Réformes structurelles, entreprises et patients : tout le monde y perd.
Décideurs . Le projet de loi relatif à la santé va-t-il dans le bon sens ?

Pierre Gattaz.
C’est un peu le problème, on ne perçoit pas le sens de ce projet de loi. Il s’agit d’un inventaire de mesures d’inégale importance sans aucune évaluation de l’impact financier. Ce texte ne constitue pas une stratégie et ne répond pas aux enjeux de redressement des comptes sociaux, de préservation de la qualité des soins et de valorisation de l’innovation.
La recherche de l’amélioration de l’efficience du système, ne figure pas dans ses priorités. Et certaines mesures proposées, comme la généralisation du tiers-payant intégral en médecine de ville, risquent de renforcer la déresponsabilisation des acteurs, au mépris d’une meilleure gestion. C’est l’inverse de ce qu’il faut faire.
Compte tenu de l’allongement de la durée de la vie, les dépenses de santé vont continuer d’augmenter plus vite que la richesse nationale et cela dans un contexte de croissance ralentie, alors que, les comptes de l’Assurance-maladie sont déficitaires depuis 1988.


Décideurs. Si ces propositions ne répondent pas aux défis de notre système, que proposez-vous ?

P. G.
Ce saupoudrage de mesures ne peut aborder les vraies questions et répondre aux défis auxquels le système de santé est confronté : vieillissement de la population, développement des maladies chroniques, révolution technologique. Dans ce contexte, l’enjeu est de pérenniser un système de santé offrant un bon rapport qualité-coût et permettant à tous les Français d’accéder aux innovations technologiques et thérapeutiques. Ce projet de loi n’en prend pas le chemin.
Alors que le système de santé mobilise des ressources considérables - 235 milliards d’euros en 2012, soit 11,6 % du PIB -, issues notamment des entreprises, ses résultats sont certes globalement satisfaisants, mais contrastés, et pas sensiblement meilleurs que ceux de la moyenne européenne compte tenu du niveau des dépenses engagées.
Nous attendons que des réformes structurelles de notre système de soins soient enfin engagées et nous avons formulé des propositions en ce sens en juin dernier. Un exemple : en France, les dépenses hospitalières représentent 36 % de nos dépenses de santé contre 29 % dans la moyenne des pays de l’OCDE. Les réformes de l’hôpital public tardent, le développement de l’ambulatoire y est trop lent et la réduction des surcapacités avérées de lits ne suit pas. L’ajournement de ces réformes met en péril le système de santé et fait peser sur les entreprises du secteur (médicament, hospitalisation privée…) une contrainte inacceptable. Ainsi, en 2015, la branche du médicament supportera 49 % des « économies » alors qu’elle ne représente que 15 % des dépenses d’assurance-maladie. Ces entreprises ne peuvent servir de variable d’ajustement à chaque loi de financement de la sécurité sociale. Sauf à engager un mouvement irréversible de désindustrialisation.


Décideurs. Vous avez déclaré : « Écarter les acteurs privés, porteurs de l’efficience et de l’innovation dont le système a besoin, constitue une erreur stratégique majeure ». Pourquoi le « tout service public » est-il une erreur ?

P. G.
Le projet de loi ignore purement et simplement les entreprises de santé dont les performances, reconnues dans le monde entier en matière d’innovation (thérapies géniques, chirurgie mini-invasive, robotisation, télémédecine, hôpital numérique…) vont, dans les années à venir, profondément remodeler le système de santé dans le sens d’une amélioration des soins et de la prévention.
Cette adaptation du système de soins doit être engagée avec les entreprises de santé, porteuses d’innovation et d’efficience, et non contre elles. Telle n’est pas l’orientation prise par les pouvoirs publics. En effet, le projet de loi comporte un risque réel d’exclusion des établissements hospitaliers privés du service public hospitalier compte tenu de la mise en place d’un bloc d’obligations particulièrement pénalisant pour les médecins exerçant dans ces établissements. Il s’agirait là d’un pas de plus vers l’étatisation du système de santé et plus particulièrement de l’offre de soins. Ce serait aussi une entorse aux règles de libre concurrence.
Cette remise en cause de la place des acteurs privés, dont le savoir-faire et l’excellence contribuent au rayonnement et à l’attractivité de notre pays serait une erreur stratégique majeure et un contre-sens économique. Ce point du projet de loi doit évoluer. Autre exemple, les organismes complémentaires, qui jouent pourtant un rôle croissant et sont un élément essentiel de l’accès aux soins, sont ignorés dans le projet de loi alors qu’ils pourraient jouer un rôle accru en matière de gestion du risque, à travers notamment les réseaux de soins.


Décideurs. Le projet de loi étend le domaine de la « class action » aux dommages corporels. La France ne risque-t-elle pas une hyper-judiciarisation de son système de santé ?

P. G.
L’extension aux dommages corporels du dispositif de l’action de groupe présente de graves risques dans un domaine, la santé, où le lien de causalité est toujours difficile à établir. De même que nous ne sommes pas égaux devant la santé, nous ne sommes pas égaux devant la maladie, du fait de notre patrimoine génétique, de nos comportements, de notre environnement…
Les dommages causés dans le domaine de la santé variant selon les individus, la réparation ne peut être uniforme. Il est indispensable qu’elle soit individualisée, ce qui, au passage, va à l’encontre de la philosophie qui sous-tend ce dispositif. Une telle décision, prise dans la précipitation, sans étude d’impact, conduira à la judiciarisation du système, sans améliorer pour autant les conditions d’indemnisation des victimes. Cela posera aussi un problème majeur concernant les assurances pour les acteurs concernés, notamment les médecins.


Décideurs. Le projet revient sur l’ouverture des données de santé, comme celles de l’assurance-maladie. Où en est la France en matière de données de santé ?

P. G.
Le projet de loi reste très restrictif sur l’ouverture des données de santé. Les dispositions sur l’accès à ces données témoignent d’une frilosité certaine et d’une volonté de l’État de garder la haute main sur la gouvernance et le partage de ces données, alors qu’une meilleure information de tous sur la sécurité et la qualité des soins est souhaitable. Le système national des données médico-administratives qui sera mis en place inclura les données des organismes complémentaires mais sa gestion sera assurée par la seule Assurance-maladie, ce qui va dans le sens d’une intégration des complémentaires à l’Assurance-maladie à travers les systèmes l’information. Nous ne pouvons l’accepter.
Au-delà, ce texte traduit une volonté manifeste de poursuivre « l’étatisation » de la gouvernance de l’assurance-maladie et cela en contradiction avec les déclarations du Premier ministre sur le rôle et la place des entreprises dans la relance de notre économie et de l’emploi. Les industries et services de santé représentent dans leur ensemble près de deux millions d’emplois, soit 9 % de la population active. Ce n’est pas négligeable.

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