014. Nous attendons désormais la publication et l’entrée en vigueur de son décret d’application. L’ordonnance s’appliquera aux nouvelles procédures ouvertes à compter du 1er juillet de cette année.
Décideurs. Quelles étaient les failles du dispositif en place ?
G.B. Bien entendu, la perception n’est pas la même selon que l’on se place du point de vue du chef d’entreprise ou de ses créanciers. Mais au-delà de cette dualité classique, le point de vue des créanciers est lui-même très divers : institutionnels, banques, fonds d’investissement dans toute leur diversité… Chacun de ces intervenants a sa propre opinion du dispositif législatif en vigueur et en pointe les lacunes. Au-delà de ces divergences d’intérêt, de nombreuses voix dénonçaient le déséquilibre des forces en présence, en particulier au détriment des créanciers. L’ordonnance du 14 mars 2014 se veut être l’instrument de l’amélioration de leurs droits.
Décideurs. Justement, pouvez-vous davantage nous éclairer sur les objectifs que cette ordonnance est supposée atteindre ?
D.C. Le leitmotiv gouvernemental est la prévention. Si l’annonce faite au Conseil des ministres du 12 mars dernier par Madame le Ministre Christiane Taubira est de renforcer «?l’efficacité de l’ensemble des procédures applicables aux entreprises en difficulté, tant s’agissant des procédures de prévention que des procédures collectives?», la balance des articles de l’ordonnance relatifs à la prévention et de ceux traitant des procédures collectives penche plus qu’en faveur de l’amiable. En cela la réforme est en droite ligne du cap de la loi de sauvegarde des entreprises. Mais si l’accent est mis sur la prévention, les procédures collectives proprement dites sont également repensées.
Décideurs. Quelles sont les mesures en faveur de la prévention ?
D.?C. Elles sont nombreuses, mais en particulier, le privilège de «?new money?» voit son champ d’application élargi. Ainsi, les apports réalisés au cours de la procédure de conciliation en bénéficieront. De plus, ces créances seront favorisées puisqu’elles ne pourront faire l’objet de rééchelonnement d’office dans le cadre du plan de sauvegarde.
G.B. Dans le même esprit de protection, les garants de l’entreprise bénéficient désormais des délais de grâce accordés au débiteur principal (article L. 611-10-2 du Code de commerce). Signalons aussi l’élargissement de la mission du conciliateur qui pourra désormais, avec l’accord du débiteur, organiser la cession partielle ou totale de l’entreprise (article L.611-7 du Code de commerce).
Décideurs. Outre cette incitation à la prévention, l’ordonnance modifie-t-elle les procédures existantes ? En crée-t-elle de nouvelles ?
G.B. La réforme ne provoque pas un tsunami du droit des entreprises en difficulté, pour citer une expression employée par le Professeur Le Corre. Pour autant, elle est novatrice et, touche par touche, perfectionne nombre de mesures existantes voire en crée de nouvelles.
D.C. Le contrôle des pouvoirs publics est renforcé. L’ordonnance prévoit ainsi une plus forte implication du Parquet dans les procédures amiables : consultation en amont sur les conditions de rémunération du conciliateur et du mandataire à l’exécution de l’accord accepté par le débiteur, avis préalable requis pour l’ouverture de la procédure de conciliation. L’information des représentants du personnel est également améliorée : en vertu des dispositions du nouvel article L. 611-8-1 du Code de commerce, ces derniers doivent être informés par le dirigeant de la procédure de conciliation en cours et du contenu de l’accord lorsque l’homologation est demandée au tribunal, là où ils n’étaient précédemment informés que de l’existence d’un tel accord.
Décideurs. L’ordonnance crée-t-elle de nouvelles procédures ?
