Certaines personnes changent le monde quand d’autres vivent une vie tranquille, s’affairent «?simplement?» à manager les affaires courantes. Des personnalités plus affirmées révolutionnent leur secteur, leur environnement, leur pays. Qu’il s’agisse de Xavier Niel, Mark Zuckerberg, Steve Jobs, Ghandi ou Nelson Mandela, quels sont les secrets du Leadership ?
1- L’ambition, personnelle & collective, de faire triompher une cause
Pour réussir à abattre des montagnes, il faut au leader le feu sacré de l’ambition personnelle et collective. C’est un puissant combustible.

a) L’ambition personnelle
L’ambition personnelle, c’est le courage de viser haut. C’est la fierté de porter une cause noble, d’être prêt à la défendre même sans allié, de croire quand personne ne croit. De croire avant tout le monde. Il faut un feu intérieur puissant, une conviction personnelle embrasante, pour enclencher une dynamique collective.

L’ambition, c’est un courage face aux renoncements : elle est l’ingrédient nécessaire face à la facilité des sentiers battus et des demi-mesures. Elle est l’antidote des volontés tièdes, et des rêves ou rêveries, qui ne passent pas à l’action. À l’inverse, l’ambition réelle, et en action, est aussi une caractéristique personnelle qui force le respect d’autrui, et produit, sous de nombreuses conditions, cette étrange alchimie qu’est l’adhésion.

Ne prenons pas l’ambition, en soi, pour un synonyme d’égoïsme. L’ambition peut être altruiste ou égoïste : l’ambition de faire avancer une grande cause n’est pas une ambition égoïste. Martin Luther King ne cherche pas un siège au Congrès ou une médiatisation personnelle. Il existe pour la cause des droits civiques noirs, il existe par elle. Il est prêt à tous les sacrifices pour cette cause : son confort personnel n’est pas seulement en second rang derrière la cause poursuivie. La vision poursuivie justifie de se sacrifier, personnellement et souvent familièrement. Au-delà de grandes figures politiques, les leaders en entreprise sont eux aussi capable d’énormément d’abnégation pour servir leur entreprise, leurs clients et salariés. Bill George, inlassable développeur de Medtronic, passera sa vie à bâtir un géant des dispositifs médicaux (cœur artificiel…) : son engagement visait à sauver plus de vies, par plus de technologies médicales, et non à gagner plus d’argent.

Quand l’ambition est égoïste, intéressée et exempte de sacrifices, le dirigeant n’a pas de leadership, pas d’autorité morale, pas d’adhésion, et donc pas ou peu de résultats. Il faut aussi préciser que le succès dans la poursuite de son ambition peut amener des contreparties importantes (salaire), sans que l’on puisse parler d’ambition égoïste. En effet, si tout le monde gagne, si les résultats sont importants, politiquement ou financièrement, il est normal comme moral que le leader en ait, aussi, une juste part. Si sa motivation est uniquement pécuniaire ou politique, même s’il est équitable, le leader aura du mal à convaincre. Seule la motivation intrinsèque peut émouvoir et mouvoir les foules.

b) l’ambition collective
Le leader est le premier follower (!) d’une grande cause, d’une grande ambition collective. Il est le «?servant leader?», car il est servant en chef de la cause défendue, et leader des personnes qui convergent, naturellement ou par son action, pour la défendre.

L’ambition personnelle doit se doubler d’une capacité à formuler l’ambition collective. À lui donner de la clarté, des mots, mais aussi des objectifs, des étapes, un plan d’action. Le leader est un manager du cœur comme de la raison collective. Le leader va donner mots, voix et voies, à l’ambition collective, et même l’incarner. Le corollaire est une implacable exemplarité, même si l’erreur est humaine.

Le poids des mots, le choc des masses : canalisant une communauté d’intérêt, ou rejoignant sa tête, il faut à ce héraut formuler une vision («?I have a dream?»), et incarner l’optimisme autant que le réalisme dans le combat vers cette ambition collective. Chacun des membres du groupe étant plus ou moins impliqué, plus ou moins motivé, plus ou moins mobilisé et disponible, il faut cristalliser par des mots, des symboles, des victoires, des injustices, des opportunités, l’enjeu commun, les bénéfices communs. Rien n’est moins simple, et aligner vision personnelle et ambition collective latente est un tour de force qui requiert de nombreux talents. Il faudra s’appuyer sur l’ambition partagée avec certains membres déterminés du groupe, autant que donner de l’ambition à ceux qui en manquent, mais qui ont un intérêt latent, incompris ou défaitiste, face à la cause commune et aux obstacles.


