Entretien avecGrégoire Baudry,Associé, Bain & Company" La bonne question est : Suis-je en plein potentiel da ma géographie d'origine ? "

Entretien avec

Grégoire Baudry,

Associé, Bain & Company

" La bonne question est : Suis-je en plein potentiel dans ma géographie d'origine ? "

 

Décideurs : Comment Bain intervient-il auprès de ses clients dans la phase d’internationalisation ?
Grégoire Baudry : Nous intervenons à trois moments du processus. D’abord, avant le lancement, nous rendons un diagnostic stratégique. Cette phase suppose un décryptage exhaustif des données de l’entreprise (forces, faiblesses, compétences).
Nous arbitrons entre le choix d’aller à l’étranger ou d’enfoncer le clou dans le marché d’origine. Nous aidons nos clients à être rationnels, à jauger le risque en se posant les bonnes questions : est-ce que je suis en plein potentiel dans ma géographie d’origine ? Qu’est-ce que je veux exporter  à l’étranger (une marque, un format, un savoir-faire) ?
Ensuite, lorsque la décision d’internationalisation est prise, lors de la phase de définition de la stratégie, nous discutons des différents moyens d’entrée sur le marché. Parfois ils s’imposent à nous : la joint-venture est légalement obligatoire en Inde.
Souvent, le choix est plus stratégique : la franchise correspond à une entrée prudente, de prise de température. Elle n’est pas très repandue aux États-Unis. La création d’une filiale est plus offensive, mais soulève des questions importantes (immobilier, gouvernance, etc…).
Enfin, nous sommes consultés lors du diagnostic postopératoire d’une filiale nouvellement implantée.

Décideurs : Les secteurs de croissance représentent-ils les uniques tickets d’entrée aux États-Unis ?
G. B. : Bien sûr, il est plus aisé de s’implanter sur un marché porté par une forte croissance (énergie propre, santé, infrastructures, télécoms). Certains marchés dits matures réservent des surprises. Le marché de l’alimentaire connaît une croissance inattendue aux États-Unis depuis la crise – la tendance très marquée de dîner dehors s’est réduite.
La croissance du marché sur lequel le groupe se situe n’est pas forcément gage de réussite. L’originalité du produit est un premier pas vers la réussite (le design d’Apple, l’efficacité d’Ikéa).

Ensuite, tout est question de savoir faire. Et les Français ont un savoir-faire technique reconnu. Il leur reste à comprendre la dynamique des appels d’offre, et savoir bâtir un bon réseau de lobbyistes.

Décideurs : L’étude Bain sur la création de valeur via l’internationalisation montre que 40 % des tentatives d’entrée sur un marché étranger sont un succès. N’est-ce pas décourageant ?
G. B. : Ce pourcentage est très variable selon les secteurs. Seule une internationalisation sur trois est un succès dans la distribution. Elle n’est pas forcément une réussite. Certains business plans n’appellent pas à l’expansion internationale.

Il faut être prudent et bien étudier les parts de marché qui peuvent être conquises. Même s’il est mature et offre des possibilités de croissance moins alléchantes que les pays émergeants, le marché américain reste prometteur. Il est dynamique et ne présente pas d’éléments structurels hostiles.

Décideurs : Les Américains et les Français ont une perception assez caricaturale de leur culture respective. Cela entrave-t-il les relations commerciales ?

G. B. : Il est vrai que les Américains et les Français ont tendance à se renvoyer une image stéréotypée de leur pays. Les États-Unis sont pensés comme trop monolithiques par les Français. Cela peut les gêner dans leur stratégie d’implantation.

De la même manière, la plupart des Américains font peu de différences entre les pays européens. Je me souviens d’une discussion avec un Américain briguant le marché européen : il envisageait une première implantation en Pologne, stimulé par une expérience fructueuse en Allemagne. « La Pologne, c’est comme l’Allemagne » m’avait-il dit.
Pour contrer l’effet de ces tropismes, les groupes américains souhaitant s’implanter en Europe et les groupes européens souhaitant s’installer aux États-Unis doivent s’entourer d’experts locaux. 

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