G.B. D’une part, une nouvelle procédure de sauvegarde accélérée est instaurée. Elle devrait permettre une issue rapide et négociée avec les principaux créanciers de l’entreprise. Particularité de cette procédure, elle est ouverte au débiteur en état de cessation des paiements si celle-ci ne précède pas depuis plus de quarante-cinq jours la date de la demande d’ouverture de la procédure de conciliation en cours (la conciliation est un préalable à la sauvegarde financière). La sauvegarde financière accélérée demeure et devient une des branches de cette nouvelle procédure. D’autre part, l’ordonnance créé un organe de surveillance de l’exécution de l’accord de conciliation, que la pratique avait initié par le biais des «?clauses de rendez-vous?» : le mandataire à l’exécution de l’accord. Mission qu’assurera le conciliateur et qui devra faire rapport de la moindre difficulté d’exécution de sa mission ou de l’accord auprès du président du tribunal de commerce.
Décideurs. Est-ce que le nouveau texte rétablit les créanciers dans leurs droits ?
G.B. Bien que la version finale de l’ordonnance soit édulcorée par rapport au projet qui avait été soumis aux praticiens (et l’on pense en particulier à la disparition de la mesure figurant dans le projet initial du texte, permettant aux créanciers d’exproprier les actionnaires, lesquels se voyaient imposer une cession de leurs titres ou une conversion dilutive des dettes en capital), il n’en reste pas moins qu’elle constitue un important pas vers l’amélioration des droits des créanciers, souvent mis à mal par le traitement des difficultés des entreprises.
D.C. Mesure phare dans le cadre des comités, les créanciers bancaires ainsi que les membres du comité des fournisseurs peuvent désormais présenter un projet de plan, concurrent de celui du débiteur. Le gouvernement offre ainsi aux créanciers la possibilité d’un sauvetage de l’entreprise, en prenant les rênes de sa restructuration. En pratique, l’administrateur devra faire un rapport sur ce projet et il incombera au tribunal de statuer sur le plan le plus à même d’assurer la pérennité de l’entreprise et en offrant les meilleures garanties. Les créanciers obligataires, réunis en masse, ne sont toutefois pas concernés par cette possibilité.
Décideurs. Faut-il comprendre que les obligataires sont les laissés-pour-compte de cette réforme ?
G.B. Certes, il leur est impossible de présenter un plan concurrent de celui du débiteur. Pour autant, il est important de souligner que l’adoption d’un plan présenté par le comité des établissements de crédit ou des fournisseurs nécessite l’approbation de 66,67?% des obligataires. Cette disposition devrait permettre à ces créanciers de faire valoir la prise en compte de leurs droits dans le cadre du plan présenté.
Décideurs. Comment percevez-vous l’accueil de ce dispositif par vos clients et partenaires
D.C. L’ampleur de la genèse de cette ordonnance a engendré une attente de la part des praticiens. Il leur appartient désormais de s’approprier ces nouvelles règles pour créer une dynamique sur le marché français de la restructuration. L’entrée en vigueur au 1er juillet 2014 nous permet de prendre toute la mesure de ses changements et de proposer à nos clients la stratégie la plus adaptée, forte de ces nouveaux outils. Les procédures en cours ne sont pas concernées par la réforme, à la nuance près que les procédures converties après le 1er juillet bénéficieront des nouvelles dispositions du Livre VI du Code de commerce.
Guilhem Bremond. L’ordonnance réformant le droit des entreprises en difficulté a été conçue dans un environnement de crise financière, de crise économique, tant en France qu’à l’international ; face aux chiffres préoccupants relatifs à la défaillance des entreprises, le Gouvernement français a élevé la réforme du droit des entreprises en difficulté au rang de ses priorités. Par le biais d’une loi d’habilitation parlementaire, l’action gouvernementale par voie d’ordonnance a été permise. Le premier semestre de l’année 2013, par une consultation nationale, a été mis à profit pour stimuler les échanges d’idées sur les pratiques de marché, les besoins des praticiens, les obstacles rencontrés dans le traitement des difficultés des entreprises, tant en amont qu’en aval de l’intervention du tribunal de commerce ou encore les modalités de financement des sociétés.