2 - La confiance en soi combinée à l’art de douter
Oserait-on affirmer que la confiance en soi est un ingrédient caché du leadership ? Non. La confiance en soi est un ingrédient connu.
Ce qui l’est bien moins, c’est l’alchimie de doute et de confiance en soi. Il faut cet improbable équilibre pour qu’un leader triomphe.

La sur-confiance, ou confiance continue en soi, est un piège grossier mais dans lequel de nombreux vainqueurs (de premières manches) se sont abîmés. Le sage ne dit-il pas qu’il est plus dur de garder la tête froide et droite dans les victoires, que dans les défaites ? La victoire, si elle confère prestige et adhésion, ne favorise pas la remise en cause.
S’abandonner à la confiance en soi permanente, que ce soit avec une aveuglante sincérité ou par choix d’apparence sociale, présente un autre fâcheux inconvénient : qui aime les éternels coqs ? les messieurs je-sais-tout ? les héros monolithiques et sans aspérité ? Bien peu de monde. Le risque de la trop grande confiance en soi n’est donc pas seulement d’échouer face à ses adversaires, mais d’échouer dans son propre camp en le lassant ou en le fâchant.

L’ingrédient caché, c’est la rencontre dosée du doute et de la confiance en soi. Le souci de vaincre, d’aller vers l’objectif, de rassembler doit être inébranlable. Mais la méthode, les moyens, les chemins, les «?qui?» et les «?quand?» font sans cesse l’objet de doutes, d’évaluation tactique. Ce doute est conscient et orchestré, ou subi et déchirant, souvent les deux. Ainsi Gandhi a commencé sa lutte en Afrique du Sud, avec la charge d’avocat, et le costume afférent. Puis s’est incarné dans la cause de l’Indien pauvre, en revêtant l’habit traditionnel, dépouillé. Il a rusé en droit, mais aussi travaillé les médias, dégainé la grève de la faim, ou encore, engagé la bataille féroce et pacifique des valeurs…

Le doute est un incroyable allié, quand il n’est pas un puissant frein à l’action. Souvent, il est un incroyable allié justement parce qu’il est un frein à l’action de trop, à l’initiative imprudente, au gaspillage de ressource dans les batailles perdues d’avance. Quel bolide de course pourrait franchir victorieux la ligne d’arrivée, sans la dextérité pour manier accélérateur (confiance) et frein (doute) ?

Par ailleurs, le débat fait rage : faut-il douter, en secret, sans en faire l’aveu aux siens ? La vérité est, une fois de plus, dans l’équilibre.
Douter de tout, devant tous, ne peut amener qu’à inquiéter sur l’action comme sur soi. Douter, ou plus simplement «?interroger?» publiquement les siens sur leur avis, le meilleur mode d’avancement, produit une implication des sondés, valorise leur expertise, fait disparaître les angles morts et fausses bonnes idées. Bien sûr, c’est à bon escient et devant un cercle choisi de personnes compétentes qu’il faut ouvrir de tels doutes. C’est devant, thème par thème, tel ou tel expert, qu’il faut montrer son débat intérieur. Puis vient le temps de présenter à la confiance publique la synthèse solide et cohérente, celle dans laquelle le leader pose sa confiance. Une confiance forte, mais qui reste vigilante et à l’écoute, et non aveugle.


3- L’écoute : être l’homme de l’écoute, l’homme de parole. Être le porte-parole, avec sa voix propre
Le leader qui prend la parole est paradoxalement souvent l’homme qui a pris le plus le temps de l’écoute. D’une écoute active, éclectique, d’une écoute intérieure autant que d’une écoute des différents collèges d’un groupe.

L’écoute, ce n’est pas simplement tendre l’oreille. C’est un dialogue orchestré. C’est un échange d’informations et de convictions. C’est la construction patiente d’un consensus, en ayant le courage d’affronter les «?dis-sensus?». Il faut manier le «?dia-logos?», la parole à deux, comme les discussions, quand «?dis-cutare?» implique une divergence, initiale du moins.

