Elle s’est fait un nom auprès des grands patrons. Côté pile, la fondatrice de l’agence Humeaning apprend aux têtes pensantes du CAC 40 et du SBF 120 à ré-humaniser leur discours à travers les réseaux sociaux. Côté face, l’hyperactive communicante a étendu la toile de son influence en important les concepts événementiels TEDx : le fruit d’un travail acharné mené en toute discrétion et a fortiori bénévolement. Bref, un modèle du genre.

Elle a hésité avant d’accepter de réaliser ce portrait. Arpenter le labyrinthe de sa vie, fouiller dans les arcanes de son engagement, Béatrice Duboisset n’en voyait pas tellement l’intérêt. La fondatrice de TEDxChampsÉlysées Women et TEDxChampsÉlyséesED n’est pas très friande de médiatisation. À la lumière des projecteurs, elle préfère clairement l’ombre des coulisses. Là où elle peut agir à loisir. Hormis cet anecdotique droit de réserve, Béatrice Duboisset donne sans compter, sans contrepartie et sans arrière-pensée. Une rareté par les temps qui courent. Côté pile, aux commandes de son cabinet de conseil Humeaning, elle est le bras armé 2.0 des dirigeants d’entreprise. Des patrons du CAC 40 aux ETI en passant par le SBF 120, tous sollicitent son expertise des réseaux sociaux pour construire leur communication digitale. Côté face, l’hyper-communicante cumule les fonctions dont elle ne tire aucune rémunération. Béatrice Duboisset figure parmi les vingt licences françaises du programme TEDx, la réplique locale de la conférence américaine TED pour «?Technology-Entertainment-Design?». Créée il y a trente ans, la marque TED a vocation à partager des idées avec le monde en invitant des personnalités à s’exprimer sur un sujet d’avenir. L’ensemble des talks a été visionné presque deux milliards de fois sur Internet. Parmi les intervenants figurent des noms prestigieux comme l’ex-président Bill Clinton, le designer Philippe Starck ou encore la directrice opérationnelle de Facebook, Sheryl Sandberg, devenue depuis lors le porte-étendard du féminisme 2.0 avec son livre Lean In directement inspiré de son talk.

À ce jour, Béatrice Duboisset est la seule Française à avoir organisé deux TEDx au cours de la même année. Elle est aussi la seule à donner la parole uniquement aux femmes. Quand on l’interroge sur ce qu’elle y gagne, elle lâche un percutant?: «?Dans la vie, il faut donner pour recevoir.?» Appliquer à la lettre cet adage lui a permis de se tailler au cours des cinq dernières années une sacrée renommée.


Une femme très connectée

Quand on tape le nom de Béatrice Duboisset sur le moteur de recherche Google, c’est son compte Twitter qui remonte en premier. Depuis son inscription en décembre?2009, @DuboissetB a fidélisé quelque 14?500 followers et tweeté plus de 23?800 fois. Sur le réseau Facebook, elle a atteint le nombre maximum d’amis et ne peut plus recevoir d’invitation. La patronne de Humeaning a flirté avec de nombreux networks d’influence comme celui des Femmes du numérique fondé par Viviane Chaine-Ribeiro. La présidente de la Fédération Syntec a très tôt repéré le potentiel de la jeune femme. Sur le réseau social professionnel Linkedin, Béatrice Duboisset dévoile dans les moindres détails les dix-sept années de son parcours professionnel. On y apprend notamment que cette titulaire d’un DESS Sciences éco spécialité marketing a d’abord évolué quinze ans dans les services informatiques avant de se lancer from scratch dans la communication digitale en 2009. Quand elle présente les différentes cordes à son arc?: executive communication developer, business thinker et values linker, on la croit volontiers sur parole tant son influence est indéniable. En six ans à peine, Béatrice Duboisset est devenue une femme très connectée. L’air de ne pas y toucher…

Osons une description visuelle. La fondatrice de TEDxCEWomen est une femme séduisante à la silhouette élégante et au look branché. Sa chevelure blonde abondante tombe en cascade sur ses épaules, ses yeux noirs pétillent et son sourire irradie. Sa facilité à aborder désarçonne. Son intérêt pour l’humain en laisse plus d’un pantois. Sa franchise pleine de simplicité laisse croire à une certaine ingénuité. Du pain béni pour ses détracteurs qui critiquent à l’envi le succès fulgurant de l’hyper-communicante. Y compris dans son propre camp. Certains grincent des dents et le font savoir…