Delphine Caramalli. Fort de cette consultation, le Gouvernement s’est ensuite attelé à la rédaction du projet d’ordonnance, s’appuyant à la fois sur les équipes de la Chancellerie et sur celles du ministère du Redressement productif. À l’issue de ce long processus, le projet d’ordonnance «?portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives?» a été soumis au Conseil d’État puis présenté au président de la République lors du Conseil des ministres du 12 mars 2014. Deux jours plus tard, la publication de l’ordonnance n°2014-326 intervenait dans le Journal officiel du 14 mars 2014. Nous attendons désormais la publication et l’entrée en vigueur de son décret d’application. L’ordonnance s’appliquera aux nouvelles procédures ouvertes à compter du 1er juillet de cette année.
Décideurs. Quelles étaient les failles du dispositif en place ?
G.B. Bien entendu, la perception n’est pas la même selon que l’on se place du point de vue du chef d’entreprise ou de ses créanciers. Mais au-delà de cette dualité classique, le point de vue des créanciers est lui-même très divers : institutionnels, banques, fonds d’investissement dans toute leur diversité… Chacun de ces intervenants a sa propre opinion du dispositif législatif en vigueur et en pointe les lacunes. Au-delà de ces divergences d’intérêt, de nombreuses voix dénonçaient le déséquilibre des forces en présence, en particulier au détriment des créanciers. L’ordonnance du 14 mars 2014 se veut être l’instrument de l’amélioration de leurs droits.
Décideurs. Justement, pouvez-vous davantage nous éclairer sur les objectifs que cette ordonnance est supposée atteindre ?
D.C. Le leitmotiv gouvernemental est la prévention. Si l’annonce faite au Conseil des ministres du 12 mars dernier par Madame le Ministre Christiane Taubira est de renforcer «?l’efficacité de l’ensemble des procédures applicables aux entreprises en difficulté, tant s’agissant des procédures de prévention que des procédures collectives?», la balance des articles de l’ordonnance relatifs à la prévention et de ceux traitant des procédures collectives penche plus qu’en faveur de l’amiable. En cela la réforme est en droite ligne du cap de la loi de sauvegarde des entreprises. Mais si l’accent est mis sur la prévention, les procédures collectives proprement dites sont également repensées.
Décideurs. Quelles sont les mesures en faveur de la prévention ?
D.?C. Elles sont nombreuses, mais en particulier, le privilège de «?new money?» voit son champ d’application élargi. Ainsi, les apports réalisés au cours de la procédure de conciliation en bénéficieront. De plus, ces créances seront favorisées puisqu’elles ne pourront faire l’objet de rééchelonnement d’office dans le cadre du plan de sauvegarde.
G.B. Dans le même esprit de protection, les garants de l’entreprise bénéficient désormais des délais de grâce accordés au débiteur principal (article L. 611-10-2 du Code de commerce). Signalons aussi l’élargissement de la mission du conciliateur qui pourra désormais, avec l’accord du débiteur, organiser la cession partielle ou totale de l’entreprise (article L.611-7 du Code de commerce).
Décideurs. Outre cette incitation à la prévention, l’ordonnance modifie-t-elle les procédures existantes ? En crée-t-elle de nouvelles ?
G.B. La réforme ne provoque pas un tsunami du droit des entreprises en difficulté, pour citer une expression employée par le Professeur Le Corre. Pour autant, elle est novatrice et, touche par touche, perfectionne nombre de mesures existantes voire en crée de nouvelles.
