Mario Draghi veut relancer l’économie européenne quitte à contourner les mandats de la BCE.
Après avoir maintenu son taux directeur à son plus bas historique (0,05 %), la Banque centrale européenne (BCE) a annoncé qu’elle réfléchissait à injecter mille milliards d’euros dans l’économie en achetant directement des titres de dettes souveraines. Qualifiée de quantitative easing, cette politique monétaire reste exceptionnelle en Europe alors que certaines banques centrales (américaine, japonaise et britannique) y ont recours depuis de nombreuses années.... pour des résultats qui se révèlent bien aléatoires. 

0,5 % d’inflation en 2014

Contrairement à ses homologues, la BCE a pour seul mandat la stabilité des prix et ne peut donc racheter directement de la dette aux États membres. Depuis le second trimestre, elle profite donc officiellement d’une inflation basse pour mettre en place des mesures inédites avec pour objectif de ramener l’inflation à un rythme annuel de 2 %. Les effets se font toujours attendre : l’inflation continue de flirter avec le seuil des 0 % et la Commission européenne vient même de revoir à la baisse ses prévisions, à 0,5 % en 2014 et 0,8 % en 2015, contre 0,8 % et 1,2 % auparavant.

En eaux troubles
La BCE se retrouve de fait coincée entre une inflation faible, une croissance atone et des dettes publiques élevées. Une situation inédite qui soulève de nombreuses interrogations. « Banques centrales : quelle voie suivre ? », le symposium international organisé par la Banque de France, a cependant ouvert quelques pistes de réflexion. En tête de liste, le lien entre la dette et l'inflation. S’il est reconnu que cette dernière soulage les finances publiques en allégeant le coût de la dette, son impact réel demeure néanmoins limité. Entre 1982 et 1995, le ratio dette/PIB américain a ainsi doublé alors que l’inflation est restée stable. De 1996 à 2000, le ratio diminue en revanche de 20 % sans que l’inflation ne fluctue de manière significative. Et selon une étude économétrique récente, l’inflation ne contribue qu’à hauteur de 15,8 % dans le changement du ratio dette/PIB.

Ce premier constat induit une relative liberté d’action pour les banques centrales. Demeure la question de l'efficacité de ces politiques monétaires. Au cours de ces vingt dernières années, l’inflation est restée stable, comprise entre 1 % et 3 %, aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, alors même que ces deux régions ont connu des périodes de crise profonde. Un constat qui pousse Anne Le Lorier, premier vice-gouverneur de la Banque de France, à s’interroger sur une inflation « qui n’est peut-être pas l’indicateur le plus efficace pour gérer les crises à court terme ». Une question d’autant plus légitime que l’impact de la politique monétaire sur l’inflation a parfois montré ses limites.

« Un siècle d’inflation basse »

Pour Anne Le Lorier, nous sommes entrés dans « un siècle d’inflation basse ». Malgré une politique monétaire accommodante dans les principales économies depuis 2008, la hausse des prix continuent de stagner à des niveaux historiquement faibles. « Un taux d’intérêt bas ne garantit plus une inflation autour des 2 % », résume-t-elle. Comment expliquer un tel revirement ? Pour Hervé Hannou, deputy general manager de Bank for International Settlements, les gouvernements ne sont pas exempts de tout reproche : « On ne peut pas avoir d’un côté une politique monétaire expansionniste et de l’autre une politique économique d’austérité. C’est comme si l’on appuyait sur l’accélérateur et le frein en même temps, cela ne mène nulle part. » Résultat : la reprise américaine est sans conteste, quand l'Europe s'empêtre dans la stagnation. Ou quand le plus libéral mène la politique économique la plus keynésienne.

Dans un tel environnement, la BCE semble cantonnée aux seconds rôles. Et si les marchés financiers accueillent favorablement les politiques mises en place, rien ne garantit que cet état de grâce perdure dans les prochains mois. Citant Albert Einstein, Jacob Frenkel, président de JP Morgan Chase International, résume très bien la situation de la banque centrale. « La théorie, c'est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c'est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi. Ici, nous avons réuni théorie et pratique : rien ne fonctionne... et personne ne sait pourquoi ! » De quoi redonner confiance en l’économie et la politique monétaire…

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