Naturellement intronisée

Sa philosophie du «?do it yourself?», son modus operandi «?straight to the point?» dérangent. Il faut dire que la fondatrice de Humeaning fait partie de ces femmes spontanément recommandées, naturellement intronisées. «?Elle a un très grand entêtement positif?», salue Nicolas Bordas. En 2012, le VP de TBWA Europe et président de Being Worldwide l’a enrôlée au sein du mouvement Tweetbosses qu’il a fondé pour inciter les patrons à utiliser Twitter. Pendant deux ans, Béatrice Duboisset anime la chaîne Youtube en interviewant des dirigeants comme Dominique Delport, président de Vivendi Contents, ou Marie-Laure Sauty de Chalon, CEO d’AuFeminin.com. De quoi étendre son carnet d’adresses. Loin d’être impressionnée par la posture du patron, la jeune femme tisse du lien facilement. Elle convainc. Cette faculté oratoire doublée d’une force naturelle de persuasion, cette commerciale dans l’âme la tient de ses années passées à faire des discours en clientèle. Aux dirigeants, elle se présente avec simplicité. «?Elle ne m’a rien vendu du tout. Elle m’a expliqué pourquoi elle croyait à l’approche par les réseaux sociaux et le bénéfice que l’on pouvait en tirer à titre professionnel?», se rappelle l’un des tout premiers patrons à lui avoir fait confiance. Parmi ceux qui sont sortis de l’ombre, Vincent Froehlicher, le directeur général de l’Agence de développement économique du Bas-Rhin (Adira), région où Béatrice Duboisset a choisi de faire ses armes entre 2011 et 2012. Quelques semaines après avoir débarqué à Strasbourg, l’apprentie communicante devient la conseillère de plusieurs dirigeants d’entreprises et d’organismes parapublics, victimes de leur communication digitale anarchique. «?Elle m’a tout appris en matière d’utilisation des réseaux sociaux?», se souvient Vincent Froehlicher. Pour se faire connaître de l’entrepreneuriat local alsacien, elle a décortiqué sur Facebook les pages fan dédiées à Strasbourg et au business. À force de «?like?», elle a fini par identifier les dirigeants actifs sur les réseaux sociaux. Quand elle ne les contacte pas par Facebook Messenger, elle les aborde lors d’événements informels. C’est comme ça qu’elle rencontre en 2011 Salah Benzakour, le fondateur de TEDxAlsace.


Le système Duboisset

S’engager, cela vous titille jeune. Quand ce n’est pas le cas, la vie se charge de vous rappeler à l’ordre. Et voilà qu’à 40 ans, alors que Béatrice Duboisset est au sommet de sa carrière dans une SSII florissante, elle se lance dans une nouvelle aventure avec, en tête, l’idée de faire bouger les lignes grâce à la communication digitale. Mais de la parole aux actes, il y a tout un monde. Un monde dont elle ne maîtrise pas les codes et encore moins les usages. «?En 2009, les entreprises et les communicants découvraient ces nouveaux territoires d’expression?: je n’ai pas pris le train avec du retard. Il y avait un vrai boulevard?», observe celle qui a fait de Facebook et Twitter son laboratoire d’analyse. Pour se faire une place dans la jungle sociale, elle a bâti son propre système D. Elle surveille avant de chasser les profils atypiques. Toutes les semaines, elle organise un petit-déjeuner avec une femme qu’elle ne connaît pas. «?Elle m’a envoyé un mail pour savoir si on pouvait se rencontrer?», raconte la navigatrice Capucine Trochet qui est intervenue lors du premier TEDxCEWomen pour raconter sa traversée de l’Atlantique sur Tara Tari, un voilier de pêche en fibre de jute.


À la MacGyver?

En 2013, Béatrice Duboisset découvre la version TEDx dédiée à la réflexion autour des femmes. C’est la révélation. Le 27 septembre 2013, la licence lui est accordée après un marathon administratif et de nombreuses auditions par Skype. Deux mois plus tard, elle lance à Paris la première conférence TEDxCEWomen?: «?À la MacGyver?» comme elle dit en riant. Arrêter les frais du bénévolat, Béatrice Duboisset n’y pense pas. «?Personne de lui a jamais demandé d’organiser bénévolement des événements d’envergure. Peu de gens ont ce moteur de se fixer eux-mêmes des challenges et de les accomplir?», remarque Nicolas Bordas. «?Ce qu’elle a réalisé ce n’est pas rien?!?», s’enthousiasme la navigatrice Capucine Trochet. Le plus étonnant c’est que «?cette femme a beaucoup de courage, presque sans le savoir?!?», discerne Florence Trouche, sales manager chez Facebook. La patronne de Humeaning a surtout le courage de passer à l’acte et de tout recommencer. Pour cela, il faut une bonne dose de culot. «?Elle a plus que du culot, elle a envie de faire les choses?», poursuit celle qui préside désormais le comité d’influence de TEDxCEWomen.