D.C. Le contrôle des pouvoirs publics est renforcé. L’ordonnance prévoit ainsi une plus forte implication du Parquet dans les procédures amiables : consultation en amont sur les conditions de rémunération du conciliateur et du mandataire à l’exécution de l’accord accepté par le débiteur, avis préalable requis pour l’ouverture de la procédure de conciliation. L’information des représentants du personnel est également améliorée : en vertu des dispositions du nouvel article L. 611-8-1 du Code de commerce, ces derniers doivent être informés par le dirigeant de la procédure de conciliation en cours et du contenu de l’accord lorsque l’homologation est demandée au tribunal, là où ils n’étaient précédemment informés que de l’existence d’un tel accord.
Décideurs. L’ordonnance crée-t-elle de nouvelles procédures ?
G.B. D’une part, une nouvelle procédure de sauvegarde accélérée est instaurée. Elle devrait permettre une issue rapide et négociée avec les principaux créanciers de l’entreprise. Particularité de cette procédure, elle est ouverte au débiteur en état de cessation des paiements si celle-ci ne précède pas depuis plus de quarante-cinq jours la date de la demande d’ouverture de la procédure de conciliation en cours (la conciliation est un préalable à la sauvegarde financière). La sauvegarde financière accélérée demeure et devient une des branches de cette nouvelle procédure. D’autre part, l’ordonnance créé un organe de surveillance de l’exécution de l’accord de conciliation, que la pratique avait initié par le biais des «?clauses de rendez-vous?» : le mandataire à l’exécution de l’accord. Mission qu’assurera le conciliateur et qui devra faire rapport de la moindre difficulté d’exécution de sa mission ou de l’accord auprès du président du tribunal de commerce.
Décideurs. Est-ce que le nouveau texte rétablit les créanciers dans leurs droits ?
G.B. Bien que la version finale de l’ordonnance soit édulcorée par rapport au projet qui avait été soumis aux praticiens (et l’on pense en particulier à la disparition de la mesure figurant dans le projet initial du texte, permettant aux créanciers d’exproprier les actionnaires, lesquels se voyaient imposer une cession de leurs titres ou une conversion dilutive des dettes en capital), il n’en reste pas moins qu’elle constitue un important pas vers l’amélioration des droits des créanciers, souvent mis à mal par le traitement des difficultés des entreprises.
D.C. Mesure phare dans le cadre des comités, les créanciers bancaires ainsi que les membres du comité des fournisseurs peuvent désormais présenter un projet de plan, concurrent de celui du débiteur. Le gouvernement offre ainsi aux créanciers la possibilité d’un sauvetage de l’entreprise, en prenant les rênes de sa restructuration. En pratique, l’administrateur devra faire un rapport sur ce projet et il incombera au tribunal de statuer sur le plan le plus à même d’assurer la pérennité de l’entreprise et en offrant les meilleures garanties. Les créanciers obligataires, réunis en masse, ne sont toutefois pas concernés par cette possibilité.
Décideurs. Faut-il comprendre que les obligataires sont les laissés-pour-compte de cette réforme ?
G.B. Certes, il leur est impossible de présenter un plan concurrent de celui du débiteur. Pour autant, il est important de souligner que l’adoption d’un plan présenté par le comité des établissements de crédit ou des fournisseurs nécessite l’approbation de 66,67?% des obligataires. Cette disposition devrait permettre à ces créanciers de faire valoir la prise en compte de leurs droits dans le cadre du plan présenté.
Décideurs. Comment percevez-vous l’accueil de ce dispositif par vos clients et partenaires
D.C. L’ampleur de la genèse de cette ordonnance a engendré une attente de la part des praticiens. Il leur appartient désormais de s’approprier ces nouvelles règles pour créer une dynamique sur le marché français de la restructuration. L’entrée en vigueur au 1er juillet 2014 nous permet de prendre toute la mesure de ses changements et de proposer à nos clients la stratégie la plus adaptée, forte de ces nouveaux outils. Les procédures en cours ne sont pas concernées par la réforme, à la nuance près que les procédures converties après le 1er juillet bénéficieront des nouvelles dispositions du Livre VI du Code de commerce.