« Le brevet unitaire européen représente un élément de changement crucial pour développer l’innovation et l’économie de l’Union »
Entretien avec Thierry Sueur
directeur de la propriété intellectuelle, directeur des affaires européennes et internationales, Air Liquide


Décideurs. Quel regard portez-vous sur le brevet européen unitaire ?
Thierry Sueur.
Je porte un regard à la fois heureux et surpris, même si nous avons attendu cette décision pendant quarante ans. Le brevet européen unifié posait des problèmes, un désaccord sur les questions linguistiques a empêché d’avancer. Mais le temps a porté ses fruits, grâce à une volonté commune de réussir sur ce projet qui est une source d’opportunités et un outil capable de doper la compétitivité européenne. C’est un progrès et un élément de changement crucial pour développer l’innovation et l’économie de l’Union. Cette initiative s’inscrit dans une volonté de simplifier le cadre juridique européen, trop souvent pointé du doigt pour sa complexité.

Décideurs. Quand la juridiction européenne unifiée sera-t-elle opérationnelle ?
T.?S.
On a parlé de septembre?2014 mais quelques mois supplémentaires seront probablement nécessaires, vu l'ampleur de ce chantier juridique. Je préfère attendre encore pour obtenir une cour qui soit efficace et de qualité. Pour l'heure, la juridiction unifiée existe uniquement sur le papier. Il va falloir nommer des juges puis les former, établir le barème des taxes de procédure, créer un système informatique unique et, enfin, définir un véritable code européen de procédure civile pour le contentieux. En France, on a créé l’Union pour la juridiction unifiée des brevets, qui regroupe les professionnels de la propriété intellectuelle, des industriels, des avocats et des CPI, qui ont pour objectif d’interagir auprès des pouvoirs publics pour favoriser le succès du projet et participer à la construction de l’édifice.

Décideurs. Qu’est-ce que le brevet va changer pour les entreprises ?
T.?S.
Une question essentielle n'est pas encore tranchée : le niveau des taxes annuelles de maintien du brevet unique délivré par l'Office européen des brevets (OEB), qui sera décisif pour en faire un outil de propriété intellectuelle vraiment attractif. Ce n'est que si ce coût est supportable et avantageux par rapport à l’existant qu'il incitera les entreprises, tout particulièrement les PME, à élargir la protection de leurs innovations.

Décideurs. Comment s’inscrit-il dans la strat?gie d’Air Liquide ?
T.?S.
Pour préserver un avantage compétitif et encourager l’investissement, les outils de la propriété intellectuelle et des brevets sont extrêmement importants. L’innovation, depuis la création du groupe en 1902, est au cœur de la stratégie compétitive d’Air Liquide, qui s’appuie sur un vaste réseau de chercheurs et d’ingénieurs. Nous encourageons nos collaborateurs à déclarer leurs inventions à travers un programme de reconnaissance des inventeurs, contributeurs au développement technologique du groupe. Le brevet est profondément lié à la stratégie du groupe. De plus, le président d’Air Liquide est entré dans l’entreprise comme chercheur et il est très sensible à ces thématiques.

Décideurs. Comment les centres de recherche d’Air Liquide sont-ils organisés ?
T.?S.
Le réseau R&D est constitué de huit centres déployés sur trois continents, en Europe, aux États-Unis et en Asie. La recherche est organisée autour de mille chercheurs avec un investissement d’environ trois cents millions d'euros par an. Parallèlement nous collaborons avec des centres de recherche académique mais aussi avec des PME dans le cadre de l’innovation ouverte, et nous investissons sur des start-up novatrices pour nous permettre d’explorer de nouveaux marchés.

Décideurs. Comment réagissez-vous ? l’avanc?e de la Chine en mati?re de propriété intellectuelle ?
T.?S.
Air Liquide est présent en Chine depuis 1912 où nous employons plus de quatre mille personnes localement. Je suis étonné par les progrès remarquables que la Chine a réalisés dans le domaine de la propriété intellectuelle. Il faut se rappeler qu’en moins de trente ans, la Chine a construit ex nihilo un droit qui est conforme aux règles internationales. Le gouvernement a créé un axe stratégique sur la recherche et l’innovation et a fait le pari d’investir pour devenir un grand pays d’innovation. Il reste encore des progrès à faire, le territoire n’est pas uniforme. Il est plus facile de régler des conflits à Shanghai ou à Pékin, que dans autres régions plus reculées du pays, mais n’est-ce pas le cas partout dans le monde ?


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