Jean Oriou (Fidal) : «En Afrique, les projets peuvent être portés conjointement par les États et les opérateurs privés»
Décideurs. Pouvez-vous nous présenter la pratique Afrique du cabinet Fidal ?
Jean-Sébastien Oriou. L’équipe Afrique est essentiellement basée sur la place parisienne. C’est une équipe pluridisciplinaire composée d’avocats biculturels ou ayant une forte expérience de l’Afrique, spécialisée dans diverses lignes de métier et spécialités – social, M&A, infrastructures, énergie, ressources naturelles, arbitrage, fiscal, etc. Tous possèdent une très bonne connaissance de la région et des usages locaux. Notre desk Afrique a deux missions principales : mettre en place et animer notre réseau, et faire le lien avec les avocats au niveau national afin d’accompagner nos clients sur le continent. Nos activités dépendent des besoins de nos clients, et ces besoins sont de plus en plus évolutifs. L’Afrique est un vrai relais de croissance pour le monde. Notre ambition est que Fidal devienne à terme le premier hub de ces investisseurs français et étrangers qui souhaitent investir en Afrique francophone.
Isabelle Vaugon. Nous sommes environ 400 avocats sur la place parisienne et 1 400 avocats au total répartis dans près de quatre-vingt-dix bureaux. Dans nos activités africaines, nous nous concentrons principalement sur l’Afrique francophone, même si nous développons notre travail de collaboration avec nos cabinets partenaires internationaux en vue d’intervenir plus régulièrement également en Afrique lusophone et anglophone.
Jean L’Homme. L’Afrique attire toujours plus d’investisseurs. Si le montant des IDE fait aujourd’hui jeu égal avec l’aide au développement, le niveau des investissements, notamment dans le secteur des infrastructures, est très faible au regard des besoins. Les freins sont principalement structurels : pour investir dans cette région, il est nécessaire d’être patient.
Décideurs. Mais il est aussi crucial de fortifier un réseau de correspondants locaux…
J-S.O. Nous avons effectivement constitué de nombreux partenariats avec des confrères localisés principalement dans les pays d’Afrique francophone, mais également lusophone et anglophone. Des accords de coopération ont dernièrement été établis avec de nouveaux partenaires parmi lesquels le cabinet ivoirien Bilé-Aka, Brizoua-Bi & Associés, le cabinet britannique Mills & Reeve, et tout récemment avec la Société fiduciaire du Maroc. Ces trois accords ont notamment permis une ouverture vers l’ensemble de l’Afrique anglophone et francophone. Ils s’ajoutent à celui passé avec le cabinet brésilien Siqueira Castro, donnant accès à l’Afrique lusophone.
Par ailleurs, nous avons une filiale tunisienne Fidal Tunisie et envisageons un contrat de partenariat avec un cabinet algérien. Enfin, nous nous assurons toujours de constituer des équipes projet pluriculturelles, avec des avocats français et africains.
Yves Robert. Nous nous appuyons également sur des accords de coopération non exclusifs avec KPMG Tax International, par exemple pour la fiscalité de projets couvrant l’Afrique anglophone.
Décideurs. Comment les différentes équipes collaborent-elles sur un dossier Afrique ?
J-S.O. Pour le département droit public, les dossiers africains en infrastructures et énergie représentent près de 40 % de l’activité. L’équipe accompagne les entreprises dans des projets très variés. Maître Julie Claude assiste, par exemple, un client qui souhaite établir un centre culturel dédié à la création musicale à Abidjan. Maître Assiba Djemaoun conseille l’UEMOA en vue de l’adoption d’une réglementation unifiée pour la mise en place de PPP.
Yves Robert. Nous travaillons constamment en collaboration avec les autres équipes car le domaine fiscal est très lié aux aspects juridiques et techniques. Nous intervenons en amont, en matière de régime fiscal et de rédaction de clauses de stabilisation, où nous négocions avec les autorités fiscales des différents pays africains. Nos clients investisseurs ont besoin d’avoir une visibilité sur le régime fiscal et cette négociation leur permet de calibrer leur investissement.