Mais l’écoute, c’est aussi tendre sincèrement l’oreille : il faut une rare humilité pour ne pas avoir d’a priori qui viennent bloquer l’échange ou l’enrichissement par l’autre. Être prêt pour une cause commune, ou par respect, à oublier ses positions de départ, ou à les entremêler avec les meilleures idées de chacun, voici un bien bel art.

L’écoute, c’est aussi tendre un filtre très subtil et puissant, qui doit faire remonter à la surface les meilleures analyses, le kaléidoscope des émotions et des peurs,
Le constat des risques, le balbutiement des options, le chant des ambitions et la complainte des débuts
de renoncements.

Comment réagir à chaque signal, à chaque voix ? Chaque membre du groupe apporte sa parcelle de sagesse, de flamme ou de prudence, d’information, juste ou non. C’est là que ce «?filtre subtil?» agit doublement : l’homme d’écoute prend le meilleur, et écarte intérieurement l’inutile. Mais parallèlement, l’homme d’écoute donne aussi, répond et contribue, en information et en émotion, car, rien n’est inutile pour autrui et dans la relation-interpersonnelle.

Tout en étant l’homme d’écoute et de dialogue, influençable et humble, le leader est aussi l’homme de parole qui ne trahira pas le contrat social de fond, même devant les obstacles externes ou les doutes internes. Il est homme de parole dans son dévouement à l’ambition collective comme dans sa promesse d’écoute. Il doit écouter, mais ne pas suivre les doutes, et même en déminer
les fondements.

Enfin, le leader a une voix propre tout en étant un porte-parole. En effet, son ambition personnelle de se mettre au service d’une cause, de trouver les voies de l’action par un cheminement intérieur, lui donne un rôle unique et distinct. Une autorité forte. Et son travail de dialogue avec le groupe, ses collèges, et ses individualités, lui ajoute la légitimité du porte-parole. L’ambition personnelle vient rejoindre l’ambition collective. L’autorité personnelle prend le soin de s’allier la légitimité collective.


4- L’art de bâtir des relations
Qu’il bâtisse un empire économique ou une force politique, le leader construit avant tout des relations de grande confiance, à une très grande échelle.
Que constituent ces relations de confiance ? «?Relations?» vient de lien : lier les destins, relier les histoires personnelles, lier les efforts, les rêves…
«?Confiance?» vient de foi : la relation est bâtie sur une foi en l’autre, cet impalpable socle. Cette foi n’est pas aveugle. Mais elle est forte, lucide, optimiste, et croit plus dans le meilleur de l’autre que dans ses démons. Surtout la relation est bâtie sur l’adhésion et non sur la soumission. Elle est la promesse d’une écoute bienveillante et d’un travail sur les intérêts communs. Une fois la relation posée, le lien est prêt, invisible mais tangible, prêt à supporter le test des désaccords et divergences d’intérêt réguliers que le feu roulant des situations proposera.

Comment s’explique cette confiance, ce lien qui survit aux divergences ? Comment bâtir ces relations ? Le respect mutuel est un premier ciment, cristallisé par l’écoute. L’empathie, cet art de se mettre dans la peau de l’autre, ajoute un secret ferment. Autre composant, l’art d’aligner les intérêts : encore faut-il deviner en son for intérieur les non-dits qui blessent, les objectifs officieux, les sourdes divergences, et avec patience, avec tact, aligner les intérêts, traiter respectueusement les divergences pour faire primer les convergences.

Le leader sait choisir les mots et les temps du compromis. Mais il sait aussi quand les enjeux ou ses valeurs excluent tout compromis.

Consciemment ou non, la relation de confiance a aussi pour socle quelques grandes valeurs en commun. Mais le plus noble, c’est surtout que le leader respecte aussi les valeurs propres à chacun, même quand il ne partage pas : il connaît les lignes rouges de l’autre et évite bien des inutiles désaccords et provocations. Enfin, au plus profond de lui-même, le leader est altruiste, un mot lourd de sens car il implique le goût peu commun d’être prêt à des sacrifices pour autrui. Voici les invisibles charpentes de relations de confiance.

Pierre-Etienne Lorenceau

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