En rachetant Newen, la chaîne de Bouygues a semble-t-il bousculé l'ensemble de l'écosystème français dans les grandes largeurs.

En négociation depuis fin octobre, TF1 et FLCP, la holding de Newen, sont donc finalement tombés d’accord. Le groupe de télévision va prendre possession du producteur audiovisuel à hauteur de 70 %, le dernier « petit » tiers restant aux mains des actionnaires historiques, dont le management. Le prix de l’opération n’a pas été précisé mais l’objectif principal des deux acteurs est « de développer la production française à l’international et notamment auprès des grands diffuseurs européens ». Newen va, de fait, permettre à TF1 d’accélérer sa stratégie dans les contenus : le producteur propose déjà plus de 1 300 heures de programmes et les distribue dans plus de 80 pays. Avec des séries comme Versailles ou Braquo et des émissions comme Faites entrer l’accusé, Les Maternelles ou L’Effet papillon, la société de production a généré 200 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014. Ce rapprochement pourrait ainsi favoriser l’émergence d’un pôle français de production. Une perspective saluée par la ministre de la Culture qui s’est félicitée un peu vite de voir « émerger des champions français »… aux yeux des différents acteurs du marché.

 

 

Plus belle la vie sur TF1

Tout le monde n’a pas partagé l’engouement de Fleur Pellerin. Les salariés des filiales de Newen, présentée par son P-DG, Fabrice Larue, comme « le troisième producteur français de programmes de flux », ont eux-mêmes exprimé de « vives inquiétudes », notamment au vu des rapports qui les liaient au service public et autres chaînes du Paysage audiovisuel français (PAF).  Il faut dire que les producteurs de l’Union syndicale de la production audiovisuelle (USPA) ont annoncé dans la foulée qu’ils avaient décidé « à l’unanimité » d’exclure les diverses filiales du groupe : Capa Presse, 17 Juin Media et Néria Presse du groupement. Pour l’USPA, cette opération est en « totale contradiction avec (ses) valeurs » et en particulier « la loyauté envers ses partenaires », précisant qu’il était « nécessaire de tirer toutes les conséquences d’une telle opération et de renforcer les garanties accordées aux diffuseurs pour une exploitation paisible des œuvres et des marques qu’ils cofinancent tant qu’ils souhaitent en maintenir l’exploitation sur leurs antennes ». France Télévisions, qui finance ainsi depuis dix ans Plus belle la vie, est en effet un des premiers clients de Newen. Son rachat par son principal concurrent pose le problème de la sécurité de ses productions. Et ce d’autant plus que la régulation en place empêche le groupe public de codétenir les programmes qu’il commande. Des questions peuvent de fait se poser : la série phare de France 3 va-t-elle se retrouver sur TF1 ? La Une aura-t-elle vent de tous les projets de ses concurrents ?

 

PAF en ébullition

Delphine Ernotte-Cunci, la patronne de France Télévisions, les a en tout cas tous interrompus avec Newen dès l’annonce des négociations, s’interrogeant sur la protection des investissements publics. Et si la loi ne change pas, dans ce contexte de consolidation des médias et de la production, de dette peu chère avec des acteurs dispersés, le groupe public pourrait voir ses marges chuter plus encore.

Du côté du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), « on surveille l’écosystème, mais ici d’un point de vue extérieur ». Nathalie Sonnac, membre du collège, précise en effet que « l’opération se fait entre groupes privés, tout au plus peut-on espérer que ces opérateurs interagiront en bon équilibre ». Cela dit, le CSA a judicieusement publié un rapport détaillé sur les relations entre les chaînes historiques et les producteurs qui montre la montée en puissance de TF1 et l’importance des investissements de France Télévisions. Cette dernière a  investi quelque 402,2 millions d’euros, soit 48 % des investissements globaux des chaînes entre 2010 et 2013. TF1 suit, de loin, avec 188,8 millions d’euros mis sur la table. Mais le numéro un français de la télévision a augmenté sa base de producteurs de 31,9 % quand France Télévisions ne l’a fait que de 11,7 %.

Chez TF1, on calme le jeu : «?Conformément à sa stratégie, (…) le groupe TF1 se positionne dans les activités de contenus. Cette opération vise à développer une nouvelle activité, indépendante des chaînes du groupe. »?La suite et ses rebondissements aux prochains épisodes : TF1-Newen peuvent-ils en effet risquer de perdre leurs principaux clients ? France TV de ne pas être propriétaire des programmes qu’elle finance ? Est-ce l’occasion pour Vivendi/Canal+ de sauter le pas en coupant les ponts avec un producteur extérieur ? Le gouvernement restera-t-il les bras croisés ? Il est tout de même question du service public et de la naissance d’un éventuel Netflix français…

 

S.S.S. et Q .L.

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