Par Anne-Charlotte Le Bihan, avocat associé, et Élise Malot-Pahal, avocat. Bird & Bird
Les jurisprudences des deux dernières années ont été riches en enseignements sur les certificats complémentaires de protections (CCP). Ces jurisprudences devraient inciter les titulaires de brevets de médicaments et de produits phytopharmaceutiques à prendre les devants pour préparer leurs demandes futures de CCP. Voici un bref aperçu des enseignements à tirer de certaines de ces décisions.

Les CCP sont des titres hybrides qui prolongent les droits des propriétaires de brevets pharmaceutiques ou phytopharmaceutiques. Il ne s’agit pas pour autant de «?super brevets?» et leur régime juridique est d’une extrême complexité en raison notamment de la rédaction pour le moins elliptique des textes qui les régissent (Règlement (CE) n°?469/2009 du 6?mai 2009 en matière de médicaments, Règlement (CE) n°1610/96 du 23?juillet 1996 en matière de produits phytopharmaceutiques).
Les conditions d’obtention des CCP ont fait l’objet d’une véritable construction jurisprudentielle par la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE). L’une de ces conditions tient à la nécessité pour le produit pour lequel un CCP est demandé, d’être «?protégé?» par le brevet dont il est issu. L’interprétation judiciaire stricte de cette condition a conduit au rejet de plusieurs CCP au motif que le produit objet du CCP n’était pas protégé par le brevet de base. Les brevetés ont tenté d’y remédier en recourant à la limitation a posteriori de leur brevet de base. Cette stratégie pourtant habile, n’a pas emporté la conviction des magistrats français.

CCP : Attention à la rédaction des revendications du brevet de base
Les articles?3 a) des Règlements 469/2009 et 1610/96 disposent : «?le [CCP] est délivré, si, dans l’État membre où est présentée la demande (…) et à la date de cette demande : a) le produit est protégé par un brevet de base en vigueur?».
Plusieurs tests ont été envisagés pour déterminer ce qu’il fallait entendre par «?produit protégé par un brevet de base?». Dans son arrêt Medeva du 24?novembre 2011, la CJUE a choisi le «?test de la revendication?» : un CCP ne peut pas être octroyé pour des principes actifs qui ne «?sont pas mentionnés dans le libellé des revendications du brevet de base?».
La question restait de savoir si lesdits principes actifs devaient être expressément mentionnés dans les revendications ou si la mention de leur famille suffisait.
Dans des affaires relatives à des combinaisons de principes actifs, les juridictions françaises ont oscillé entre les deux positions pour finalement imposer une mention expresse de la combinaison des deux principes actifs dans les revendications du brevet de base1. En d’autres termes, pour obtenir un CCP sur la combinaison de deux principes A+B, il faut qu’une des revendications du brevet de base couvre expressément lesdits principes actifs combinés. Une revendication sur «?A + « famille de B?» » ne suffit pas. Cette position stricte des magistrats français est toutefois susceptible d’évoluer à la lumière de la récente jurisprudence de la CJUE2. On comprend ici toute l’importance de la rédaction des revendications du brevet de base. Or, lors de son dépôt, le breveté n’a pas toujours à l’esprit toutes les combinaisons de principes actifs pour lesquelles il souhaitera un jour, obtenir un CCP. Certains brevetés ont vu une solution dans la limitation de leur brevet de base.

Limitation : une solution à anticiper ?
Ainsi, certains brevetés qui se sont vu refuser la délivrance d’un CCP sur la combinaison de plusieurs principes actifs en raison de l’absence de mention expresse d’un des principes actifs dans les revendications de leur brevet de base, ont demandé la limitation de leur brevet auprès du Directeur de l’Inpi afin d’y intégrer le principe actif manquant. L’avantage de cette procédure, qui peut être initiée à tout moment3, réside dans son effet rétroactif. Grâce à cette fiction juridique, les revendications limitées remplacent ab initio (dès le dépôt), les revendications délivrées. Cependant, la limitation n’est pas de droit, l’Inpi examine si les revendications modifiées constituent bien une limitation par rapport aux revendications antérieures4. Une divergence entre deux chambres de la Cour d’appel de Paris est apparue sur le point de savoir si, en ajoutant un principe actif dans une revendication, le breveté procédait bien à une limitation de son brevet. Dans une affaire Boehringer, le breveté avait tenté de limiter une revendication de son brevet en y ajoutant une liste de combinaisons de principes actifs. Il considérait qu’il s’agissait d’une limitation de la portée de sa revendication qui ne couvrait plus que lesdites combinaisons listées. La Cour de Paris n’était pas du même avis. Selon elle, Boehringer a voulu protéger «?un objet différent?», et non limiter son brevet5. Au contraire, dans une l’affaire Syngenta, la Cour de Paris a validé une limitation similaire proposée par Syngenta au motif que son objet était bien divulgué directement et sans ambiguïté dans la description de la demande de brevet telle que déposée6. Cette victoire de Syngenta n’a été que de courte durée : elle ne lui a pas permis de sauver son CCP. Syngenta soutenait que son brevet de base couvrait bien la combinaison de principes actifs objet de sa demande de CCP le jour où elle a déposé sa demande de CCP en raison de l’effet rétroactif de la limitation de son brevet. La Cour de Paris ne l’a pas suivie et a confirmé le refus de délivrance du CCP. En raison des règles de procédure propres à ce type de recours, la Cour s’est placée au jour où le Directeur de l’Inpi a statué pour apprécier le bien-fondé de sa décision. Or, lorsqu’il a refusé de délivrer le CCP de Syngenta, cette dernière n’avait pas encore déposé sa demande de limitation de son brevet de base. Le Directeur de l’Inpi ne pouvait donc statuer différemment à l’époque7. Ce faisant, la Cour de Paris s’est rangée à la position qu’avait adoptée la Cour de cassation dans l’affaire Boehringer. Il semble donc qu’il n’existe pas de planche de salut pour les CCP qui ont été déposés sur la base de brevets aux revendications incomplètes. En revanche, pour les demandes de CCP à venir, les titulaires sont fortement incités à auditer leurs portefeuilles de brevets dont les contours peuvent encore être modifiés en prévision de futurs dépôts de CCP.

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