Tel un poisson pilote, elle a l’art et la manière de mobiliser. «?Elle instrumentalise positivement les gens?», observe Nicolas Bordas qui s’amuse de la facilité déconcertante avec laquelle «?elle est devenue la meilleure amie de mon assistante qui considère tous les appels de Béatrice comme aussi urgents que ceux de mes clients. C’est un tour de force de parvenir à un tel niveau de mobilisation de moi-même et de mon entourage.?» Pour cette seconde édition de TEDxCEWomen, elle a enrôlé une cinquantaine de bénévoles. Toute l’année, ils sont une quinzaine à brainstormer. Une petite armada de bonnes âmes, blogueurs, influenceurs, RP, graphistes et autres créatifs triés sur le volet. À cela s’ajoutent deux comités, l’un de bienveillance, l’autre d’influence. Mixte, le premier accueille des personnalités de renom comme Jacques Attali (économiste), Aude de Thuin (Women’s Forum for the Economy and Society), Nicolas Bordas ou encore Laurent Vimont (Century 21). Le second rassemble uniquement des femmes – Florence Trouche, Marion Darrieutort (Elan), Céline Marchal (TBWA) ou encore Myriam L’Aouffir (Juste pour eux) – qui s’engagent tout au long de l’année à publier des tribunes sur l’éducation des filles, l’audace professionnelle ou la liberté des femmes.


« Mes origines m’ont construite?»

L’action est son unique credo. Elle le revendique sur Twitter à grands coups de hashtag?: #Activist et #Philanthropist. Là où l’on l’attend moins, c’est sur la fierté de ses racines – #Galicia et #Auvergne – affichées sur son profil comme un blason. Cultiver ses origines lui a pourtant ouvert bien des portes dans l’univers parisien. «?Sans faire de caste, précise-t-elle, c’est vrai que j’ai envie de rencontrer les Auvergnats.?» Justine Majeune, RP digitales au ministère de l’Écologie, Valentin Hochet, consultant social media chez BETC, Johan Hufnagel, l’un des fondateurs de Slate.fr passé chez Libération, Willy Braun, VC chez Daphnipolis sont autant d’adeptes de la région. À Paris, dans le Xe arrondissement, la jeune femme traîne au bistrot branché Chez Jeannette parce que ce sont des Auvergnats. C’est sur les réseaux sociaux qu’elle a repéré la petite communauté. C’est par ce prisme originel qu’elle a abordé Nicolas Bordas au Hub Forum en 2013. Il raconte encore très amusé qu’elle lui a tapé sur l’épaule avant de lâcher un spontané?: «?Bonjour, Béatrice Duboisset, tu es auvergnat comme moi.?» La glace était brisée. Il n’en fallait pas davantage pour que le patron de TBWA la prenne sous son aile. «?Je suis fière de mes origines qui m’ont construite?», professe cette fille unique née à Vitry-sur-Seine de mère espagnole et de père auvergnat. Tous les étés, elle file en Galice pendant deux mois et demi, où elle parle le castillan et se familiarise avec le patois gallego. Auprès de ses grands-parents, elle assemble les brins de son ADN identitaire en apprenant la valeur de l’histoire. «?Ils me racontaient les affaires et les récits de famille. Cela me captivait?!?», se souvient-elle. De là vient peut-être son inénarrable goût pour les histoires.


Mettre dans la lumière des inconnus

Béatrice Duboisset adore les retracer, particulièrement celles des autres. C’est ce qu’elle fait avec TEDxCEwomen et TEDxCEED?: permettre à des inconnus d’entrer dans la lumière pour déboulonner les idées reçues qui se cachent derrière la semence, rappeler l’importance de la langue maternelle pour les enfants de migrants, poser des questions telles que?: «?Doit-on perdre sa vie à la gagner???», présenter le parcours pavé d’embûches d’une Française non musulmane devenue directrice d’un hôtel cinq étoiles au Maroc, tirer la sonnette d’alarme sur les débris spatiaux, lever le voile sur l’aventure de quatre femmes parties surfer en Iran… «?Je n’imaginais pas que ma passion pouvait intéresser les gens. J’en ai retiré de la confiance en l’être humain. Cela m’a chamboulée?», raconte Delphine Guey, directrice affaires publiques et presse de la filière semencière française, intervenante à TEDxCEWomen. Ce dimanche 31?mai 2015, jour de la fête des mères, une foule bigarrée se pressait devant les portes du théâtre du Gymnase. La queue était tellement longue que le directeur des lieux, Jacques Bertin, s’est exclamé?: «?Je n’ai jamais vu ça depuis les auditions de la Nouvelle Star?!?» Plus de 800 personnes se sont déplacées lors de cette seconde édition durant laquelle une dizaine de femmes sont montées sur scène pour partager leur engagement.


