Par Georgie Courtois, avocat. De Gaulle Fleurance & Associés
L’impression 3D, considérée comme la nouvelle révolution industrielle, est en passe d’entraîner également une révolution juridique, spécialement en matière de propriété intellectuelle, avec la capacité donnée aux particuliers de reproduire pour leur usage personnel tout type d’objet.
Le potentiel démesuré de cette technologie ouvre déjà des réflexions s’agissant de son contrôle.


La technologie de l’impression 3D, présentée comme la nouvelle révolution industrielle, est susceptible de bouleverser les comportements des consommateurs et des industriels. Chaque jour, un nouvel exemple des prouesses réalisées grâce aux imprimantes 3D fait la une de l’actualité, que ce soit l’impression d’une pièce d’avion ou encore la modélisation d’un cœur de nouveau-né avant une opération chirurgicale.

L’impression 3D est une technologie de fabrication additive qui permet de créer des objets physiques en trois dimensions en fusionnant des matériaux couche par couche. L’impression 3D nécessite l’utilisation d’un fichier numérique contenant l‘image en trois dimensions. C’est cet objet numérique tridimensionnel que l’imprimante 3D sera chargée de reproduire physiquement, dans tout type de matériaux tel que le plastique, le métal, le verre, le papier, le tissu ou encore le chocolat.

La contrefaçon de fichiers et d’objets tridimensionnels
L’impression 3D soulève des questions en matière de propriété intellectuelle, en raison notamment du potentiel de contrefaçon inhérent à cette technologie. La contrefaçon pourra se réaliser à la fois par la copie non autorisée du fichier numérique contenant la forme d’un objet protégé, mais également par l’impression physique de l’objet issu de ce fichier.

Le risque de prolifération de fichiers contrefaisants sur internet est comparable au phénomène des fichiers musicaux MP3. En pratique, il sera aussi difficile de faire sanctionner les détenteurs d’objets numériques tridimensionnels que les détenteurs de fichiers MP3. À ce titre, les titulaires de droits vont certainement se retourner contre les cibles les plus accessibles et l’ancienne jurisprudence condamnant les officines de copie sur CD-Rom pourrait redevenir d’actualité à l’encontre des fab lab (1) qui vont se multiplier.

La copie réalisée par les particuliers

La généralisation concomitante du scanner 3D, qui permet de scanner toute forme dans un fichier numérique, et sa combinaison avec l’imprimante 3D donne aux particuliers la capacité de copier et reproduire en nombre des objets, tels que des jouets ou des pièces détachées. La révolution juridique sera donc celle de la copie réalisée par les particuliers pour leur usage personnel.

En droit d’auteur, l’applicabilité actuelle de l’exception pour copie privée à l’impression 3D soulève des interrogations (2). En premier lieu, s’agissant de l’origine licite de la source (3) : compte tenu du caractère matériel des objets reproduits, cette notion ouvre la voie aux réflexions sur les notions de propriété et de possession (4). En second lieu, s’agissant du contrôle réalisé par le juge dans le cadre du test des trois étapes, l’absence d’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre n’est pas garantie. En effet, l’achat et la duplication d’un objet permettraient à un particulier de s’affranchir d’achats ultérieurs, ce qui entraînerait une baisse significative de chiffre d’affaires chez le titulaire de droits et serait donc de nature à porter atteinte à l’exploitation de l’œuvre, en l’occurrence à sa commercialisation. De même, l’absence de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur ne semble pas atteinte faute de mécanisme de rémunération pour copie privée aux fins de compensation équitable des auteurs (5).
Les droits de propriété industrielle (dessins et modèles (6), brevets (7), marques (8), permettent également aux utilisateurs de reproduire un objet protégé pour un usage privé, mais cette faculté de reproduction n’est pas soumise à la question de la licéité de la source. L’emprunt à un tiers d’un objet protégé dans l’unique but de le reproduire à titre privé serait autorisé.

Le contrôle des reproductions privatives
Les bouleversements engendrés par les reproductions privatives ouvrent la question de leur contrôle, notamment du nombre de copies.
Le législateur s’est déjà emparé du sujet comme l’illustre l’amendement déposé à l’Assemblée Nationale par l’UDI dans le cadre de l’examen de proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon. Cet amendement (9) visait à interdire sans discernement toute forme de copie par «?technique dite d’impression tridimensionnelle?». Sa rédaction maladroite allait à l’encontre de l’approche synthétique et de neutralité technique de la loi. Il a été rejeté et n’apparaît pas dans loi (10) du 11 mars 2014.

Le contrôle pourrait également passer par la mise en place d’un système de Digital Right Management, via une base de données au sein de laquelle les titulaires de droits enregistreraient les objets protégés, en indiquant le nombre de copies autorisées. Un tel système nécessitera des accords entre fabricants d’imprimantes et titulaires de droits.

La propriété intellectuelle n’est qu’une des matières sur lesquelles l’impression 3D soulève des interrogations, comme la sécurité des objets imprimés, leur conformité aux normes ou encore la responsabilité des différents acteurs de la chaîne d’impression pour ne citer que ces quelques exemples.

1 «?Fabrication laboratory?», lieu ouvert au public où il est mis à sa disposition des imprimantes 3D
2 Voir «?L’impression 3D : chronique d’une révolution juridique annoncée?», Revue Lamy Droit de l’Immatériel n°99, p.71-80, décembre 2013
3 L’article L.122-5 alinéa 2 du Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) vise «?les copies ou reproductions réalisées à partir d'une source licite?» (Ajouté de la loi n°2011-1898 du 20 décembre 2011)
4 Article 2276 du Code Civil : «?En fait de meuble, la possession vaut titre?»
5 Au sens de l’article 5-2 de la Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information
6 Article L513-6 du CPI prévoit une exception «?à l’égard […] d’actes accomplis à titre privé et à des fins non commerciales?»
7 Article L.613-5 du CPI énonce : «?les droits conférés par le brevet ne s'étendent pas : a) Aux actes accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales ;
b) Aux actes accomplis à titre expérimental qui portent sur l'objet de l'invention brevetée ; […]?»
8 Dans la mesure où le droit privatif de la marque s’exerce pour l’usage d’une marque «?dans la vie des affaires?» tout usage ou toute reproduction réalisée dans un cadre privé ne constituerait pas une atteinte au droit privatif
9 http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/1720/AN/41.asp
10 http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/renforcement_lutte_contrefacon.asp

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