Pascal Agboyibor, Yves Lepage (Orrick) : «Se pose dorénavant la question du mode énergétique»
Décideurs. L’ouverture du bureau affilié d’Abidjan à l’automne dernier a beaucoup fait parler. Quelles ont été les raisons de ce choix ?
Pascal Agboyibor. Ce choix est en lien avec nos activités en énergies, infrastructures, capital markets et en droit minier en Afrique francophone. Situer le bureau dans l’espace de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) était une évidence, les projets sur lesquels nous intervenons se déroulant souvent dans ces pays. Nous avons notamment une activité soutenue au Cameroun, en République démocratique du Congo, en Côte d’Ivoire ou en Guinée. Non seulement la Côte d’Ivoire occupe une large place au sein de l’espace Ohada, mais elle est également la première puissance économique de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Abidjan nous est très vite apparue comme la place la plus attractive d’Afrique noire. D’ailleurs, le fait que la Banque africaine de développement (BAD) y ait confirmé son retour lors de nos discussions nous a confortés dans notre choix.
Yves Lepage. Avec nos activités à Paris, nous avions la possibilité de nous différencier du reste des cabinets qui font le choix du Maroc ou de l’Afrique du Sud. D’autant que le Maroc, qui est un marché spécifique, semble maintenant saturé. Qu’allions-nous y apporter de plus ? Nous avons donc décidé de nous concentrer sur l’Afrique de l’Ouest où notre forte expérience en énergie et infrastructures répondait aux besoins de la région. Notre activité va également se développer dans les domaines du financement, des fusions-acquisitions et de l’arbitrage international Ohada.
Décideurs. Autrement dit, votre activité est distincte de celle des avocats ivoiriens ?
P. A. Orrick RCI est constitué de conseils juridiques agréés en Côte d’Ivoire. Ils ne sont pas admis au barreau d’Abidjan. Ils font essentiellement du conseil juridique lié notamment aux financements de projets et aux marchés de capitaux, et sont autorisés à intervenir sur des dossiers d’arbitrage. Cela étant dit, notre sentiment est qu’ils peuvent être amenés à collaborer avec des cabinets d’avocats ivoiriens en sollicitant leur expertise sur certaines matières ou sur des questions réglementaires pures.
Notre initiative est une bonne opportunité pour les juristes ivoiriens évoluant à l’étranger et qui souhaiteraient rentrer en Côte d’Ivoire, mais également pour ceux déjà basés là-bas et qui souhaitent exercer leur métier dans un environnement international en s’appuyant sur les infrastructures, le réseau et les outils d’une structure comme la nôtre.
Décideurs. Nombre de vos expertises s’avèrent nécessaires au développement que connaît aujourd’hui le continent.
Y. L. L’électricité est actuellement la priorité numéro un des pays africains. Les États-Unis, la Chine et le Moyen-Orient commencent à vouloir réaliser des investissements dans ce domaine sur le continent. L’Union européenne aussi. D’ailleurs la récente initiative de Jean-Louis Borloo avec sa Fondation pour les énergies en Afrique (lire notre interview de Jean-Louis Borloo) participe de ce même élan. Or notre expertise en énergie est une des plus importantes de la place de Paris, en particulier car nous représentons aussi bien les sponsors que les gouvernements ou les banques dans ce domaine.
Grâce à cette expérience, nous pouvons définir au mieux avec nos clients les projets énergétiques et déterminer les évolutions législatives et réglementaires indispensables à ces projets. D’ailleurs, dans certains des pays où nous intervenons, de nombreux instruments juridiques doivent évoluer, notamment dans l’espace Ohada. S’il y a eu une vraie prise de conscience des dirigeants africains de l’importance de l’électricité pour accélérer leur développement industriel, se pose dorénavant la question du mode énergétique, avec en particulier le développement des centrales à gaz et les énergies renouvelables (éolien et photovoltaïque). Les renouvelables soulèvent leurs propres difficultés, en particulier au regard de la maintenance.
Deux aspects sont particulièrement cruciaux. D’abord, il faut donner une réponse intelligente et adaptée aux divers territoires africains, dont les zones rurales reculées, où les énergies renouvelables pourraient être une vraie solution car elles éviteraient les investissements liés au raccordement au réseau. D’autre part, il existe un développement de la technique qui va être très intéressant. En somme, il reste tout un travail absolument essentiel à réaliser. Une vraie coordination doit se mettre en place entre les sociétés d’électricité, les gouvernements et les autorités régulatrices.
Dans ce contexte, les 150 années d’expérience accumulées par le cabinet dans les grandes industries sont précieuses pour aider à la mise en place de solutions juridiques sur le continent. Au-delà de notre pratique énergie, nous participons activement aux projets d’infrastructures (routes, ports, aéroports), – miniers – qui malgré les difficultés conjoncturelles restent très actifs – et aux financements de ces projets –, soit bancaires soit par émission d’obligations. Nous constatons également une forte croissance des transactions en private equity et fusions-acquisitions et le développement des fonds de private equity ou d’infrastructure, une spécialité que nous avons également développé à Paris grâce à Jean-Jacques Essombè.
Décideurs. L’environnement des affaires est un aspect crucial de la réussite d’une implantation. Que pensez-vous du climat actuel en Afrique francophone ?
P. A. Nul doute qu’il y a eu ces dernières années une nette amélioration du climat des affaires en Afrique. Mais il ne faut pas aller trop vite. L’actualité récente, comme la condamnation d’Ecobank et les réactions de défiance à l’égard des tribunaux concernés qui ont suivi, démontrent que le chantier de la sécurité judiciaire doit continuer de retenir l’attention des décideurs, tout comme la réflexion doit se poursuivre sur les initiatives et idées novatrices permettant de traiter la question de la gouvernance et de l’efficacité des administrations.
Y. L. Et l’arbitrage, notamment l’arbitrage Ohada, commence à rencontrer plus de succès. Les parties y recourent plus souvent. Les gouvernements ont récemment pris conscience de l’importance de ce cadre juridique et les investisseurs commencent également à s’y intéresser.
Propos recueillis par Elodie Sigaux