La plus longue grève de l’histoire de la compagnie aérienne s’est achevée après d’âpres négociations. Bilan d’un conflit d'où tout le monde sort perdant.
« Un conflit destructeur ». Les mots utilisés par les dirigeants de la compagnie Air France pour qualifier le conflit social le plus long jamais entamé par les pilotes sont clairs. 
« Coûteuse et dommageable » a même renchéri ce lundi Guillaume Schmid, porte-parole du SNPL. Le syndicaliste ne croit pas si bien dire tant « le bilan est lourd de conséquence pour l’avenir de la compagnie aérienne qui s’apprêtait à renouer avec la rentabilité après six ans dans le rouge », confie un proche du dossier.
Si l’heure est à la trêve pour le SNPL, elle est toujours à la grève pour le Spaf. Le deuxième syndicat représentatif des pilotes (20 %) a en effet étendu son préavis jusqu’au 2 octobre au mépris des dommages collatéraux colossaux provoqués par le mouvement social engagé le 15 septembre dernier : quatorze jours de conflit, un cafouillage gouvernemental, l’abandon du projet Transavia Europe, une image écornée, une entreprises divisée, un bilan financier catastrophique et aucun accord trouvé avec le SNPL et le Spaf. Certes, Air France n’a pas complètement plié sous le joug corporatiste de ses pilotes fermement opposés au développement de sa filiale à bas coût, Transavia. Mais la compagnie aura bien du mal à se relever après avoir mis un genou à terre. Cinq raisons pour lesquelles la sortie de crise est encore très loin.

Une facture salée

Selon les estimations de la direction, la grève aurait coûté entre quinze et vingt millions d’euros par jour à Air France-KLM. La facture finale pourrait approcher les 300 millions d’euros. Un coup dur pour la compagnie aérienne qui prévoyait cette année plus de quatre-vingts millions d’euros de bénéfices, les premiers depuis 2008.
Ce dimanche sur France 2, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a par ailleurs estimé que 110 000 touristes ont annulé leurs vols et 30 000 voyages d'affaires ont été perdus.

Des dégâts humains

Taxée d’ultra corporatiste, la grève des pilotes a renforcé les divisions au sein des différentes catégories de salariés dont la principale inquiétude est de savoir qui va payer les pots cassés. Comme l’histoire l’a démontré, les efforts à fournir ne seront pas les mêmes pour tous.
Lors du plan de restructuration Transform 2015, hôtesses, stewards et personnel au sol se sont par exemple davantage serrés la ceinture que les pilotes. Dans leurs corps de métiers, plus de 8 000 postes ont été supprimés, soit environ 10 % des effectifs, et les salaires de certaines catégories de personnel ont été gelés. Dans le même temps, les pilotes bénéficiaient d’une hausse de 1 % et chaque année depuis 2008. Pour compenser à horizon 2017 la perte de 200 millions d’euros générée par les activités de court et moyen-courrier, qui va devoir encore une fois se serrer la ceinture ?


La « guéguerre » SNPL vs Spaf

Lors de cette grève, le SNPL aurait-il fait du zèle en prévision des élections qui auront lieu en mai prochain ? « Possible », répond un expert du secteur. Selon nos sources, le syndicat majoritaire des pilotes aurait vu son influence reculer nettement suite à la perte de son siège au conseil d’administration d’Air France. « Cette grève était une fenêtre de tir pour démontrer à l’entreprise que le SNPL conserve toute sa puissance d’action », commente un cadre de l’entreprise.

Les pilotes vont-ils battre en retraite ?

Officiellement, les 4 700 pilotes de l’entreprise se sont mis en grève pour s’opposer à la déclinaison paneuropéenne de Transavia France susceptible de modifier leurs conditions de travail et de rémunération. Le SNPL a également brandi les risques de délocalisation et de dumping social.
Officieusement, « le vrai sujet, c’est la retraite des pilotes », confirme un proche du dossier. En effet, si la masse salariale diminue en France qui va remplir les caisses de la CRPN* ? Une question d’autant plus épineuse que la question du sureffectif chez les pilotes, estimé à 350 personnes, n’a toujours pas été réglée.

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Cacophonie entre Alexandre de Juniac, P-DG du groupe Air France-KLM et Frédéric Gagey, patron d’Air France, lutte d’influence entre le SNPL et le Spaf et interventionnisme de l’État français, actionnaire à hauteur de 16 % de la compagnie aérienne... « Il y a toujours eu un problème de transparence dans la gouvernance de cette entreprise », indique un expert du secteur. Le 24 septembre dernier, Alain Vidalies, le secrétaire d'État aux Transports, annonçait sur l’antenne de RMC le retrait du projet de développement de la filiale low-cost d'Air France, Transavia Europe. Une heure plus tard, un porte-parole de la compagnie tempérait sur Europe 1 en déclarant « une simple suspension du projet ». Cet imbroglio entre Air France et le gouvernement est symptomatique des difficultés rencontrées par la direction de la compagnie pour gérer les crises sociales qui ont émaillé son histoire. « Croyant possible de passer en force, Air France n’a pas réuni les pilotes autour d’une table pour discuter en amont du projet », dénonce un proche du dossier. Une erreur que la compagnie aérienne n’a pas finie de payer.

Épilogue

« Au-delà des pertes financières, de l’affaiblissement de la gouvernance, des luttes internes entre les différentes catégories de personnel, la plus grosse perte d’Air France, c’est le temps », déclare un expert du secteur. Face aux mastodontes du low-cost, la compagnie aérienne française a cumulé un sacré retard qui lui vaut aujourd’hui de devoir courir un marathon à la vitesse d’un sprinter.
En 2013, le low-cost représentait en Europe 45 % des parts de marché contre 20 % en 2008. En France, leur part est moins élevée et se situe autour de 25 %. Mais la concurrence s'avive. « Tout est une question de temps et de vitesse de conquête des parts de marché par les compagnies low-cost », confirme un expert du secteur. Et celui-ci ne cache pas son inquiétude face aux récentes déclarations de Ryanair et Easyjet bien décidées à s’attaquer au segment des passagers business, pré carré et vache à lait des compagnies régulières comme Air France.

Émilie Vidaud

*Caisse de retraite du personnel navigant

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