Séverine Lauratet. Et en cas de conflit, nous opérons en tant qu’experts fiscaux lors de procédures d’arbitrage en coopération avec le département règlement des contentieux. Ce qui a été le cas récemment en matière d’investissement sur l’interprétation de différentes clauses de stabilité fiscale.
J.L’H. En financement, nous intervenons notamment avec les équipes corporate ou private equity, selon les projets et les pays impliqués. Et nous pouvons intervenir en amont pour étudier la bancabilité ou la structuration des projets. Précisons que les problématiques sont diverses selon les régions traitées : l’Afrique est un continent et non un bloc homogène.
I.V. En arbitrage, nous intervenons notamment en matière d’exploration minière et pétrolière et de contrats de commercialisation de matières premières. Nous constatons une tendance lourde de remise en question des contrats en cours par les gouvernements.
Décideurs. Plus généralement, quelles sont les tendances en énergie et infrastructures, observées sur le continent africain ?
J-S. O. Compte tenu de la baisse des recettes pétrolière et minière, les États et opérateurs réfléchissent à des montages innovants liés à ces investissements, notamment à la mutualisation de certaines infrastructures (chemin de fer ou un port) pour le besoin des populations. Autres nouveautés : les projets peuvent être portés conjointement par les États et les opérateurs privés, et le secteur des énergies renouvelables – comme le photovoltaïque – se développe considérablement.
L’une des autres grandes tendances est l’ouverture du capital d’entreprises publiques, notamment dans le domaine bancaire ou de l’énergie. Cette tendance va être amenée à se développer de plus en plus car cela permet de trouver des liquidités. Ce sujet n’est pas souvent évoqué, pourtant il constitue une demande réelle, notamment en Afrique subsaharienne et au Maghreb.
Y.R. Les investisseurs interviennent désormais dans des domaines plus larges. Ceci va de pair avec l’émergence d’une classe moyenne et la consommation évolutive des populations locales. Nous conseillons fréquemment les investisseurs dans de nouveaux secteurs, pour lesquels il existe un réel besoin d’infrastructures et d’encadrement de l’investissement. Par ailleurs, il existe dorénavant des fonds d’investissement totalement dédiés à l’Afrique, et nous souhaitons les assister dans leurs projets.
S.L. En matière de législation, les pays africains sont en train de s’équiper dans les domaines des prix de transfert, afin de capter la fiscalité relative aux activités réalisées dans leur pays. Par ailleurs, nous intervenons régulièrement sur des problématiques juridiques et fiscales liées aux questions de sous-traitance, très fréquentes en matière d’énergie et d’infrastructures.
J.L’H. Parmi les tendances actuelles, le financement en private equity est prédominant. Le développement des PME – majoritaires sur le continent – reste freiné en raison d’un accès au crédit limité et d’un coût du crédit élevé, non pas dû à l’insuffisance des actifs mais à l’inefficience dans l’enregistrement. Le développement fulgurant des services financiers mobiles pourra sans doute apporter une réponse partielle, compte tenu de son fort potentiel : 25 % de la population détient un compte bancaire alors que 75 % est équipée d’un téléphone portable.
I.V. Le processus de médiation tend à se développer notamment par la création de centres de médiation dans la plupart des pays africains. Ce mouvement devrait être amplifié par l’insertion d’un règlement de médiation dans l’Acte uniforme de l’Ohada prévu a priori dans les prochains mois et sur lequel nous avons été amenés à travailler.
Par ailleurs, il existe un vrai besoin des acteurs africains de renforcer leurs capacités en matière de gestion des contentieux. À ce titre, le cabinet propose en partenariat avec le Journal Africain de Droit des Affaires une formation certifiante en arbitrage international adressée principalement aux juristes africains mais aussi aux investisseurs étrangers désireux de mieux appréhender les spécificités de l’arbitrage impliquant des parties africaines.
Propos recueillis par Julie Eliachar & Elodie Sigaux