Paul Goze, président de la Ligue nationale de rugby, fait le point sur les finances du rugby français.
Entretien avec Paul Goze, président de la Ligue nationale de rugby.

Décideurs. Quel est l’état financier du rugby français aujourd’hui ?


Paul Goze. La situation économique du rugby français est relativement prospère notamment, en raison de son produit phare, le Top 14, qui est le championnat de rugby le plus attractif au monde. Preuve en est le montant des contrats télévisuels et marketing de 355 millions d’euros au bénéfice de Canal+. Toutefois, il faut relever des difficultés pour certains clubs car l’augmentation des budgets et des charges, les salaires principalement, est allée de pair avec la valorisation croissante du « produit rugby ». Au final, même si le rugby français est la locomotive au niveau international, l’équilibre financier des clubs est relativement précaire, le rugby est victime de son succès en quelque sorte.

D. Quelles sont les recommandations faites par la LNR aux clubs professionnels dans le cadre de leur gestion financière ?

P.G. Il existe un double mécanisme de régulation. En amont, la ligue a instauré le salary cap qui limite la masse salariale brute de chaque équipe à dix millions d’euros. De nombreux clubs ne sont pas concernés par cette mesure mais les clubs générant le plus de revenus sont directement impactés. Le salary cap a été voté pour trois années donc il sera encore en vigueur pour les deux prochaines saisons.
Aussi, en aval, la Direction nationale d’aide et de contrôle de gestion, équivalent de la DNCG du football, s’assure que les comptes des équipes professionnelles sont à l’équilibre à chaque fin de saison et que les prévisionnels sont adaptés au commencement d’une nouvelle saison. Des mesures disciplinaires peuvent être prises à l’encontre des contrevenants et conduire à leur rétrogradation en division inférieure.
Enfin, la LNR s’occupe aussi de la fonction centrale de répartition des fruits de la vente des droits marketing et télévisuels entre les clubs. Cette prérogative est essentielle dans la mesure où la LNR s’efforce de favoriser la solidarité entre les compétiteurs, ce qui se traduit par une répartition de 60 % des droits vers le Top 14 et 40 % vers la Pro D2.

D. Il semble que le rugby français, à travers le rayonnement de son championnat, génère de plus en plus de revenus. Quelles sont les stratégies à poursuivre en matière d’exportation de ce produit créateur de valeur ajoutée ?

P.G. La LNR a fait de gros efforts dans le cadre du contrat signé avec Canal+, essayant de concilier le besoin d’exposition du produit rugby et celui de la valoriser le mieux possible au regard des offres en présence.
En outre, des mesures pour améliorer la compétition sont en discussions avancées. Il s’agirait notamment d’accorder le bonus défensif à partir d’une différence inférieure ou égale non plus de sept mais de quatre points. Ainsi, le bonus défensif serait plus ardu à obtenir et de facto, le bonus offensif serait réévalué. Il est aussi envisagé d’abaisser le temps pour les pénalités afin de réduire les temps de latence dans le jeu et dès lors favoriser le spectacle.
Quant à l’exportation à l’étranger du rugby français, beaucoup de pays sont prêts à acheter les droits du Top 14 mais notre rôle est de le valoriser au maximum. C’est pour cela que notre produit bénéficie d’une valorisation douze fois supérieure à celle du championnat anglais. Mais notre tâche consiste aussi à développer ce sport au sein de notre propre territoire, notamment dans les régions qui ne connaissent pas le rugby professionnel à l’image du Nord et de l’Est.

D. La récente renégociation des droits de diffusion du Top 14 à la télévision confirme l’attractivité de ce championnat. N’existe-t-il pas un risque que d’autres compétitions comme la H-Cup perdent grandement de leur intérêt ?

P.G. Le risque existe en effet. Cela étant, le salary cap français est également une mesure prise en faveur des clubs étrangers en Angleterre, en Irlande et au Pays de Galles principalement. L’idée est en effet de ne pas permettre à certaines équipes de devenir hégémoniques et d’aspirer progressivement tous les talents étrangers. Cela doit être vu au regard d’une autre règle, celle obligeant les équipes à inscrire au moins douze joueurs formés au club sur la feuille de match à partir de 2017. En cas de non-respect de cette dernière règle, les clubs ne seront pas amenés à recevoir l’intégralité des fruits de la vente des droits TV.

D. Croyez-vous qu’il existe comme au football un risque de financiarisation du rugby ? Bientôt un fair-play financier du rugby ?

P.G. Honnêtement, à l’heure actuelle, le rugby et le football ne sont pas dans la même catégorie. Les droits télévisuels sont passés d’un coefficient de 20 à 10 entre la valorisation du rugby par rapport à celle du ballon rond. C’est une évolution certes favorable à notre sport mais nous sommes encore loin des sommes astronomiques que génèrent le football. En l’espèce, le risque n’est pas immédiat même si je travaille sur un projet de fair-play financier à terme.

Crédits photo : LNR

Propos recueillis par Firmin Sylla.

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