Le jour où DSK est apparu

La veille, le 30?mai 2015, son téléphone portable vibre frénétiquement dans sa poche. Dans une poignée d’heures se tiendra la seconde édition de TEDxCEWomen. Cela fait déjà plus de quatorze heures qu’elle court pour régler les derniers détails. Entre deux allers-retours en voiture, Béatrice Duboisset décroche haletante son smartphone. À l’autre bout du fil, c’est Myriam L’Aouffir, l’un des membres du comité d’influence de l’événement. La présidente de l’association Juste pour eux appelle pour prévenir qu’elle viendra demain accompagnée «?d’une amie et de Dominique, son compagnon?». «?Dominique Strauss-Kahn était là pour accompagner Myriam?», plaide Béatrice Duboisset qui a essuyé le jour de la conférence un déferlement d’insultes sur les réseaux sociaux. Évidemment, nombreux sont ceux à lui avoir intimé?: «?Interdis-le?!?» L’organisatrice de la conférence ne l’a pas fait. Le cas échéant, elle serait sans doute devenue la meilleure amie des féministes, mais elle rappelle qu’elle «?incarne la marque TEDx dont elle porte la philosophie et les valeurs.?» Et Béatrice Duboisset de citer la baseline de l’événement?: «?L’inspiration par les idées, la transmission du savoir au plus grand nombre?». «?Le jour J, je ne pouvais pas être dans une position de fermeture?», martèle la fondatrice qui avait pris la précaution de laisser son téléphone dans sa loge. Bien lui en a pris.


« L’éducation, c’est le savoir »

Le dernier shoot d’adrénaline que Béatrice Duboisset s’est offert est de loin le plus prestigieux. À l’occasion de la Journée mondiale des enseignants créée en 1994, elle lancera la première édition de TEDxChampsÉlyséesED au siège de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Tout un symbole qui en dit long sur sa pugnacité. Après avoir mené tambour battant l’organisation de la seconde édition de TEDxChampsÉlyséesWomen, la fondatrice renouvelle l’exploit à peine cinq mois plus tard. «?L’éducation, c’est le savoir?: l’accès au savoir mais aussi le savoir être?», défend-elle. Une dizaine d’intervenants français et étrangers sont attendus sur la scène de la maison de l’Unesco qui devrait accueillir près de 1?300 personnes.

Ce tour de force, elle l’a réussi parce que son argumentaire était «?terriblement convaincant?» résume un observateur du dossier. Entendez qui ne se refuse pas. Un partenariat «?win-win?» qui utiliserait la force de frappe de la marque TEDx pour célébrer le rôle de tous les acteurs qui s’engagent pour faire bouger les lignes de l’éducation. L’événement aura lieu le 5?octobre prochain. La façon dont la présidente a suscité l’adhésion est un puissant révélateur de sa méthode?: «?Béatrice avait rendez-vous avec une de mes collègues pour échanger à propos de TEDx Women. De fil en aiguille, elle a mentionné son projet d’organiser TEDxCEED?: quelques minutes plus tard, elle était dans mon bureau. Tout s’est conclu très vite?», s’étonne encore Florence Migeon qui officie depuis vingt ans au cœur de cette institution.

La petite dizaine de personnes que nous avons interrogées répètent que Béatrice Duboisset gagne parce qu’elle a une volonté de fer et une foi impavide en l’humain. Tous saluent «?sa gentillesse?». Ils ajoutent qu’elle déplace des montagnes avec un plaisir non dissimulé, en s’amusant même. Elle confirme?: «?Je suis une épicurienne très optimiste.?» Et Nicolas Bordas de mettre en image le caractère de celle qu’il a pris sous son aile?: «?Si elle pilotait le Téléthon, 100?% des dons seraient récoltés?! Elle a l’art et la manière de vous relancer jusqu’à ce que vous ayez tenu la promesse faite.?» Pour Florence Trouche?: «?Béatrice est un mélange de pragmatisme et d’humanité. L’humanité, ça la fait passer devant les autres.?»


Émilie Vidaud

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